Les logiciels de conception électrique assurent plusieurs fonctions : réalisation des plans de câblage électrique, schématisation des circuits électriques et électroniques, calculs et étude des montages électriques. Dans quelle mesure l’arrivée du BIM bouleverse-t-elle les usages de conception des électriciens ? Et comment évoluent les logiciels de conception ?
« ALPI, qui a développé en premier lieu des logiciels de calculs, de dimensionnement, de schématique et de chiffrage pour la conception automatisée des installations électriques basse et haute tension à destination des marchés industriels et tertiaires, a acquis aussi une expertise qui repose également sur ses solutions, pour concevoir des installations électriques en maquette numérique et assurer la continuité de l’information dans l’esprit du BIM », explique Yohann Riffard, directeur adjoint Business Unit France au sein d’ALPI.
Dans cette logique, ALPI propose désormais, dans une seule suite baptisée Caneco ONE, l’ensemble de ses logiciels : Caneco BT pour la conception automatisée des installations basse tension ; Caneco HT pour les installations haute tension, Caneco EP pour le dimensionnement des réseaux d’éclairage extérieur ; Caneco Implantation pour l’implantation de matériels électriques en 2D/3D et le routage des câbles sous AutoCAD®, et Caneco BIM qui permet d’enrichir une maquette numérique Revit® avec des informations électriques. « Tout étant désormais disponible dans un seul ensemble, cela va faciliter l’évolution des métiers et des pratiques entre entreprises et dans chaque entreprise », poursuit Yohann Riffard.
« En effet, en tant que leader européen des logiciels de calcul d’installation BT, nous nous devions d’adresser de façon appropriée l’enjeu de continuité de la maquette BIM pour toutes les phases d’un projet, et de traiter les échanges entre la maquette et les logiciels de conception. C’est pourquoi nous avons signé un partenariat avec Autodesk il y a 3 ans, pour être à même de proposer des solutions BIM intégrées et de soutenir des processus qui permettent d’assurer la continuité des études électriques », détaille-t-il.
« Pour Trace Software, après la cession d’Elecworks à Dassault Systèmes en 2018, notre positionnement est centré sur le calcul et le dimensionnement électrique au travers du logiciel elec calc™ qui permet d’appréhender à la fois basse tension et haute tension dans un seul et même projet », explique Philippe Aupetit, responsable produits de calculs d’installations électriques au sein de Trace Software. « Certes, les contraintes et les normes sont différentes, mais nous considérons qu’il est important que le client puisse appréhender l’intégralité de son installation dans un seul et même projet », conclut-il.
« Avec la nouvelle version prévue au second semestre 2019, nous adresserons aussi le concept de multisources d’énergie, de plus en plus répandu avec le renforcement des énergies renouvelables et les microgrids. Mixer sur une même installation une alimentation principale, du photovoltaïque, une éolienne et un groupe de secours et calculer les courants de court-circuit et les répartitions de charges (loadflow) sera ainsi possible », illustre l’expert.
« Côté BIM, nous sommes interfacés en IFC4 avec plusieurs logiciels de conception 3D pour garantir une interopérabilité, et proposons un viewer 3D qui fait le lien entre la maquette BIM et notre logiciel de conception. Dans les cas de Revit® qui est le leader sur le marché, les données concernant les câbles (diamètre, type, poids, taux d’occupation…) sont calculées puis exportées sous forme d’une famille spécifique car l’objet « câble » n’est pas connu dans le logiciel REVIT », poursuit Philippe Aupetit de Trace Software.
L’électricité et la filière restent quand même le parent pauvre du BIM
Qui dit BIM, dit aussi moindre séparation entre les pré-études techniques et les études détaillées. « Souvent, le bureau d’études s’arrête à l’avant-projet et tout le reste du cycle projet est du ressort de l’installateur final. Il y a un paradigme et des changements de périmètre en cours avec l’enjeu du BIM, pour que, par exemple, les études détaillées remontent au BE, ou bien qu’à l’inverse, l’installateur prenne en charge le projet au plus tôt du cycle du projet et s’approprie les études détaillées et le BIM », explique Philippe Aupetit.
