Créé en 2007, l’Ifpeb est une association d’acteurs économiques pourvus d’une forte ambition environnementale, compatible avec le marché. Tous ses membres sont des opérationnels du bâtiment. L’association mène une douzaine de programmes, parmi lesquels des études ou des démonstrateurs, et se donne pour objectif de faire avancer le sujet de la sobriété du bâtiment dans toutes ses composantes.
j3e – Quelles sont les particularités de l’Ifpeb ?
Cédric Borel – Notre force réside principalement dans une connaissance accrue du marché, de la manière dont le secteur opère d’une part, et de la boîte à outils réglementaire de l’autre, grâce notamment à nos différents adhérents, pour imprimer une vision de garantie de performance réelle en usage. Notre principal souhait est la massification de la transition énergétique et environnementale. Nous participons donc aux réflexions sur l’élaboration des politiques publiques, notamment via du lobby positif, c’est-à-dire liant ambition et solutions. Cela consiste à ne pas pousser de législations contre les mœurs tout en promouvant des avancées opérationnelles. Nous ne certifions pas, ces avancées seront reconnues par les cadres de certification existants.
j3e – Sur quels thèmes se concentrent vos travaux et quels sont vos objectifs ?
C. B. – Nos travaux portent sur cinq axes principaux, que sont l’énergie, l’économie circulaire et les impacts carbone et cycle de vie, la rénovation du parc existant, les évaluations environnementales et les études sociologiques ou psychosociales sur les motivations des individus le sujet, visant à trouver des moyens de marché pour réguler l’équilibre électrique. Des démonstrateurs sont également mis en place pour favoriser l’émergence de ces nouveaux modèles. En 2030, RTE aura besoin de 2,5 gigawatts de flexibilité tertiaire pour bien opérer son réseau. Nous accusons donc déjà un retard sur cette question, pourtant centrale pour opérer la transition énergétique. Nous sommes au stade où nous devons passer du tableau Excel – des concepts – au tournevis pour massifier la transition énergétique !
Nos travaux se concentrent également sur la réduction des consommations pour atteindre les fameux – 40 % d’énergie consommée en 2030 dans les bâtiments (le « Décret Tertiaire »). Notre deuxième thème est l’économie circulaire et la construction bas carbone, pour encourager la réduction des impacts environnementaux liés aux matériaux. Nous participons d’ailleurs à plusieurs programmes sur le sujet. Notre réflexion se divise en deux axes, le « Core » et le « Shell », à savoir les équipements et le second œuvre, et l’enveloppe. Il faut savoir que le bâtiment produit 42 millions de tonnes de déchets par an, dont 30 millions de tonnes dues au gros œuvre et 10 millions de tonnes liées aux rotations rapides de l’architecture intérieure. Nous travaillons avec l’Ademe sur le projet Works-pace Future, pour créer de l’économie circulaire dans le second œuvre du bâtiment, en favorisant le réemploi du matériel dans des boucles circulaires. Selon nous, tout le second œuvre peut fonctionner en économie circulaire via le réemploi et un usage pensé. Et selon nos études économiques, passer en économie circulaire ne représente pas un surcoût. Cette solution permet de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre liées au second œuvre sur certains lots ! Ces chiffres nous confortent et nous continuons de porter des projets et d’influencer le marché. La rénovation du parc tertiaire et la gestion des actifs immobiliers constitue notre troisième thème. Notre objectif est de comprendre comment cumuler les outils contractuels pour économiser de l’énergie et réduire les émissions de GES. Pour cela, nous travaillons avec des professionnels de l’immobilier pour comprendre comment la gestion professionnalisée peut impacter la neutralité du bâtiment.
Notre quatrième thème concerne les évaluations environnementales et les investissements socialement responsables. Cela consiste en une évaluation rustique et basique des grands parcs immobiliers. Nous réalisons des veilles sur les cadres d’évaluations, en répertoriant les défauts et qualités de chacun. En prenant pour exemple le GRESB (Global Real Estate Sustainability Benchmark), le référentiel le plus répandu, 90% de la note finale repose sur la conformité des chiffres demandés et 10 % seulement sur la progression des émissions des gaz à effet de serre.
