Le mot « progrès » est tombé en désuétude, l’usage veut désormais que l’on parle « d’innovation ». En la matière, peut-être à rebours des préjugés, la France tire plutôt bien son épingle du jeu. Le pays, qui a su favoriser l’émergence d’un vivier d’entreprises créatives grâce notamment à ses 71 pôles de compétitivité, est régulièrement classé dans le trio de tête des nations qui déposent le plus de brevets, et l’Île-de-France est le troisième pôle mondial en innovation après la Californie et Londres. De quoi se réjouir. Le Synnov (Syndicat de l’Innovation), « vigie de l’innovation », en accompagnant et favorisant le rapprochement de l’ensemble des acteurs de l’écosystème, participe activement, de fait, au développement de la créativité dans le monde de l’entreprise.
Le Synnov fut créé en 2010 à l’initiative de trois entrepreneurs aux parcours professionnels « très liés à l’innovation », différents mais complémentaires : Bernard Hodac, le Président, industriel et chercheur, « en tant qu’inventeur, il est à l’origine de plus de 40 brevets » ; Didier Tranchier, membre du conseil d’administration, professeur d’innovation et investisseur ; et Jean-Pierre Scandella, vice-président, par ailleurs fondateur du cabinet de recrutement Arrowman Executive Search. Tous trois ont uni leurs compétences, leurs réseaux, au service d’une idée forte, « promouvoir et favoriser l’innovation, sans refaire ce qui existait déjà », avec une conviction, « décloisonner, car on innove beaucoup dans son propre métier mais peu de manière transversale ». Au fil du temps, Fadwa Sube, Vice-Présidente et Présidente d’Optiva Capital, Anne Bourdu, Vice-Présidente et Dirigeante du cabinet d’avocat Lext, Pierre Breesé, Vice-Président et Président du cabinet de conseil en propriété intellectuelle, IP Trust et Bastien Kompf, Délégué Général et Président de Cominsights, ont rejoint les trois fondateurs pour poursuivre et développer leurs actions. Le Synnov est donc devenu un « espace de dialogue en France comme à l’étranger pour croiser les compétences, favoriser la communication, les rencontres, entre entrepreneurs, scientifiques, étudiants… ».
Parce qu’innover, c’est avant tout « réunir de nombreuses compétences différentes ».
Dans une économie sans temps mort et hautement concurrentielle, l’innovation, synonyme de différenciation et donc gage de survie pour l’entreprise, « est un processus qui met à l’œuvre cinq étapes principales », rappelle Jean-Pierre Scandella : la Recherche & Développement, cette phase qui transforme l’invention en une innovation techniquement et commercialement exploitable, sa protection, le financement, le marketing et le commercial, et enfin les ressources humaines. Le Synnov « est une ressource pour les entreprises sur chacun de ces points », par l’entremise des multiples manifestations que le syndicat organise. Des rencontres « où interviennent des acteurs clés, porteurs d’une vraie réflexion, fruit de leurs propres expériences ». Depuis sa naissance, « le Synnov a organisé plus de trente “Rendez-vous de l’Innovation”, une conférence et du temps utile pour échanger ». Le dernier, organisé fin 2017 sur le thème « L’éducation prépare-t-elle à l’innovation ? », faisait intervenir Denis Jacquet, expert de la transformation digitale. Poursuivant son évangélisation, le Synnov, qui ne s’abstient pas d’innover, propose depuis le 6 mars dernier un nouveau format, « les dîners de l’innovation », dont la première édition, qui s’est tenue au Sénat, permettait d’échanger sur « la réconciliation entre l’entreprise et l’enseignement ».
Sentinelle de l’innovation, le Synnov, en fin observateur, met en lumière les forces mais aussi les faiblesses de l’écosystème et rebat les cartes de certaines idées reçues. Ainsi, en matière d’innovation, les moyens financiers à disposition, notamment des start-up, ne manquent pas, « il y a abondance de capitaux, y compris d’argent public ». Une manne en trompe-l’œil, qui paradoxalement nuirait à la pérennité de l’entreprise, « car ces moyens ne font que reculer le moment où l’entrepreneur devra confronter son produit à son marché pour lui trouver des clients et le vendre », et donc s’autofinancer. « Il y a énormément de projets intéressants, mais déséquilibrés dès le départ », relève Jean-Pierre Scandella, « les créateurs se focalisent sur la R&D, le financement, sans envisager le volet commercial ». L’innovation, c’est un effort de R&D qui a su rencontrer son marché, en d’autres termes, « les marchés, c’est comme la terre, il faut les labourer », glisse Bernard Hodac. L’une des raisons qui expliqueraient la forte mortalité des start-up françaises, « dont 90 % disparaissent au bout de quatre ans d’existence(1) ».
