Au cœur des enjeux de transition énergétique et numérique des bâtiments, la Fédération française des intégrateurs électriciens (FFIE) accompagne ses adhérents dans la mutation des métiers de l’électricité. Avec le développement des solutions connectées à haute valeur ajoutée, la montée en compétences des acteurs et la nécessité pour eux de trouver des modèles économiques adaptés s’imposent. Emmanuel Gravier, président de la FFIE, revient sur les enjeux phares de la filière et sur l’adaptation de ses acteurs aux pénuries, à l’arrivée des nouvelles technologies du bâtiment et aux nouveaux besoins en compétences.
Quels sont les principaux enjeux et sujets phares de la FFIE cette année ?
Emmanuel Gravier – La question des approvisionnements est un sujet lourd et handicapant en ce moment, qui va rapidement entraîner des conséquences sur l’activité de nos adhérents. Les équipements les plus problématiques sont les câbles, les chemins de câbles, mais aussi les ventilateurs ou les variateurs de vitesse. Le déploiement des infrastructures de recharge des véhicules électriques (IRVE) est aussi un enjeu pour nos métiers, car il y a encore beaucoup à faire et tous nos adhérents peuvent y trouver leur place. Mais nous considérons encore que certains décrets sont handicapants. Nous suivons également les événements réglementaires, très favorables à l’électricité, notamment la RE2020, le décret BACS ou le dispositif écoénergie tertiaire. Par ailleurs, nous gardons un œil intéressé sur les évolutions technologiques qui font converger l’électricité et le numérique, notamment le BIM ou les objets connectés. Nous œuvrons à la création de formations diplômantes sur ces sujets.
Après des années de tergiversations, les solutions de performance énergétique dites actives arrivent aujourd’hui en force dans les textes de loi, notamment dans le décret tertiaire, le décret BACS et la RE2020. Constatez-vous un mouvement de fond ?
E. G. – Nous ne constatons pas un véritable mouvement de fond pour l’instant. Nos adhérents entendent parler de ces sujets, tout comme les maîtres d’ouvrages. Notre objectif est d’aider nos adhérents à s’en emparer, afin qu’ils comprennent les bénéfices qu’ils peuvent en tirer et qu’ils puissent conseiller au mieux leurs clients. Cependant, le contexte géopolitique va certainement retarder ce mouvement. Quoi qu’il en soit, l’environnement législatif suit les enjeux de décarbonation et la digitalisation, ce qui est une très bonne chose.
Quelles sont les opportunités offertes par les solutions de pilotage du bâtiment ?
E. G. – Ces solutions permettent une utilisation pertinente de l’électricité, pour éviter de consommer plus que nécessaire. Elles aident les opérateurs à gérer le mix entre ce qui est produit, les usages et les consommations. L’intelligence permet de stocker ou produire ce qu’il faut en fonction des besoins. Le digital permet d’anticiper les besoins et de prendre les meilleures décisions grâce à un ensemble de données issues des installations.
Le bâtiment prend progressivement une place de hub énergétique, avec le développement de l’autoconsommation et l’intégration d’infrastructures de recharge de véhicules électriques. Comment ces changements impactent-ils les métiers de vos adhérents ?
E. G. – Ces changements sont extrêmement impactant. Il faut des opérateurs de systèmes, qui font appel aux électriciens. C’est une véritable révolution copernicienne. Il est nécessaire de trouver les bons profils, qui sont rares aujourd’hui. La question du partage de la valeur ajoutée se pose également, car il convient de trouver les modèles économiques adaptés, pour que chaque acteur trouve son compte. La révolution arrive à grands pas et nous sentons un véritable mouvement de fond. La combinaison de l’intelligence artificielle et des logiciels de gestion est très complexe et sort des compétences de la grande majorité des électriciens. Si nous ne prenons pas la balle au bond, les marchés seront remportés par d’autres acteurs plus compétents sur ces sujets. Il s’agit pour nos adhérents de véritables opportunités, mais nous devons les aider à rapidement prendre le train en marche.
Comment accompagnez-vous vos adhérents dans ces transitions profondes du métier d’intégrateur électricien ?
E. G. – Nous avons des commissions de travail très actives sur ces sujets, avec des réunions régulières dans toute la France. Nous travaillons également avec l’Éducation nationale pour mettre au point des référentiels pour les formations à BAC+2 et plus. Nous collaborons aussi avec les organismes de formation privés et avec les constructeurs sur les Operating Systems. Enfin, nous menons des actions auprès des pouvoirs publics et sommes impliqués dans les engagements de développement de l’emploi et des compétences (EDEC), afin d’accompagner les mutations de notre filière. L’ensemble de la FFIE est très engagé sur ces sujets, qui préfigurent l’avenir de nos métiers.