Enfin, nous réalisons des études sociologiques ou psychosociales avec des experts, pour comprendre la nature des blocages dans le cadre de la transition énergétique. Nous disposons d’un important corpus d’études sur le sujet. Une de nos études cherche à comprendre comment les directions générales peuvent tendre la main aux collaborateurs volontaires, que nous avons appelé « transféreurs » (de pratiques vertueuses entre leur domicile et le travail) pour changer l’entreprise. Nous avons rencontré de vrais « transféreurs professionnels », dont dépend la pénétration des idées dans l’entreprise. Nous souhaitons augmenter le nombre et la fréquence de nos études.
j3e – Qui sont vos adhérents ?
C. B. – Nos 25 adhérents sont des entreprises, des investisseurs, des promoteurs, des énergéticiens, ou encore des constructeurs avec comme point commun une grande force de frappe en recherche et développement. Ce sont des entreprises très en avance sur les sujets liés à la transition énergétique, avec des moyens investis en R&D, des idées, une envie de faire et un ADN opérationnel. Leur objectif est de faire bouger les lignes.
j3e – Pouvez-vous nous en dire davantage sur CUBE (Concours Usages Bâtiment Efficace) 2020 ?
C. B. – Il s’agit d’un concours d’efficacité énergétique d’un an entre bâtiments tertiaires. Pour mettre au point ce concours, nous sommes partis d’un constat : les gestionnaires de parcs tertiaires avaient tout prévu pour améliorer l’efficacité énergétique de leurs bâtiments en termes contractuels et certifications, pourtant les choses sur le terrain bougeaient peu, ou pas assez vite. Il fallait dans ce cadre apporter un dispositif « Bottom-up » pour faire avancer les choses. L’objectif de CUBE 2020 est de booster l’efficacité énergétique des bâtiments en com- pétition, en s’appuyant sur la méthode de me- sure et vérification IPMVP, utilisée aussi pour les CPE (contrats de performance énergétique).
Mettre en place une telle compétition décloisonne chez les candidats les différents services pour créer une action collective et motivante. Les participants peuvent suivre sur notre site Internet l’évolution des courbes en temps réel. L’an dernier, le vainqueur du concours a réalisé 57,4 % d’économies en un an sans changer d’équipements et en optimisant simplement le fonctionnement des équipements existants à partir d’une situation initiale qui était bien sûr loin d’être optimale. Aujourd’hui, CUBE 2020 s’ouvre à l’international, et nous sommes en lien avec une quinzaine de pays.
j3e – Avez-vous des nouvelles concernant l’élaboration de la RE (réglementation environnementale) 2020 ? Prenez-vous part à l’élaboration de la réglementation ?
C. B. – Nous participons activement à tous les groupes de la DHUP (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages) et nous portons des projets avec l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Nous sommes très présents dans l’écosystème gouvernemental. Sur ce sujet précis, nous sommes
au même niveau d’information que l’ensemble des parties prenantes. Concernant les points clés de cette réglementation, nous nous réjouis- sons de l’importance accordée au volet carbone, qui nous semble réellement cohérent, mais nous serons très attentifs sur le mode de calcul choisi. En revanche, nous aurions voulu que la RE2020 soit dotée d’un volet sur la flexibilité, ce qui ne sera très certainement pas encore le cas. En l’état, nous préférons le BEPOS « 2.0 » (bâtiment à énergie positive) comme décrit précédemment à un bâtiment « E4 » par exemple pour reprendre la nomenclature de l’expérimentation E+C-. Selon nous, avoir une ambition de type E2 C2 traduit un bâtiment qui répond mieux aux enjeux que E4 C1, qui fera du BEPOS pour du BEPOS. Le carbone est la véritable « nouvelle frontière » pour la maîtrise d’ouvrage, car atteindre la sobriété carbone est plus complexe que d’atteindre la sobriété énergétique. Pour nous, les clés d’un bâtiment vertueux énergétiquement parlant sont la flexibilité combinée à une bonne maîtrise de l’énergie. Nous n’opposons pas le Low-Tech et le High- Tech de façon binaire, mais il faut davantage op- ter pour des systèmes vertueux et bien conçus plutôt que pour de la technologie à tout prix.
j3e – Quel est votre regard sur le parc français public et privé à l’heure actuelle ?
