Pour les jeunes fondateurs de Cent15 Architecture, Rodolphe Albert (à gauche) et Maxime Scheer, la lumière s’est « apprise » en même temps que l’architecture.
Les architectes Rodolphe Albert et Maxime Scheer, Cent15 Architecture, portent le même regard sur la lumière : naturelle, elle accompagne la création architecturale ; artificielle, elle devient jeu de contrastes dans la conception lumière, fuyant l’uniformité et l’homogénéité.
Leur parcours ? Après avoir suivi leurs études à l’ENSA Paris Belleville et forts de leurs expériences universitaires et professionnelles à Paris, Madrid, Stockholm et Genève, Maxime Scheer et Rodolphe Albert se sont associés afin de partager et imaginer une architecture commune. Ils ont créé l’agence Cent15 Architecture en 2011 après la réhabilitation du théâtre du Trianon.
Maxime a effectué une partie de son cursus en Espagne à la Escuela Técnica Superior de Arquitectura de Madrid où il a été élève d’Alberto Campo Baeza et du groupe AMID (Cero9). De retour en France, il a travaillé dans l’agence de Pierre-Louis Faloci puis dans les Ateliers Jean Nouvel à Paris. Rodolphe a suivi une partie de son cursus en Suède à la Kungliga Tekniska Högskolan où il a été élève de Tor Lindstrand et d’Alexis Pontvik. Il a ensuite travaillé à Genève dans l’Atelier Bonnet. En France, il a travaillé dans l’agence Paysage et Lumière puis chez Arnaud Goujon Architectes.
Comment liez-vous votre travail sur la lumière à votre approche de l’architecture ?
Maxime Scheer – J’ai quasiment découvert les deux en même temps, dans le cadre de mon cursus à l’ENSA de Belleville, où j’ai appris qu’on ne peut pas construire sans lumière. Ensuite, j’ai fait un an d’Erasmus à Madrid et cette expérience m’a littéralement offert une autre vision de l’architecture et de la lumière, avec des vraies questions fonctionnelles et techniques relatives au climat, à l’activité et la géographie des lieux dans lesquels s’inscrivent nos travaux d’architecture. J’ai eu la chance d’apprendre beaucoup auprès d’Alberto Campo Baeza qui travaille la lumière de façon magistrale. C’est là que j’ai compris que, quoi qu’il se passe et que l’on soit à Madrid ou à Paris, la lumière est indissociable du reste. Lorsque nous sommes sortis de l’ENSA, Rodolphe Albert et moi avons souhaité créer notre propre agence rapidement, après quelques expériences, entre autres dans les agences de Pierre-Louis Faloci et Jean Nouvel en ce qui me concerne, et de Paysage et Lumière et Goujon Architectes pour mon associé. Nous étions aussi nourris de notre formation à Belleville où la lumière occupe une place centrale : on nous y apprend avant tout le dessin et la maquette, ce qui veut dire travailler l’ombre et la lumière. On apprend très vite que sans la lumière, on ne peut rien faire ! Et au début des années 2000, nous ne travaillions pas encore sur ordinateur, donc nos calculs et nos dessins étaient faits à la main…
Rodolphe Albert – Si vous dessinez l’ombre portée sur un objet ou une surface, vous devez comprendre comment cette ombre est créée, comment la lumière agit. Si c’est l’ordinateur qui effectue le calcul et vous propose le rendu, vous allez vous détourner de la source de lumière en quelque sorte et passer à côté d’une étape essentielle. Je suis convaincu que c’est ce qui a forgé notre façon d’utiliser et de façonner la lumière : nous travaillons la lumière naturelle au maximum. Tout notre projet d’architecture est basé sur la lumière naturelle, dans le sens où nous recherchons toujours la frontière entre l’extérieur et l’intérieur : d’où on va la capter et où on va l’apporter.
Et en éclairage artificiel, sur quels principes s’appuie Cent15 Architecture ?
Rodolphe Albert – La lumière artificielle, pour nous, c’est du bonus et nous la concevons toujours avec deux ou trois systèmes qui nous permettent de jouer sur les contrastes, l’intensité, l’orientation des éclairages. Nous n’essayons pas de « copier » les effets de la lumière du jour, au contraire, nous imaginons l’éclairage artificiel en fonction de l’application afin qu’il réponde vraiment aux besoins des occupants. Nous pouvons utiliser la lumière pour créer des scènes, des ambiances avec une précision incomparable. Nous travaillons beaucoup sur des projets de bureaux et de logements : il est évident qu’on ne va pas éclairer de la même façon ces deux types d’espaces ; on occupe le bureau pendant la journée alors qu’on est chez soi le soir (hors période de confinement !).
Maxime Scheer – Nous avons conscience de nos limites car nous n’apprenons pas vraiment la lumière artificielle en école d’architecture et même si nous l’abordons avec beaucoup de plaisir, cela nous est difficile de l’appréhender ; pour cette raison, nous nous associons souvent aux concepteurs lumière, comme Philippe Collet d’Abraxas Concepts. Ils nous apportent leur expertise et leur savoir-faire, sans pour autant nous faire renoncer à nos propres idées sur la façon d’éclairer un espace. Même si on a l’impression que la lumière est magique, nous savons bien qu’elle se calcule, qu’elle se contrôle, voire qu’elle se pilote. Et malgré les normes et la réglementation, on perçoit bien les intentions et le côté instinctif du concepteur lumière.
Dans notre dernier numéro, vous avez présenté la mise en lumière de la boutique Papier Tigre, que vous avez vous-mêmes réalisée. Qu’est-ce qui détermine l’implication de Cent15 Architecture dans un projet d’éclairage ?
Maxime Scheer – Dans ce cas précis, nous connaissions bien le client avec qui nous avons beaucoup échangé. Nous comprenions bien ses attentes et quand il s’est agi d’éclairer les espaces, nous avions déjà une vision nocturne de la boutique. Nous avons choisi les spots iGuzzini qui correspondaient le mieux à la mise en valeur des produits et avons procédé à plusieurs essais jusqu’à ce qu’on obtienne l’effet imaginé avec deux types d’éclairage, un avec focale serrée et l’autre à focale plus large. Nous nous sommes complètement approprié ce projet d’éclairage que nous avons pu mener jusqu’au bout grâce à l’aide d’iGuzzni, qui a bien sûr effectué les calculs photométriques pour obtenir ce rendu.
L’architecture extérieure doit-elle, selon vous, bénéficier aussi d’une mise en lumière ?
Maxime Scheer – Je ne suis pas vraiment partisan d’éclairer les façades, tout dépend de la fonction du bâtiment, je crois. Des raisons pratiques et fonctionnelles peuvent justifier que l’on éclaire un édifice, s’il accueille du public la nuit par exemple, ou s’il s’agit d’un monument. En général, je pense qu’un bâtiment peut rester dans l’ombre ou alors être éclairé de façon éphémère avec une lumière douce et discrète, comme si elle arrivait sur la façade par hasard… Nul n’est besoin de recréer la lumière naturelle ! Il faut savoir jouer avec les outils de la lumière artificielle pour la rendre fugitive, la voir de loin, de près, qu’elle révèle un détail, savoir créer des scénarios, la rendre vivante mais pas forcément omniprésente. Un éclairage de façade ne se comprend que s’il vient contredire la lumière naturelle, qu’il apporte des effets sur l’architecture qu’on ne verrait pas de jour. La lumière devient alors jeu de contrastes et d’intensité.