Ces changements liés au marché font aussi bouger les lignes sur le plan normatif. Quelles sont les principales évolutions de normes à suivre dans le secteur de l’électricité ?
E. G. – Aujourd’hui, ce sont principalement des travaux sur des normes de simplification d’installation. Les fabricants mettent sur le marché des solutions intelligentes qui retirent les prérogatives de dimensionnement et de calcul aux électriciens. Tout un ensemble de systèmes est intégré aux nouveaux produits pour simplifier l’installation. Je pense notamment au matériel dédié aux salles de bains qui est nativement protégé, ce qui crée une perte de valeur ajoutée pour nos adhérents.
Par quels vecteurs sensibilisez-vous vos adhérents à ces enjeux ?
E. G. – Nous communiquons régulièrement auprès de nos adhérents. Nous organisons également des réunions techniques et nous menons des travaux normatifs pour tenir au courant nos adhérents des évolutions des normes. La sensibilisation des adhérents aux mutations des métiers de l’électricité représente plus de 50 % de l’activité de la FFIE.
Plus globalement, la question des compétences est centrale dans le cadre de la transition énergétique et numérique des bâtiments. Y a-t-il une pénurie de profils qualifiés ?
E. G. – Bien évidemment. Nous la constatons sur tous les métiers, mais surtout au sein des bureaux d’études et des installateurs de haut niveau. Toute la filière doit agir et nous devons mener ce battage. À court terme, la filière n’est pas prête. Mais heureusement, le business n’est pas encore là. Encore une fois, nos adhérents doivent se préparer dès aujourd’hui à ces nouveaux marchés, faute de quoi d’autres acteurs les récupéreront.
Quelles sont vos propositions aux pouvoirs publics pour accompagner la transition des compétences ?
E. G. – Il s’agit principalement de propositions de filière. Il y aura du travail à venir et de vraies opportunités, à condition que toute notre filière soit engagée. Nous devons parvenir à donner envie aux jeunes de choisir ces métiers. Les problèmes se posent dès la formation initiale, car les BTS d’électricité générale ne vont bientôt plus suffire. Le bâtiment doit faire sa révolution d’attractivité. Je pense qu’il y a un véritable coup à jouer pour les jeunes qui choisissent ces filières, qui touchent aujourd’hui à toutes les sphères du quotidien.
Quels sont selon vous les facteurs clés de succès pour mener à bien la transition énergétique ?
E. G. – Le premier facteur clé est de trouver les bonnes personnes. Il faut également mettre au point de bonnes approches marketing, en se focalisant sur le marketing de l’offre. Le mouvement est lancé, à nous d’être attentifs. Si nous sommes présents et bien positionnés sur ces marchés, nous y prendrons part et profiterons du mouvement créé par la transition énergétique. Sinon, ça nous passera sous le nez.
Les solutions numériques pour la gestion des équipements du bâtiment fleurissent, avec l’arrivée d’acteurs venus de l’IT. Quels sont les potentiels de ces solutions et comment vos adhérents s’adaptent-ils à leur mise en œuvre ?
E. G. – Aujourd’hui, nous ne nous adaptons pas. Si demain, une véritable poussée technico-commerciale avait lieu, nous ne saurions pas y répondre. De gros acteurs de l’IT s’intéressent de près au bâtiment et proposent d’ores et déjà des solutions. Elles permettent d’améliorer la performance énergétique, à condition de bien définir les besoins et de prendre en compte les usages propres à chaque bâtiment. Attention tout de même d’éviter les pièges du gadget, qui nuirait à la performance du bâtiment. Dans ce cadre, le rôle de conseil des intégrateurs est essentiel.
Ces solutions diffèrent des métiers historiques des intégrateurs électriciens, car elles nécessitent des temps de paramétrage et de programmation. Vos adhérents parviennent-ils à trouver les modèles économiques adaptés ?
E. G. – Pour le moment, nous ne parvenons pas à vendre correctement les temps de programmation supplémentaires. Tous les clients n’acceptent pas ce surcoût. Le modèle économique adapté n’est pas encore trouvé et nous perdons souvent de l’argent en installant ces solutions. Et si nous perdons de l’argent sur un chantier, c’est que le devis a été mal réalisé. Il y a des axes d’amélioration et des modèles dont nous pourrions nous inspirer du côté de l’industrie, qui est bien plus mature sur ces sujets.
Quelles technologies offrent le potentiel le plus intéressant pour la gestion des bâtiments (BIM/BOS/IA/GMAO…) ?
