En février 2017, Franck Ferrari fêtera 15 années passées à la barre de son entreprise, l’éditeur de logiciels Cap Technologie, aux côtés de ses deux associés. Une décennie et demie qui ne constitue au final qu’une partie de sa riche vie. Car deux choses semblent l’animer, tracer son propre sillon, se remettre en question et ne pas hésiter à changer de cap, quand la vie l’impose, et bien entendu la Corse, d’où il tire certainement une grande partie de sa personnalité et de sa verve !
Car c’est en terre corse que plongent effectivement les racines de Franck Ferrari. L’histoire familiale pourrait démarrer à l’arrivée de l’arrière-grand-père paternel, venu de Toscane, pour faire souche sur l’île de Beauté.
Une installation sur fond de pauvreté, « la Corse, ce n’était pas la Floride, la vie pouvait y être très dure ».
Parfois même il valait mieux aller voir ailleurs. Comme son grand-père maternel, qui quitta sa vallée du Taravo, âgé de seulement 17 ans, pour s’engager dans l’artillerie coloniale, « en falsifiant ses papiers d’identité ».
C’est aussi l’histoire d’une famille en perpétuel mouvement. Au gré des pérégrinations familiales, sa mère « naîtra à Damas, [son] père à Rabat ».
Un père qui perpétue la tradition de l’outre-mer, et poussera jusqu’au Canada pour se former au métier de navigateur dans l’aéronavale.
Farouchement accroché à la vie, il survécut à quelques accidents, par ailleurs fatals à plusieurs de ses camarades de bord. Histoire de ne pas tenter le diable, il finira par raccrocher, pour intégrer la compagnie nationale Air France en région parisienne, mais comme rampant. Joli petit mot, qui désigne le personnel au sol !
Franck Ferrari grandit donc à Vitry-sur-Seine, « une ville de cadres moyens, d’ouvriers, où tout le monde connaît tout le monde, où le dimanche matin est consacré à laver sa voiture ».
Sa scolarité ne se fera pas à Romain Rolland, comme traditionnellement quand on habite Vitry, mais au collège Sainte-Anne dans le XIIe arrondissement tout proche.
Pour s’y rendre, il emprunte le bus 132. Il y observe la routine, « les mêmes gens, assis aux mêmes places, qui vont tous les jours dans la même direction ».
Il a très envie d’autre chose, ses désirs seront encore plus forts, ce sera de prendre la mer.
Tout naturellement, après son baccalauréat scientifique, c’est ventre à terre qu’il quitte « cette banlieue pas si simple, au fond », pour Cancale et intègre une « classe prépa » au concours d’entrée de l’École nationale supérieure maritime, Hydro, pour les connaisseurs !
Dans l’intervalle, il aura embarqué, pour quelques semaines, sur un chimiquier, et se frotte à la réalité de la vie à bord, soumis à un rythme de travail insensé, « mes bulletins de salaire faisaient apparaître 17 voire 18 heures de travail quotidien ! » Et des conditions de travail éprouvantes, « nous devions nettoyer les cuves à la main avec une éponge ! J’étais loin de mes rêves de vahinés ».
Il réussit son concours, devant lui, trois années de formation théorique, assorties de 8 mois de navigation.
Bourlingue en mer Baltique, dans l’océan Indien, sur différents types de bâtiments, et termine ses mois de navigation en Méditerranée à la passerelle des ferries L’Esterel et Napoléon.
Des rotations courtes, « entre la Corse, l’Algérie, la Tunisie, qui assuraient de dormir chez soi en moyenne un soir sur deux ».
Finalement, tout semble aller de soi, mais se pose la question de la suite. Devenir pacha, seul maître à bord après Dieu, impose de replonger une année supplémentaire à l’école et surtout d’accomplir 60 mois de navigation en sus !
Ça n’en finit pas, « l’école de la marine marchande, c’est l’équivalent du cursus de médecine mais pour la mer ! »
Dans tous les cas, « je ne me voyais pas partir au long cours, si longtemps ». Et puis, le métier n’est plus ce qu’il était, le mythe des longues escales a vécu, les voyages à bord des navires modernes ont gagné en efficacité ce qu’ils ont perdu en poésie, « désormais, on passe le pont Verrazano [port de New York] à 5 heures du matin, pour le repasser dans l’autre sens à 16 heures ! »
Trop court pour siroter un cocktail à Manhattan. L’heure du choix s’impose, « il me fallait accepter de tirer une croix sur mes rêves ».
L’école d’officier de la marine marchande permet de se recycler en dehors du monde de la mer, « pas moins de 28 matières y sont enseignées, du droit à la thermodynamique en passant par la cosmographie et la trigo sphérique ! »
Franck Ferrari prend à la fois le chemin de l’école, pour suivre un cursus de thermique et régulation de l’École des mines de Paris, « loin des embruns », et intègre en alternance Napac, « une boîte spécialisée dans la télégestion, fondée par deux « ingés » des Mines et un ancien de l’Institut Français du Pétrole, des tronches ».
Là, c’est la découverte de l’informatique, « j’apprends à me planter et à programmer ». C’est l’époque des disquettes souples et des « PC « dits » portables, qui pèsent des kilos ! » Bref, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître !
Nous sommes en 1988, « les prémices de la GTB*, j’intègre Stäfa Control System, un groupe suisse, inventeur de la vanne magnétique ».
Un an plus tard, direction Nantes, « je suis responsable technique du Grand Ouest, je gère tout ce qui est à gauche d’une ligne qui va de Dieppe à Perpignan ».
De fil en aiguille, le groupe suisse rejoint Landys & Gyr, lui-même absorbé par le géant Siemens, « j’avais intégré une boîte familiale, je me retrouve dans une boîte d’actionnaires ». C’est le moment de faire autre chose, « je quitte l’entreprise sans indemnités, sans parachute ».
Avec deux compères, Patrice Château et Yann Le Chalony, un ancien de la Marchande lui aussi, trois expériences qui s’additionnent pour tenter l’aventure de la création d’entreprise.
En 2002, Cap Technologie appareille pour le meilleur et uniquement pour le meilleur !
Au démarrage, un seul client, Siemens, « qui génère 70 % de notre chiffre d’affaires ». Les pieds à l’étrier, mais aussi un fil à la patte, « puisqu’ils nous interdisent clairement tout développement hors de leur sphère ».
Le lien est coupé, « nous reprenons notre destin en main ».
Doubler la mise, reprendre sa liberté et faire bouger les lignes dans le monde de la GTB.
Franck Ferrari n’est pas commercial, pas plus que ses deux associés, « on le devient, on prend notre mallette, et on pousse les portes ».
Avec une certaine dose de confiance, « on ne se payait pas beaucoup, on se levait tôt et on se couchait tard ! Et on innove, on met dans une même boîte du contrôle d’accès, de la vidéo, de la GTB, de la régulation ».
Des milliers d’heures de programmation à la clé. Qui payent quinze ans plus tard.
L’entreprise qui vient de s’installer dans un nouveau siège, une maison d’architecte, en périphérie de Nantes, cingle toujours vers le succès.
Quant à Franck Ferrari, la mer a plus que jamais une place dans sa vie, dès qu’il a du temps libre c’est pour sauter dans l’avion direction la Corse où l’attend patiemment son voilier, pour entamer quelque traversée entre Corse et continent, par nuit claire et très exactement sous les étoiles !
Olivier Durand