Les chiffres clés de l’innovation en France
(source Insee – parution 2017)
– Parmi les sociétés marchandes de 10 salariés ou plus implantées en France, un peu moins de la moitié (48 %) ont innové au cours des années 2012 à 2014.
– Les innovations technologiques constituent le cœur de l’innovation et concernent 31 % des sociétés.
– Le secteur de l’information et de la communication est le plus innovant : 71 % des sociétés ont innové entre 2012 et 2014 et 60 % ont réalisé des innovations technologiques.
– La part de sociétés innovantes augmente avec la taille : 45 % parmi les sociétés de 10 à 19 salariés, contre 78 % parmi celles de 250 salariés ou plus. Elle est également plus élevée parmi les sociétés appartenant à un groupe ou à un réseau d’enseignes (54 %, contre 43 % pour les sociétés indépendantes). À secteur et taille identiques, les sociétés exportatrices innovent plus souvent que les autres (66 %, contre 40 % des sociétés non exportatrices).
– Le chiffre d’affaires lié à la vente de produits nouveaux, pour le marché ou pour la société, représente 12 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des sociétés.
– Pour 45 % des sociétés innovantes entre 2012 et 2014, l’innovation a généré un bénéfice environnemental : en réduisant, par exemple, l’utilisation d’énergie, d’eau, de matière ou d’émission de CO2 par unité produite, ou encore en améliorant les processus de recyclage.
– Le taux d’innovation des sociétés implantées en France au cours des années 2012 à 2014 est supérieur à celui de la moyenne de l’Union européenne à champ sectoriel identique (56 % contre 49 %). En Espagne, il est nettement inférieur à la moyenne européenne (36 %), alors qu’en Allemagne, il lui est nettement supérieur (67 %).
Mais le grand enjeu reste « l’adéquation des compétences humaines avec les besoins et les attentes des entreprises ». « Nous sommes dans une période foisonnante en innovations, […] les entreprises […] parlent technologies, financement, mais très peu de ressources humaines », déplore Jean-Pierre Scandella. C’est là que le bât blesse, la création de valeur est liée à l’innovation, qui est liée à la présence ou non des ressources compétentes, « de nombreuses start-up ne disposent pas de CTO(2) », relève Jean-Pierre Scandella. Le Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) souligne pour sa part que « près de 80 % des entreprises du numérique déclarent rencontrer des difficultés à recruter des emplois qualifiés ». Certes, « dans le domaine de la recherche, les salaires sont anormalement bas », ce qui est facteur d’expatriation. Mais c’est du côté des formations initiales qu’il faudrait plutôt regarder, le renouvellement des compétences via le recrutement dépend entièrement « de la capacité des écoles et des universités à alimenter le marché du travail en qualité et en nombre, en prenant en compte le fait que les métiers requis par les entreprises sont nouveaux et nécessitent des savoir-faire qui ne sont pas encore enseignés ». Des freins sont à lever, notamment « la persistance à s’arc-bouter sur les formations à forte dominante mathématiques, alors que l’on a davantage besoin de profils qui s’adaptent au monde réel, avec des dirigeants qui ne sont pas nécessairement de purs ingénieurs », et qui sont dotés d’un véritable esprit d’entreprise. « Stimuler la culture d’entreprendre dès l’école en reconnaissant la formation à entrepreneuriat comme une discipline à part entière est fondamental pour la capacité à développer l’innovation. » Particulièrement sensible à l’obligation « de reconfigurer les formations », le Synnov a pris l’initiative de mettre en place une campagne « de cartographie des attentes des entreprises » – quelles compétences pour quels types de besoins –, tout en investiguant du côté des écoles et universités qui se sont déjà mises en marche « celles qui ont flairé les nouvelles tendances et sont donc les plus à même de mettre en œuvre de nouveaux cycles d’enseignement ». Avec à la clé, dans un avenir proche, peut-être un changement de paradigme en France, où l’on entendra moins dire « j’ai fait polytechnique », mais plutôt « j’ai créé une entreprise innovante ». Il n’est pas interdit de rêver…
Olivier Durand
(1) Le Figaro du 18/07/2017.
(2) Le CTO ou Chief Technical Officer, directeur de la technologie, est chargé au sein de son entreprise de la direction des questions scientifiques et techniques.