E. G. – L’IoT et l’IA vont de pair et offrent selon moi un formidable potentiel. Ces technologies apportent de très forts progrès aux supervisions. Une entreprise comme Legrand atteint aujourd’hui près de 30 % de son chiffre d’affaires sur les solutions connectées. D’autres technologies comme le BIM peinent à se massifier, car les processus sont encore très complexes, avec très peu d’acteurs formés à ces sujets.
Vos adhérents constatent-ils une augmentation des demandes de leurs clients pour la mise en œuvre de ces solutions connectées ?
E. G. – Les demandes arrivent, c’est certain. Le marché commence à montrer un fort intérêt pour ces solutions. Sur certaines catégories de projets, notamment le tertiaire haut de gamme, les solutions connectées sont très plébiscitées et la maîtrise d’ouvrage pousse leur développement.
À la suite de la pandémie et dans un contexte géopolitique actuel très tendu, les pénuries de composants et de matériaux pèsent sur la filière électrique. Comment vos adhérents y font-ils face ?
E. G. – Tous les composants électrotechniques sont frappés par ces pénuries. Pour vous donner des exemples très parlants, nous avons dû acheter deux automates Siemens sur Leboncoin pour finaliser une installation. Quand on en arrive là, c’est que la situation est très tendue. Heureusement, les distributeurs ont fait du stock et ont encore la plupart des références disponibles, mais ça ne devrait pas durer. Ensuite, concernant les matières premières, notamment l’acier, le cuivre ou l’aluminium, les prix atteignent des sommets absolus. Il faut attendre encore quelques semaines pour voir apparaître un apaisement du marché. Il faut que le marché se réorganise et nous avons très certainement devant nous un à deux mois très compliqués. Nous sommes encore un peu dans le flou. Il y a deux aspects principaux : d’une part, il manque des constituants électriques et électroniques pour fabriquer les sous-ensembles, notamment des automates, et d’autre part, il manque des équipements, à l’image des variateurs de vitesse. Cette crise est très soudaine et nous devons y faire face.
Avez-vous mis en place des procédures d’accompagnement ?
E. G. – Aujourd’hui, nous surveillons exclusivement les cours des différents types de câbles et nous en tenons informés nos adhérents.
La question du recyclage des équipements électriques prend de l’importance et les intégrateurs et installateurs sont en première ligne. Comment les sensibilisez-vous au recyclage ?
E. G. – À la FFIE, nous faisons des communications régulières à destination de nos adhérents sur le sujet du recyclage, en délivrant des messages sur les aspects généraux. Il s’agit d’une préoccupation sociétale majeure, mais dans les faits, pour les professionnels, la question est plus complexe économiquement. Il y a notamment des tensions avec les pouvoirs publics sur les notions de responsabilité élargie des producteurs (REP), imposées par la loi sur l’économie circulaire. Pour être tout à fait honnête, le recyclage n’est pas bien réalisé dans la plupart des cas. La filière a une marge de progression importante.
Pour aller plus loin dans la réflexion, comment vont évoluer les marchés de la distribution et de la production d’électricité au sein des bâtiments dans les années à venir, selon vous ?
E. G. – L’autoproduction et l’autoconsommation vont se développer très rapidement, en intégrant des composantes de stockage d’électricité. L’augmentation très importante des prix de l’énergie, qui devraient poursuivre leur hausse dans les années à venir, réduit considérablement les temps de retour sur investissement de ces installations. Elles permettent de sécuriser tout ou partie de la facture énergétique à long terme. De plus en plus de particuliers et d’entreprises iront vers ces solutions. Comme c’est le cas pour d’autres types d’installations, les électriciens vont devoir s’aguerrir.
Comment imaginez-vous le bâtiment de 2050 et quelles sont les actions à mettre en œuvre dès aujourd’hui pour tendre vers ces nouveaux enjeux ?
E. G. – Je pense que le bâtiment de 2050 sera tout numérique et intelligent. Il intégrera également de l’autoconsommation et de l’autoproduction pour améliorer sa performance énergétique. Pour arriver à ces résultats, il faut impérativement développer les compétences des intégrateurs, du point de vue de la technologie, de l’interconnectivité des solutions, des objets connectés, du traitement des données et de la sécurité.
Comment va évoluer la FFIE dans les années à venir ?
E. G. – Nous intégrerons de plus en plus de sujets technologiques d’une part, en délaissant progressivement les aspects normatifs. Nous nous consacrerons également davantage à la prospective pour donner à voir à nos adhérents sur le futur de leur métier.