Restaurer la valeur : respect et transparence de la prescription

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Emmanuel GAGNEZ, premier vice-président du Syndicat de l’éclairage et PDG de Sammode, et Éric DRIVON, trésorier du Syndicat de l’éclairage, directeur général de RIDI France

« Restaurer la valeur, respect et transparence de la prescription », tel est l’intitulé du dernier groupe de travail créé par la Syndicat de l’éclairage. Emmanuel Gagnez, président directeur général de Sammode, et Éric Drivon, directeur général de Ridi France, respectivement premier vice-président et trésorier du Syndicat de l’éclairage, détaillent les enjeux et les objectifs de ce groupe de travail.

« Restaurer la valeur » : qu’entend le Syndicat de l’éclairage par  ces termes ?
Emmanuel Gagnez – Nous avons mis des mots sur un sentiment et un état des lieux constatés par l’ensemble des adhérents du Syndicat de l’éclairage : une tendance persistante à la baisse de la valeur de marché, de la qualité des matériels et des projets d’éclairage. Certaines des interviews croisées publiées dans Lumières, comme celle de François Darsy (Syndicat de l’éclairage) et Christophe Martinsons (CSTB), qui portait le titre « L’éclairagisme : un enjeu majeur du projet d’éclairage », le soulignaient déjà. Il y était dit que « le projet d’éclairage ne peut pas se limiter à une question d’énergie. Il doit prendre en compte à la fois le facteur éclairagisme et la dimension humaine ». Les modes d’appréhension du projet d’éclairage se font toujours plus sur le critère du prix, et tous les acteurs en subissent les conséquences : les fabricants qui proposent des produits de qualité, les prescripteurs dont les recommandations ne sont pas nécessairement respectées, les utilisateurs qui ne profiteront pas des bienfaits d’un éclairage de qualité, les distributeurs et enfin, le maître d’ouvrage, qui pourra faire face à des dysfonctionnements, des surcoûts d’exploitation, des performances décevantes, et surtout des équipements à la durabilité incertaine. Cette tendance déflationniste touche en particulier les porteurs de projets de qualité, notamment les industriels, architectes, concepteurs lumière et installateurs engagés. Cette tendance nous inquiète en ceci qu’elle semble sans fin, l’histoire des quinze dernières années nous a appris qu’il se trouvait toujours de nouveaux acteurs « disrupteurs » prêts à l’alimenter.
Éric Drivon – Il existe une différence notable entre l’éclairage intérieur et l’éclairage extérieur, où les dossiers sont souvent suivis de manière plus précise, car les concepteurs lumière s’assurent que les appareils installés correspondent bien à ceux spécifiés. En éclairage intérieur, il arrive souvent que l’acheteur se concentre principalement sur le prix, sans toujours prendre en compte les études préalables ou les normes en vigueur, ce qui peut limiter la qualité du traitement des projets d’éclairage. En Allemagne, une grande part des émoluments de la maîtrise d’œuvre revient aux bureaux d’études qui suivent les projets jusqu’à leur achèvement ; c’est plus rare en France, et cela peut altérer l’équilibre de la chaîne de valeur. Il est important de comprendre qu’il n’est pas possible d’obtenir une grande qualité à un prix très bas, et la maîtrise d’ouvrage doit en être consciente.

Le Benelux, la Scandinavie, la Suisse et l’Allemagne ont encore
une appétence pour la technique. En France, il nous manque
cette culture de l’éclairage. Emmanuel Gagnez

