
Itron est une entreprise américaine, fondée en 1977, à Hauser Lake, dans l’Idaho aux États-Unis, par un petit groupe d’ingénieurs désireux de trouver des moyens plus efficaces de relever les compteurs.
Itron se développe rapidement, en particulier dans le domaine de la gestion des ressources, notamment les compteurs énergétiques (eau, gaz, électricité). Elle se déploie dans le monde entier, acquiert plusieurs sociétés, s’implante en France qui devient le deuxième marché le plus important du Groupe, juste après les États-Unis. En 2015, Itron met en place l’un des premiers projets majeurs de ville intelligente pour la ville de Paris.
Comment Itron est-elle passée de la fabrication de compteurs d’énergie à la gestion intelligente de l’éclairage public ?
Nicolas Le Jean – Au fil des années, nos solutions sont devenues intelligentes, fonctionnant sur des réseaux dits également intelligents, ce qui permet d’agir à distance, sans se rendre sur le terrain, autrement dit de faire de la télégestion. Pour accompagner ces développements, de nouvelles compétences sont arrivées dans le Groupe pour travailler sur des sujets télécommunication, radio, connectivité, et ont permis à Itron de se diversifier. C’est ainsi que récemment, en 2018, le Groupe a acquis Silver Spring Networks qui évolue dans le domaine de la connectivité radio intelligente et de pilotage de l’éclairage public. Puis, en 2021, Itron a racheté SELC, entreprise irlandaise qui fabrique des contrôleurs, des modules, des capteurs. Pour ma part, doté d’un profil ingénieur télécom, j’ai ensuite évolué dans le domaine des villes connectées justement, au sein du groupe Vinci, puis j’ai intégré Itron (à Meudon) il y a quatre ans, pour développer des solutions d’éclairage intelligent sur le territoire français.
Comment définissez-vous un éclairage intelligent ?
Nicolas Le Jean – Le terme se rapporte à l’internet des objets que la ville a souhaité mettre en œuvre en éclairage public ; quels types de capteurs, pour quelles mesures, quelle supervision, dans quel but, etc. Toutes les villes savent combien leur coûte leur l’éclairage public, surtout depuis la crise énergétique, et s’efforcent de rénover leur parc et de trouver les moyens de baisser leurs consommations. Nous avons une compréhension parfaite – aussi bien de notre côté que de celui des collectivités – de l’intérêt de mettre en œuvre des solutions intelligentes sur l’éclairage public et nous savons calculer les retours sur investissement. Et depuis quelques années d’ailleurs, on constate une accélération du passage de technologies anciennes à la led. Aujourd’hui, environ 30 % des installations d’éclairage public sont en led. Le premier objectif pour la collectivité est d’obtenir des gains immédiats sur la facture, mais la mise en oeuvre d’une solution complète de pilotage à distance, accompagnée d’une télégestion de ces éclairages permet d’optimiser les allumages et les extinctions. On a pu constater, pendant le confinement et les couvre-feux liés à la pandémie du Covid, combien il était nécessaire de bénéficier de cette finesse du contrôle de l’éclairage afin de s’adapter en l’occurrence aux contraintes horaires. Avec un système comme ceux que nous développons, en deux clics, vous changez les heures d’allumage et d’extinction. Ces modules sont placés dans les armoires d’éclairage public, ou au point lumineux, et permettent de faire remonter également toutes les informations, sur les consommations, l’état de fonctionnement des luminaires.
C’est donc à partir de la mise en place des capteurs d’éclairage, de son pilotage, que la ville devient intelligente ?
Nicolas Le Jean – En effet, les informations sont remontées sur notre plateforme CityEdge, et les superviseurs peuvent suivre en temps réel les consommations, être avertis des dysfonctionnements éventuels des luminaires, savoir exactement où intervenir. Par exemple, nos solutions, qui sont installées à Paris depuis 2015 (via Silver Spring Networks), peuvent fonctionner avec tous types de luminaires, quelle que soit la marque. L’intérêt de mettre en place une plateforme de pilotage non propriétaire est aussi d’offrir à la collectivité la possibilité d’ajouter d’autres types de capteurs et de cas d’usage. Ces systèmes ne sont pas réservés aux grandes villes, loin de là, nous travaillons avec un certain nombre de syndicats d’énergie qui équipent leurs territoires ruraux de ces solutions. J’évoquais la télégestion qui trouve en milieu rural toute sa justification : en effet, le fait de pouvoir faire remonter les informations sur l’état de l’installation évite d’envoyer des opérateurs sur le terrain pour effectuer des contrôles sur des territoires parfois très éloignés les uns des autres et réduit par la même occasion les coûts d’intervention. Le fait d’utiliser des réseaux de communication maillés permet à chaque contrôleur de parler à son voisin. Nous pouvons ainsi sécuriser une zone de couverture très forte, et si on perd une des antennes, chaque contrôleur prend automatiquement un autre chemin de communication. Comme cela a été mis en œuvre à Paris et permet à la ville de bénéficier d’un niveau de disponibilité du service très élevé.
Quelles autres fonctions les capteurs Itron proposent-ils ?
Nicolas Le Jean – Les collectivités doivent notamment fournir des cartographies de bruit, des mesures de polluants présents dans l’air ; nous pouvons leur fournir ce type de capteurs, mais aussi des compteurs de trafic (de véhicules, de piétons, etc.). Toutes ces informations interagissent avec l’éclairage. Je prends un exemple qui est en cours de test : à un carrefour en milieu urbain, le niveau d’éclairage a été abaissé la nuit à 15 % ; lorsque le capteur de bruit détecte un dépassement du seuil (de bruit), cela signifie qu’il y a potentiellement un problème au carrefour ; le capteur de bruit va alors donner l’ordre à l’éclairage de remonter à 100 % de son intensité. Nous avons aussi développé des systèmes de détection qui font la différence entre des personnes et des véhicules : dans le premier cas, ils envoient un signal pour remonter le niveau d’éclairage ; dans le deuxième cas, l’éclairage reste au même niveau puisque les voitures possèdent leurs propres phares et n’ont donc pas besoin de plus de lumière. Un des intérêts de cette intelligence réside dans la possibilité de créer des scénarios dynamiques et automatiques. Elle offre aussi la possibilité de programmer des allumages selon un calendrier défini par la municipalité, comme des événements particuliers tels des festivals, des commémorations, des foires périodiques, etc. Dans ce contexte, nous cherchons à nous rapprocher des concepteurs lumière afin d’échanger le plus en amont possible dans le projet d’éclairage sur leurs besoins et comment nos solutions peuvent y répondre. L’éclairage connecté reste un marché en devenir qui se développe de plus en plus, mais encore trop lentement, et c’est à nous d’en faire connaître les atouts et d’accompagner les collectivités dans leur mise en œuvre pour une intelligence au service de leurs territoires.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud