Le Grand Paris Express, composé de 68 gares imaginées par 36 cabinets d’architectes, a dès le départ laissé une place inédite à l’éclairage. Interview croisée des concepteurs lumière Vincent Thiesson, agence ON, et Florian Colin, Coup d’Éclat.
Conçue pour les 68 gares du Grand Paris Express, la charte lumière vient apporter des éléments communs dans les différents projets. Elle a marqué la volonté de la maîtrise d’ouvrage. Les concepteurs lumière Vincent Thiesson, fondateur de l’agence ON, en charge de la mise en lumière de cinq gares, et Florian Colin, Coup d’Éclat, à l’origine de la charte, soulignent la place des concepteurs dans ce projet hors du commun.
Comment les concepteurs lumière ont-ils été intégrés aux équipes projets sur les différentes gares ?
Florian Colin – Pour un certain nombre de projets, les concepteurs lumière ont été intégrés dès le départ aux groupements et le pôle de conception a pu travailler ensemble et aller dans la même direction. Pour d’autres gares, les équipes ont contacté les concepteurs lumière tardivement, parfois pour traiter jusqu’à cinq projets en même temps. Un travail d’études à la chaîne, avec peu de concertation et des rapports visiblement plus tendus. Nous avons dû, AMO et MOA, nous battre parfois pour l’intégration des concepteurs lumière aux équipes et nous avons même surpris des bureaux d’études divers à venir présenter des projets d’éclairage.
Vincent Thiesson – La question de l’intégration des appareils d’éclairage à l’architecture a été difficile à comprendre et à accepter pour les architectes. Selon les projets, les concepteurs lumière ont été intégrés soit aux pôles de conception, soit aux pôles techniques. Les architectes défendent leur objet architectural et dans certains cas, les concepteurs arrivent à la fin et sont employés comme simples bureaux d’études.
Comment s’est déroulée la collaboration entre les concepteurs lumière et les architectes ?
Vincent Thiesson – Notre rôle était de partager les objectifs dictés par la charte lumière et ensuite, nous devions traduire les partis pris architecturaux en concepts lumineux. Il faut donc trouver un terrain d’entente avec les architectes. Dans les projets d’éclairage extérieur, nous bénéficions de plus de liberté, contrairement aux projets d’éclairage intérieur. L’Agence ON a été mandatée pour mettre en lumière cinq gares au total. Pour deux d’entre elles, nous avons été choisis par les architectes en amont et nous avons pris part au projet assez tôt. Pour les trois autres, nous avons été contactés en juillet pour réaliser trois études à rendre pour le mois d’août.
Florian Colin – Au départ, cinq agences de conception ont été choisies pour éclairer les gares, et il en reste aujourd’hui trois ou quatre. Du côté de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, nous avons pu constater une évolution positive au fil des ateliers et des échanges. Il faut le temps à chacun de s’apprivoiser et d’échanger en amont.
La charte du Grand Paris Express devait créer un langage commun entre les concepteurs lumière et définir des éléments récurrents afin de créer une unité pour l’ensemble des gares du projet. Quelle a été la réponse des concepteurs lumière à cette charte ?
Florian Colin – Les concepteurs lumière ont su saisir la souplesse de la charte et proposer des solutions très variées, dépendant de l’architecture de la gare et de son environnement. L’éclairage des escaliers a par exemple été traité dans 95 % des cas par l’intégration de luminaires dans les mains courantes. En revanche, l’éclairage est parfois constitué de points, de lignes… De manière générale, nous avons constaté une appropriation et une adaptation de la charte. La charte donnait les grandes lignes et avait notamment pour objectif de créer une unité pour l’éclairage du réseau. Dans les gares, le cahier des charges s’apparentait davantage à un guide de préconisations techniques générales, à adapter à chaque
typologie de projets.
C’EST LA PREMIÈRE FOIS
QUE LA LUMIÈRE OCCUPE UNE PLACE AUSSI IMPORTANTE
DANS UN PROJET DE CETTE ENVERGURE
Vincent Thiesson – La charte n’a pas freiné la créativité des concepteurs. Le maître d’ouvrage nous demande de répondre à des questions, ce qui est une démarche intéressante. Cela permet de créer des liens entre l’éclairage général et l’éclairage d’accentuation, entre lumière naturelle et artificielle, entre ce qui est propre à la gare ou au réseau. La question du passage du quai à l’architecture propre de la gare soulève des problématiques de transitions, auxquelles nous répondons dans notre dossier lumière. Des réponses très variées ont été apportées par les différentes équipes, malgré le peu d’échanges au sein de la profession.
Le Grand Paris Express est le premier projet urbain de cette ampleur à faire appel à des concepteurs lumière de manière systématique. Quel est votre sentiment sur l’impact de ce projet sur la prise en compte de l’éclairage dans les projets architecturaux ?
Vincent Thiesson – C’est la première fois que la lumière occupe une place aussi importante dans un projet de cette envergure. La charte rédigée en amont a marqué les ambitions de la maîtrise d’ouvrage et a permis de définir un langage commun pour la mise en lumière d’architectures très différentes. Nous avons le sentiment que la vision des architectes a évolué avec ce projet grâce aux réunions récurrentes entre les équipes. La conception lumière est devenue un sujet à part entière.
Florian Colin – Ce projet est une véritable vitrine pour la profession par le nombre et la diversité des objets architecturaux à éclairer. Il permet aussi de créer des liens entre les architectes et les concepteurs lumière, ce qui devrait déboucher sur des collaborations plus systématiques dans le futur.
Où s’arrêteront les missions des concepteurs lumière pour ces projets du Grand Paris Express ?
Vincent Thiesson – Nous souhaitons être rassurés par la maîtrise d’ouvrage pour mener un suivi jusqu’à la phase chantier. La discussion est riche en amont du projet, mais c’est aussi lors du passage en chantier et des premiers essais que l’assistance à maîtrise d’ouvrage apporte une réelle valeur ajoutée.
Florian Colin – Pour le moment, notre mission va jusqu’à la phase Pro-B (étude de projet détaillée). Elle a déjà évolué à plusieurs reprises depuis le départ, qui comprenait l’élaboration de la charte, assortie du cahier des charges et des analyses de livrables. Nous avons par la suite proposé à la Société du Grand Paris d’organiser des ateliers entre les rendus. Nous souhaitons que les concepteurs lumière puissent suivre les chantiers jusqu’à la fin. Pour éviter qu’à la fin, les projets ne leur sortent des mains.
Pour la suite et les phases de chantiers, craignez-vous des contre-prescriptions ou des modifications majeures sur les études des concepteurs lumière ?
Florian Colin – La maîtrise d’ouvrage souhaite réaliser un travail d’uniformisation par tronçon : soit des lignes de bout en bout, soit des morceaux de lignes. Si sur la ligne 15, par exemple, différentes références de projecteurs symétriques ont été prescrites par les concepteurs lumière, il faudra trancher et nous sommes favorables au choix d’un produit unique. D’autant que pour certains tronçons, nous ne savons pas encore qui sera l’exploitant. Cette question doit être intégrée au DCE (dossier de consultation des entreprises).
Vincent Thiesson – Une des questions qui se posent est liée à la maintenance des appareils d’éclairage. Les maîtres d’ouvrage voudront très certainement proposer des produits par typologies pour simplifier la maintenance et réduire le nombre de références. Nous craignons simplement que la décision finale revienne à un acheteur, qui pourrait opter pour le moins-disant.
Propos recueillis par Alexandre Arène
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Cette interview fait partie de notre Cahier technique consacré aux gares du Grand Paris Express.