Ce qui incite d’ores et déjà certains bureaux d’études, comme l le bureau FOXO qui l’a exposé lors du dernier BIMWorld, à proposer de répondre à l’enjeu de continuité de la maquette sur toutes les phases, et notamment pour les études détaillées d’exécution en phase chantier. Pour leur cas, c’est le module CanecoBIM d’ALPI qui a été utilisé afin d’éviter la ressaisie et de gérer les modifications de façon simple entre la solution de conception et Revit®.
De plus en plus d’objets « BIM électrique »
L’implication des fabricants est essentielle à la fois sur les travaux de normalisation liée au BIM, mais aussi sur la création de contenus d’objets et de leur gamme. Legrand annonce d’ores et déjà la mise à disposition de plusieurs familles de produits « armoires et coffrets, chemin de câbles, boîtes de sol, détecteurs de mouvements, bornes IRVE… » sur la plateforme ouverte BIMobject et, par ailleurs, soutient les travaux du groupe BIM-Energies, lancé sous l’égide du GIMELEC et d’IGNES en mars 2019, auxquels a également participé ALPI.
« Le BIM s’inscrit de manière incontournable dans la conception du bâtiment, et la communication entre le BIM et nos logiciels métiers est un axe de développement en réflexion », souligne Joanny Turchet, de Legrand.
Hager participe activement lui aussi aux travaux du groupe BIM-Energies qui a pour objectif de « constituer la première bibliothèque de modèles d’objets génériques BIM de référence du domaine électrique ».
Des modèles d’objets de référence que l’on retrouve ensuite sur la plateforme BIM&CO, où sont actuellement disponibles 8 familles BIM (TGBT, alimentation sans interruption, tableau divisionnaire, éclairage de sécurité, transformateur de puissance, etc.). Des propriétés définies et structurées de manière neutre par les fabricants et les professionnels sont associées à chaque famille d’objets, en conformité avec les normes PPBIM et du domaine électrotechnique IEC.
La donne est en train de changer en conception électrique
L’approche BIM change progressivement la donne et les enjeux sont multiples, notamment en phase chantier, y inclus le positionnement ou repositionnement des acteurs de la filière. S’ajoute à ces changements de façon de travailler l’introduction de plus en plus importante des sources d’énergie renouvelables qui, elles aussi, viennent modifier progressivement le quotidien de conception. De pat leurs expériences respectives, les éditeurs ont fort bien compris et appréhendé ces enjeux et les évolutions prévues en sont le reflet. Il reste cependant à consolider les passerelles et échanges avec la maquette, et à enrichir les familles électriques des logiciels BIM.
Les fabricants proposent aussi leurs propres solutions – deux exemples avec Hager et Legrand
Les données fabricants sont bien entendu présentes dans les logiciels agnostiques de conception présents sur le marché. Cependant, Hager comme Legrand proposent chacun leur propre solution, centrée sur leurs gammes respectives, pour les domaines tertiaires et résidentiels, avec des outils qui se veulent accessibles et évolutifs tant en termes d’enrichissement de fonctions que de suivi des normes.
« Nos applications et logiciels sont toujours basés sur les dernières versions des normes. Nous invitons donc fortement nos clients et utilisateurs à maintenir leurs logiciels à jour pour que nous puissions les accompagner dans le projet. De plus, pour accompagner nos clients sur le contenu des normes, nous proposons des formations sur leurs évolutions, adaptées aux différents métiers de la filière. Cette offre est portée par le centre de formation du Groupe Hager », explique Lionel Charlier chef de produits Distribution d’Énergie Résidentielle. Lancée en février 2019, la deuxième version d’Hager Ready permet désormais d’effectuer des relevés de chantier complets et précis et de faciliter la préparation des devis par l’installateur. Téléchargé plus de 40 000 fois en France, cet applicatif pour le résidentiel simplifie et centralise la phase clef de pré-devis, sur un même support digital.