C. B. – Nous constatons aujourd’hui une compétition verte et d’innovation sur les places immobilières tendues, toutefois avec des hauts niveaux de maturité différents dans l’innovation. Aujourd’hui, nous remarquons que le parc tertiaire est à plusieurs vitesses, tant pour le parc privé que pour les bâtiments publics. Dans certaines collectivités, une maîtrise d’ouvrage performante fait émerger des projets réellement vertueux. Là où la maîtrise d’ouvrage est professionnalisée et sensibilisée, nous observons que des stratégies et des outils sont mis en place pour atteindre un certain niveau de performance. Quand ce n’est pas le cas, l’énergie est parfois un non-sujet.
j3e – La France a pris un certain retard dans sa trajectoire de rénovation énergétique des bâtiments. Quelles en sont les raisons selon vous ?
C. B. – Concernant les logements, le standing et le confort sont les principaux critères de nos concitoyens et il faut leur parler en ces termes. Nous n’avons pas encore trouvé les bons arguments pour massifier le marché de la rénovation énergétique, pour donner envie. Il faut porter la rationalité sur autre chose que le développement durable. Nous ne sommes pas encore parvenus à lever le verrou du désir. Pourtant, un nombre incalculable d’offres à prix imbattables existent pour améliorer la performance énergétique des bâtiments. Le seul argument pratiqué en ce moment est le « Hard discount » de la rénovation énergétique avec « tout à un euro ».
j3e – Le stade de la massification voulu par le plan de rénovation énergétique des bâtiments est encore assez loin. Comment expliquez-vous cette difficulté à passer à la vitesse supérieure ?
C. B. – Le décret tertiaire est un formidable outil, tout comme la charte tertiaire du Plan bâtiment durable créée en 2013 ou encore le concours CUBE 2020 que nous organisons tous les ans. Il existe une infinité d’exemples concrets qui montrent que le passage à la vitesse supérieure est possible. Mais nous constatons que pour légiférer ou pour prendre des initiatives sur le sujet, il faut un minimum de 15 à 20 % du marché qui pratique auxquelles les autres organisations peuvent emboîter le pas. Pour les bâtiments tertiaires, les projets portés par les pionniers sont valorisables sur le marché. Concernant le logement, les acteurs qui avancent le mieux sur la question sont les bailleurs sociaux. Pour les copropriétés et les maisons individuelles, le sujet clé est la désirabilité.
j3e – Le décret tertiaire dans sa nouvelle version oblige dès 2021 les acteurs concernés à envoyer leurs données de consommation énergétique sur une plateforme gérée par l’Ademe. Les mauvais élèves verront leurs noms publiés dans une liste, selon le principe du « name and shame ». Que pensez-vous de cette méthode ?
C. B. – Je pense qu’il s’agit d’une méthode innovante, qui est plus efficace encore que de taper… dans le porte-monnaie. Dans les dix prochaines années, ces informations auront une réelle importance pour les différents acteurs et les plus en retard payeront rapidement leur manque de volonté. Dans son ensemble, ce texte est très positif. Il prend notamment en compte la difficulté de la performance absolue en abordant les questions de l’usage et de l’intensité de l’usage, très variable. Mais il reste encore quelques règles à préciser dans l’arrêté. En l’état, le texte fixe des objectifs de résultats et non de moyens, ce qui est à nos yeux une réussite. La première version du décret était très mal écrite, notamment pour les commerces, elle était davantage symbolique qu’opérationnelle. La nouvelle version du décret est accompagnée d’une boîte à outils opérationnelle, dont on peut espérer que découlera par ailleurs un DPE tertiaire (diagnostic de performance énergétique) plus opérationnel, qui aidera à baliser le chemin. Il faut rester simple et ne pas apporter de complexité inutile.
j3e – De manière plus générale, quelle est selon vous l’importance de la collecte des données pour l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, quelle que soit leur typologie ?
