Les Rencards de l’ACEtylène 2018 se sont déroulés cette année à Rennes et rassemblaient, autour de Frédérique de Gravelaine, écrivaine, animatrice des débats, bon nombre d’intervenants, issus d’horizons très divers. La parole a été donnée à des chercheurs, sociologues, géographes, urbanistes, et bien entendu aux concepteurs lumière.
L’exercice, ici, n’est pas tant de rendre compte de façon exhaustive de cette journée, mais plutôt de restituer quelques morceaux choisis, à commencer par les interventions de deux sociologues Gaëtan Bourdin et Florian Guérin. Pour écouter ou réécouter les débats de cette journée, nous invitons les lecteurs à aller voir les vidéos de toutes les interventions sur le site de l’ACEtylène 2018.
L’intelligence collective
En introduction à cette journée, Gaëtan Bourdin, sociologue, praticien en pédagogie, médiation, coopération territoriale pour l’innovation sociale et technologique, abordait le thème des « Fondamentaux de la concertation et de la co-construction » où il a été beaucoup question d’intelligence collective, qui permet, selon le sociologue, d’agir ensemble. Dans les projets urbains, on a contraint les acteurs qui fabriquent la ville, à prendre en compte l’avis de l’usager, du citoyen. Gaëtan Bourdin explique la concertation en s’appuyant sur l’échelle de la participation citoyenne, développée par la sociologue américaine Sherry Arnstein, qui mesure le pouvoir du citoyen et sa propension à participer à un projet. Les premiers niveaux de l’échelle correspondent à la manipulation et décrivent le degré de non-participation. Les niveaux 3 et 4 permettent à ceux qui n’ont pas le pouvoir d’avoir accès à la coopération symbolique, à savoir l’information, la consultation et la conciliation, et de se faire entendre, sans pour autant que leur avis soit pris en compte par ceux qui ont le pouvoir. Le niveau 5 permet aux citoyens de donner leur avis, mais le droit de décider reste entre les mains de ceux qui ont le pouvoir.
Enfn, le haut de l’échelle, comprend les trois derniers niveaux qui correspondent au« pouvoir effectif du citoyen ». Ils indiquent des degrés d’infuence croissante sur la prise de décision. Les citoyens peuvent nouer des partenariats qui leur permettent de négocier et d’engager des échanges avec les détenteurs du pouvoir. Quid de l’éclairage et de la concertation ? L’éclairage des rues, pourtant né d’une ordonnance de police, était une ressource privée et n’est devenu un service public que plusieurs siècles après son apparition. D’où la question aujourd’hui de la concertation : la lumière est passée au numérique, elle interagit avec d’autres usages, chaque citoyen peut créer de la lumière avec son propre téléphone, etc. Qui sont les acteurs de la lumière ? Le commanditaire, l’expert, l’usager. Quelle cause commune existe-t-il réellement ? Est-ce que tous les acteurs peuvent défnir un langage commun, comprendre les enjeux, émettre une culture collective pour enfn aboutir à une médiation ? Pour Gaëtan Bourdin, le métier de la lumière relève de la sémiotique et constitue un enjeu colossal de la cause commune en milieu urbain ; c’est un élément de la reliance qui donne du sens, de la valeur à l’espace urbain.
Comment peut-on penser le droit aux nuits urbaines ?
Le droit aux nuits urbaines, une gouvernance innovante ? Florian Guérin est sociologue urbain, chercheur à l’institut d’urbanisme de Reims. Il travaille en particulier sur les maîtrises d’usage et les pratiques nocturnes. Il est le coauteur, avec Edna Hernandez-Gonzalez, de Cohabiter les nuits urbaines – Des signifcations de l’ombre aux régulations de l’investissement ordinaire des nuits, aux éditions Harmattan. Certains espaces sont aménagés et dédiés à des activités de loisir la nuit : bars, discothèques, restaurants. Cette accumulation d’activités nocturnes peut accroître des confits de situation, et conduire à « des paradoxes d’aménagements urbains ».
Il faut donc travailler la nuit comme un élément de la ville qui va permettre de repenser les cohabitations entre différentes activités et d’éviter certaines exclusions. Par exemple, la ville de Bordeaux a transformé un quartier festif (Paludate) en un quartier d’affaires en y associant un éclairage sous forme spectaculaire d’illuminations. À Lyon, ce sont les bords du feuve qui ont été réaménagés en cheminements piétons avec un éclairage de « veille » intégré au plan lumière de la ville de Lyon. Les noctambules se sont « réapproprié cet espace en l’occupant jusque tard dans la nuit, ce qui a conduit les élus à imposer toute une série d’interdictions pour inciter les fêtards à quitter ces lieux. Autre exemple : le centre-ville de Rennes réaménagé en centre piéton attirant une population estudiantine qui a du mal à cohabiter avec les Rennais d’une autre génération, installés là depuis longtemps, et habitués à des nuits tranquilles. Ces réaménagements conduisent à des déplacements nocturnes plus fréquents, souvent piétons, et donc à repenser l’éclairage public. Comment prendre en compte ces nouveaux usages nocturnes ? À Paris, avec la mise en place des États généraux de la nuit en 2010 et l’élection d’un maire de la nuit en 2013, la nuit est devenue un enjeu électoral, jusqu’à la création du Conseil de la nuit qui a pour vocation de dépasser les intérêts individuels. Un certain nombre de dispositifs ont été mis en place sans pour autant faire l’unanimité.
Le processus politique peut être questionné. Le Conseil de la nuit, qui est censé être une forme de démocratie participative, ressemble davantage à une démocratie représentative
où les décisions fnales restent prises par les élus et l’accès aux débats s’avère inégalitaire. Pour conserver ce droit à la nuit, il faut prêter attention à la façon de gérer ces cohabitations nocturnes ; ce qui nécessite la formation des urbanistes mais aussi des citoyens et la création de mécanismes complexes.
Retrouvez les Prix de l’ACEtylène 2018 ici.