Pour le tertiaire, Hager propose deux logiciels pour accompagner les professionnels dans la construction de leurs projets : Hagercad.net – logiciel de calcul et de dimensionnement des protections électriques – et Hagercad.T – logiciel de conception et dimensionnement
d’armoires électriques et de chiffrage qui permet d’éditer des projets, de centraliser des documents, d’assurer la traçabilité et la conformité du projet avec la norme EN61439.
« Il y est possible d’obtenir une vue 3D, connexions comprises, bien utile pour les tableautiers », poursuit l’expert de Hager.
Legrand propose sa suite baptisée XL PRO3 pour la conception de tableaux électrique basse tension et XL PRO3 Calcul qui permet de dimensionner l’installation électrique basse tension à partir du bilan de puissance de l’installation, et d’obtenir une note de calcul.
Sur la base de cette note de calcul, le client peut concevoir son tableau électrique basse tension pour générer automatiquement son schéma électrique, ainsi que la définition précise et le visuel du tableau. « La suite peut traiter une très grande palette de configurations, du coffret 63 A à l’armoire générale de basse tension 6 300 A, et l’intégralité des types de formes et d’indices de service », souligne Joanny Turchet responsable du pôle Marketing France Protection Distribution et Stockage de l’énergie au sein de Legrand.
Maquette BIM et logiciels de conception électrique, retour d’expérience du Groupe Etchart Energies
Etchart Energies a initié une démarche BIM sur un premier projet en 2017 et mène actuellement cinq projets en BIM sur la phase exécution. Certains sont conçus par la maîtrise d’œuvre et d’autres sont issus d’une décision interne, notamment sur les projets où nos compétences multi-techniques sur plusieurs lots sont retenues. Dans ce dernier cas, nous réalisons la maquette « archi » sur la base des plans 2D ou de relevés scanner 3D et nous concevons alors les maquettes des lots électricité et CVC.
Cependant, dans le BIM, le niveau de détail atteint actuellement en électricité est assez limité (intégration des chemins de câbles, appareillages, luminaires), car nous sommes contraints par les limites du logiciel BIM sur la partie électricité. De plus, les normes utilisées par le logiciel BIM ne sont pas applicables en France et faussent les calculs que nous pouvons y réaliser.
Pour le dimensionnement électrique, nous utilisons les logiciels Caneco (calcul de câbles) et Dialux (calcul d’éclairement), mais de manière classique, car l’intégration des fonctionnalités électriques sous Revit®, selon notre retour d’expérience, ne nous semble pas encore suffisamment développée.
En ce qui concerne le chiffrage, nous ne l’avons pas intégré dans le BIM pour le moment car nous n’avons pas eu l’occasion de le mettre en application (appels d’offres sans maquette numérique).
Quant aux schémas électriques, la démarche BIM ne nous semble pas y être encore adaptée pour l’instant, et des outils existent dans le logiciel BIM REVIT, mais ils nous sont apparus insuffisants. Par exemple, il est impossible de faire plusieurs départs dans une armoire électrique ou encore sur un circuit luminaires, le rendu par défaut manque de lisibilité. Concernant les produits des fabricants, nous y voyons beaucoup moins d’intérêt qu’en CVC, d’autant plus que nous constatons un manque d’harmonisation. Certains produits sont très détaillés visuellement mais inutilisables sans modifications ; d’autres n’ont aucun visuel mis à part en 2D et d’autres encore sont surchargés d’informations inutiles. Pour tout ce qui est conception électrique, nous préférons nous appuyer sur des logiciels dédiés experts, et pensons qu’à terme, ceux-ci pourront communiquer plus aisément avec les logiciels de maquette BIM.
Jean-François Moreau