Qu’est-ce qui a provoqué la transformation du marché ?
Éric Drivon – Tant que la technologie des lampes à décharge dominait, un certain niveau d’exigence était requis pour accéder au marché : des outils spécialisés, des laboratoires, des goniophotomètres, et un service qualité garantissaient le respect des règles de l’art. L’arrivée de la led et de nouveaux acteurs a non seulement élargi l’offre, mais l’a rendue plus accessible. En rénovation, les installateurs, qui assurent également la maintenance chez leurs clients, cherchent à rester compétitifs sur les prix et se concentrent souvent sur des solutions simples. Par exemple, bien qu’il soit nécessaire d’intégrer des systèmes de gestion d’éclairage, il serait intéressant de connaître le pourcentage de projets de rénovation dans lesquels ces outils sont effectivement mis en place.
Emmanuel Gagnez – La Scandinavie, la Suisse ou l’Allemagne, qui ont une plus grande appétence pour la technique ou du moins l’éclairagisme, ont réussi à mieux préserver leur valeur de marché. En France, cette culture technique et de l’éclairage s’est érodée et nous manque cruellement. À cela, s’ajoute notre insuffisante considération intellectuelle et matérielle des acteurs de la prescription (architectes, concepteurs lumière et bureaux d’études). Enfin, la France, qui fut pendant longtemps un grand pays de production d’éclairage, a vu ses capacités industrielles se réduire à presque rien en quelques décennies. Ce déclassement ne peut être resté sans effet sur la valeur du marché.
Éric Drivon – En effet, un contexte social difficile à maintenir, associé à la production de luminaires d’entrée de gamme, a entraîné un déplacement du barycentre de l’Europe vers l’Asie. Cependant, plusieurs marques françaises ont su maintenir leur production dans l’Hexagone, préservant ainsi un savoir-faire et une culture de l’éclairage. Je suis heureux de voir qu’il existe encore, au sein du Syndicat de l’éclairage, de nombreuses entreprises qui produisent encore en France ou en Europe…

Quelles actions le groupe de travail « Restaurer la valeur » a-t-il mises en place ?
Emmanuel Gagnez – Nous avons d’abord réalisé un diagnostic partagé, en qualifiant la situation avec des mots clés comme « commoditisation », qui correspond à la banalisation du matériel ; il s’agit du processus par lequel un produit différencié par un autre attribut que le prix perd cette différenciation. Il en résulte une guerre des prix et la valeur perçue au-delà de la fonction nominale du produit devient nulle. Nous avons aussi constaté que, alors même que la led intègre aux luminaires plus de technologie, de fonctionnalités, en principe une plus grande durée de vie, donc plus de valeur au produit, les prix n’ont cessé de baisser ! Outre le diagnostic, nous souhaitons mieux éduquer et informer sur l’éclairage, à travers le renforcement des partenariats avec, par exemple, la CAPEB, la FFIE, l’Agence Qualité Construction ou le CSTB. Le Syndicat de l’éclairage est en contact avec ces organisations pour que la qualité de l’éclairage ne soit pas oubliée dans leurs communications. Nous voulons aussi construire des outils pratiques pour favoriser la qualité et défendre la valeur du marché via la production d’un corpus de fiches didactiques expliquant les critères de qualité sur, par exemple, la gestion intelligente de l’éclairage, la réparabilité ou les bienfaits d’un bon éclairage. En d’autres termes, comment pouvons-nous parvenir à faire reconnaître ou à mieux considérer l’intérêt de la qualité de l’éclairage, du matériel, de la conception du projet, de l’installation par la collectivité ? Comment faire comprendre les conséquences d’un bon éclairage sur le bien-être, la santé ? Je pense, à titre personnel, que nous pourrions travailler plus intensément sur ces sujets d’intérêt commun avec l’ACE et l’AFE. Améliorer la qualité de l’éclairage passera par l’intensification de la collaboration entre les maîtrises d’ouvrage qui en comprennent l’intérêt, les maîtrises d’œuvre capables de le traduire dans leurs études, les industriels et les installateurs qui sont en mesure de satisfaire les objectifs dans le respect des intérêts économiques de chacun.
Éric Drivon – Lorsque j’ai rejoint le secteur de l’éclairage en 2002, les commerciaux possédaient une véritable expertise technique. Peu à peu, les fabricants ont réorienté leurs priorités, réduisant leur rôle d’accompagnement technique, de formation aux nouveautés, et d’explication sur les exigences des réglementations et la construction de cahiers des charges conformes aux normes. Cet accompagnement doit être réintroduit de manière systématique par les fabricants. Il est essentiel de recréer ces échanges techniques pour ramener le marché à des standards élevés. Nous réfléchissons aussi à définir les critères des nouveaux indicateurs de qualité des ambiances intérieures dans la future RE2030, notamment la modulation temporelle, le rythme circadien, l’efficacité des capteurs et leur mise en œuvre. Nous souhaitons également initier des actions réglementaires et d’influence pour promouvoir la prescription, la  transparence du marché et son bon fonctionnement.