C. B. – Il est essentiel de disposer d’une image énergétique de son parc. Mais cela ne veut pas dire qu’il est impossible d’apporter des améliorations simples sans comptage énergétique complexe. Le comptage ne doit pas être préalable à l’action et nous avons constaté que tout le monde peut atteindre les 10 à 20 % d’économies d’énergie sans instrumenter le bâtiment en regardant sa facture. S’il est vrai que les consommations en disent beaucoup sur le bâtiment et que la mesure reste la condition du progrès, il faut mesurer tout en faisant. Beaucoup attendent d’avoir « tous les comptages » pour faire, c’est moins efficace.
j3e – De nouvelles technologies laissent entrevoir un fort potentiel pour la gestion des bâtiments, notamment le BIM, l’intelligence artificielle ou la blockchain. L’Ifpeb s’intéresse-t-il à ces technologies et si oui de quelle manière ?
C. B. – Nous avons mené une importante étude sur le passage du BIM Construction au BIM Exploitation. L’objectif était de comprendre comment créer une traduction des informations de construction en informations d’exploitation. Le BIM Exploitation laisse entrevoir un fort potentiel, notamment pour le chiffrage des non-qualités, par exemple l’affectation analytique des salles dans une gestion complexe ou la gestion des travaux modificatifs. De plus, les tâches sont automatisables avec un BIM Exploitation. Sur un cas d’étude, le déploiement de ce process au sein du bâtiment générait 940 000 euros d’économies sur 9 ans. De plus, cette méthode permet de connaître l’ensemble des don- nées de conception, mais également d’exploitation et d’usages.
j3e – À quoi ressemblera le bâtiment de demain selon vous ?
C. B. – Le bâtiment de demain sera circulaire, sobrement numérique et surtout bas carbone. À l’Ifpeb, nous pensons qu’il doit être défini dans toute sa complexité, en synthèse raisonnée de tous ces concepts. La notion de bas carbone apportera une idée de rupture dans les modèles d’architecture classiques, en repensant les implantations, les matériaux, les formes… Les immeubles d’une décennie ringardisent souvent ceux de la décennie précédente. Cela implique un travail sur les ossatures, les superstructures, les matériaux d’enveloppe… En tout état de cause, le bâti de demain sera constitué d’une forte composante de matériaux biosourcés, sera flexible dans ses consommations énergétiques et utilisera des énergies renouvelables et décarbonées.
j3e – Quels seront les grands chantiers de l’Ifpeb pour l’année 2020 ?
C. B. – Nous souhaitons tout d’abord répondre aux sollicitations internationales sur CUBE 2020. Ensuite, nous voulons essayer d’autres déclinai- sons dans d’autres secteurs, comme les copropriétés par exemple. Ensuite, nous avons un gros travail de synthèse sur nos travaux relatifs au carbone. Des études techniques contribuent à faire progresser l’efficacité opérationnelle. Nous sommes également en pleine rédaction d’une définition de la neutralité carbone. Enfin, nous portons plusieurs grands projets, dont vous aurez des nouvelles prochainement.
j3e – Comment imaginez-vous l’Ifpeb dans cinq ans et quel rôle souhaitez-vous jouer ?
C. B. – Nous souhaitons être l’école de l’excellence opérationnelle pour mettre en œuvre, apprendre des techniques de rupture aidant à la transition environnementale et ainsi faire avancer le sujet sur le terrain, opérationnellement. Nous voulons pour cela continuer de développer des démonstrateurs, augmenter la profondeur de nos études et développer des projets, notamment pour la ville et les outils numériques. Enfin, nous souhaitons tordre les aiguilles des modèles déceptifs actuels pour faire avancer le développement du « bâtiment à énergie positive et puissance optimisée et solidaire », notre cheval de bataille pour un écosystème énergétique très bas carbone.