Depuis plus de trente ans, Soizick Bihen fait plus que concevoir des mises en lumière pour des espaces intérieurs ou extérieurs. Elle les explore, les renouvelle et par-dessus tout, les partage.
Dès sa sortie de l’école Camondo en 1990, Soizick Bihen s’est orientée vers l’éclairage. Elle a appris le métier d’éclairagiste-concepteur lumière durant quatorze ans dans deux bureaux d’études spécialisés, Light Cibles et Aartill, lui permettant de se frotter à tous les types de projets de conception lumière, en France comme à l’étranger, intérieurs et extérieurs. En 2007, Soizick Bihen crée sa propre agence. Elle propose à ses clients, privés ou institutionnels, son regard et ses approches spécifiques pour concevoir des projets de mise en lumière et d’illumination intégrant à la fois ses connaissances techniques indispensables pour un tel métier, et sa sensibilité spécifique d’architecte d’intérieur. Soizick Bihen est également enseignante à l’école Camondo.
Comment a commencé l’activité de l’agence Soizick Bihen ?
Soizick Bihen – J’ai tout d’abord travaillé, en indépendante, sur de nombreux petits projets extérieurs. Puis j’ai croisé le chemin de l’équipe de l’Atelier de l’Île, dirigé par Marc Quelen, qui avait ouvert en 1999 un deuxième pôle architecture et paysage dans le Grand Ouest (Brest et région). Nous avons répondu ensemble à plusieurs concours, puis en 2014, nous avons gagné l’appel d’offres pour l’aménagement urbain de trois stations de métro de la ville de Rennes, réalisation qui vient d’être livrée, d’ailleurs ! Mais le premier projet qui a marqué mon travail en tant qu’indépendante est celui, en extérieur, de la tour Solidor du musée des Cap-Horniers à Saint-Malo avec les ruines d’une cathédrale romaine. L’idée était de souligner discrètement cette tour qui se voit depuis Dinard. La difficulté consistait à mettre en lumière le monument sans ostentation, avec une lumière la plus douce possible. Ensuite, j’ai travaillé sur l’éclairage intérieur du restaurant d’Olivier Roellinger, à Cancale. Les propriétaires avaient acheté un grand lustre aux Puces de Saint-Ouen et souhaitaient partir de cet objet à la fois décoratif et lumineux pour élaborer l’éclairage de la salle à manger. J’ai joué sur des petits projecteurs halogènes qui donnaient l’illusion que la lumière provenait du lustre lui-même. Ce n’était pas encore l’époque de la led et lorsque celle-ci a été disponible et de qualité, mes concepts lumière ont évolué vers plus de mouvement et d’éclairage dynamique.
La led a donc modifié votre approche du projet d’éclairage ?
Soizick Bihen – Disons qu’elle a rendu possibles des scénarios inimaginables, ou du moins difficilement réalisables, auparavant. Je me souviens d’un projet concernant une salle de concert, le Silex, à Auxerre, où j’avais pu créer un concept qui associait les changements de couleur au rythme de la musique, le tout piloté à partir d’une même console. Ces jeux de lumière permettent de raconter une autre histoire, c’est en cela que la led a complètement changé ma façon d’aborder la conception lumière.
En extérieur, la lumière transmet un message, elle sert de repère dans la ville. Récemment, j’ai éclairé la place de la Liberté, à Brest, qui vient d’être réaménagée par l’Atelier de l’Île. Marc Quelen a élargi les terrasses en créant un lien avec la partie basse de la place et en rééquilibrant les usages et les flux. Dans ce contexte, il m’a donné carte blanche pour redonner vie à ces espaces délaissés par les Brestois et devenus lieux de trafics illicites. J’ai opté pour une lumière douce et presque intimiste qui fait appel à des changements de couleur dynamiques. Il ne s’agissait pas tant de théâtraliser les cheminements, passage sous voirie compris, que d’apporter davantage de convivialité et d’inviter les usagers à se réapproprier la place. Nous avons mis en œuvre des scénarios basés sur les rythmes des saisons, des week-ends et de la nuit, avec des variations d’intensité, de couleurs selon l’occupation des lieux.