Comment comptez-vous opérer pour favoriser cette transparence du marché ?
Emmanuel Gagnez – Il faudra bien à un moment donné distinguer dans les appels d’offres, la fourniture de la pose ! C’est ce qui permettra de donner de la transparence au marché ; c’est le cas en Suisse et dans d’autres pays européens. Le maître d’ouvrage et son maître d’œuvre seront alors en mesure d’accepter ou non, en toute connaissance de cause, les variantes et surtout les prix qui leur sont proposés. Le fonctionnement optimal du marché exige transparence et loyauté.
Éric Drivon – En France, nous sommes confrontés au problème suivant : la différence entre la vraie équivalence technique et la variante est démesurée. Encore une fois, le manque de connaissance des technologies et la difficulté des maîtres d’ouvrage à faire monter leurs équipes en compétence se trouvent à la source des dysfonctionnements du marché. Au-delà de l’information et de la formation en éclairage, nous devons aussi réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour vérifier les installations.

La pression environnementale va s’intensifier
et nous devons trouver la façon d’y répondre
par des certifications qui engagent nos entreprises. Éric Drivon

Vous voulez dire s’assurer du respect de la prescription ?
Emmanuel Gagnez – Oui. Par exemple, on pourrait élaborer une fiche très simple sur le pilotage de l’éclairage qui ferait écho à l’obligation réglementaire et indiquerait que « cette installation d’éclairage répond à certains standards en audit qualité » et les installateurs auraient l’opportunité de mettre en
avant la qualité de leur travail. Et on aurait aussi la capacité de mettre en lumière les projets mal prescrits et mal exécutés. On donnerait ainsi à des personnes qui ne sont pas des techniciens une forme de rassurance sur le fait qu’elles ont été convenablement servies. Cela pourrait se traduire par une sorte de charte avec des critères susceptibles d’appréhender la qualité de l’installation de l’éclairage.
Éric Drivon – Ce contrôle pourrait servir toute la profession. Aujourd’hui, les concepteurs lumière sont quasiment obligés de s’assurer eux-mêmes que l’installation correspond bien à ce qu’ils ont prescrit, car c’est tout le concept lumineux qui est en jeu, le type de matériel, les performances, l’implantation, l’orientation des luminaires, les réglages. Nous pouvons, en tant que fabricants, encourager la maîtrise d’ouvrage à faire respecter les prescriptions de l’étude d’éclairage. Il existe de nombreux champs d’opportunités pour l’avenir ! La pression environnementale va s’intensifier et nous devrons y répondre par des certifications, des données environnementales produits, mais aussi les engagements RSE de nos entreprises. Toute cette dynamique doit être prise en compte et nous pousser vers des solutions à valeur ajoutée. Les maîtres d’ouvrage de plus en plus sensibles aux enjeux écologiques sont nombreux, et c’est notre rôle de les accompagner dans leur démarche d’achat responsable et de solutions réparables.

Il s’agit donc de restaurer des valeurs, au pluriel ?
Emmanuel Gagnez – En effet, « Restaurer la valeur » prend plusieurs sens : le sens monétaire, financier du terme ; le sens de la valeur technique, qui vaut aussi bien pour le matériel que pour la conception des projets et la qualité de l’installation. C’est également la reconnaissance de la valeur réelle et nécessaire apportée par chacun des différents acteurs de la chaîne.
Éric Drivon – Il est essentiel de valoriser le travail de nos équipes et de continuer à les former à l’éclairage. Nous devons agir activement au sein de nos entreprises pour renforcer notre métier, en nous engageant à former nos collaborateurs au quotidien et en encourageant l’utilisation d’un langage technique. Enfin, l’éclairage est une source d’émotion, et ensemble, nous pouvons contribuer à mettre en valeur cette dimension précieuse !
Propos recueillis par Isabelle Arnaud

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