Il y a une dizaine d’années, j’ai éclairé un centre commercial à Éragny en travaillant sur les transparences et en créant une mise en lumière discrète de la façade, ce qui n’était pas dans les habitudes à cette époque-là où on avait plutôt tendance à mettre l’accent sur l’effet lumineux, même en intérieur. Au fil des années, les maîtres d’ouvrage se sont rendu compte de l’importance de la lumière pour le confort et le bien-être des usagers, plus que de la quantité de lux ! Cette prise de conscience se généralise et les municipalités optent pour des lumières sobres et respectueuses de l’environnement. Le projet des « Dix petites cités de caractère », initié par Roger Narboni, Concepto, en est une belle illustration.
Quelle a été votre intervention dans ce projet ?
Soizick Bihen – En 2018, le département des Deux-Sèvres a souhaité prolonger l’attractivité touristique du territoire sur le temps nocturne et proposer aux visiteurs une expérience nouvelle. Tout d’abord, une signature globale a été imaginée par l’agence Concepto pour l’ensemble des dix communes : allier patrimoine et nature grâce à la lumière. Aujourd’hui, nous sommes plusieurs concepteurs lumière à accompagner ces villes. Le principe est simple : un éclairage de l’église en blanc chaud et des projections de végétation au sol. Pour ma part, j’ai gagné l’appel d’offres de la ville de Coulon, surnommée la Venise verte, dotée d’embarcadères d’où partent les nombreuses barques pour la visite des marais poitevins. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la commune de Coulon afin d’élaborer les tableaux des images projetées de la faune et la flore du Marais. Ces études à quatre mains ne sont pas pour me déplaire car elles permettent d’échanger et de faire preuve de plus de créativité.
Je travaille en ce moment sur un projet commencé par Stéphane Servant, qui souhaite se consacrer à une autre activité que la conception lumière, et qui concerne la ville du Quesnoy, dans le Nord. L’objectif est d’instaurer une charte lumière pour assurer une zone préservée dite « clair de lune » sur la ceinture de fortifications. M’inspirant fortement de ce que Stéphane Servant a déjà imaginé, je poursuis l’étude en m’appuyant sur les esquisses de départ. C’est aussi un moyen de se remettre en question, d’être plus inventive. C’est un peu ce que je fais lorsque je suis en face de mes élèves !
Vous parlez des élèves de l’école Camondo, où vous enseignez ?
Soizick Bihen – Oui, l’école propose des cours d’éclairage depuis sept ou huit ans et j’ai pris la suite de Philippe Almon depuis un an. Le fait de transmettre ce savoir me paraît très intéressant, et surtout de constater la sensibilité des jeunes aux ambiances lumineuses sobres et douces. Nous abordons aussi l’éclairage extérieur et je vais organiser des promenades nocturnes avec eux afin de les mettre concrètement en contact avec la lumière, si j’ose dire, de leur permettre de porter un autre regard sur le rôle de la lumière dans les espaces publics. J’interviens également à l’école de Condé, à Paris,, avec toujours à l’esprit d’expliquer et de démontrer comment la lumière artificielle peut accompagner les architectures intérieures ou les aménagements urbains. Et l’échange, qu’il soit avec des étudiants ou des professionnels, est toujours très constructif.
Vous avez d’ailleurs rejoint l’ACE et l’association des concepteurs lumière sans frontières (LSF) récemment ?
Soizick Bihen – Oui, je manquais de temps jusqu’à maintenant, car il faut savoir s’investir lorsqu’on adhère à des organismes professionnels. Je trouve passionnant et très stimulant de réfléchir ensemble à notre métier et, encore une fois, de transmettre à la deuxième, voire la troisième, génération. Je fais même partie du bureau de l’ACE depuis l’assemblée générale de février dernier. La préparation et l’organisation des conférences des Rencards de l’ACEtylène ont été très enrichissantes.
Quant à LSF, association à but humanitaire créée en 2007, elle réunit une cinquantaine de bénévoles issus de la filière éclairage qui s’efforcent de transférer un savoir-faire dans le respect des cultures locales. Nous avons notamment travaillé à plusieurs sur la Maison d’Adrien, lieu d’accueil dans le sud de la France pour les parents d’enfants malades.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud