
Depuis 20 ans, Lionel Bessières explore les multiples facettes de l’éclairage, du spectacle vivant à l’architecture, en passant par les espaces urbains.
Lionel Bessières fonde Quartiers Lumières en 2006, après une première expérience marquante auprès de Pierre Bideau. Il nous confie son analyse de l’impact des innovations sur son métier et souligne l’importance de l’adaptabilité face aux enjeux environnementaux et sociétaux.
À quand remonte votre passion pour la lumière ?
Lionel Bessières – Je devais avoir 12 ou 13 ans quand j’ai fabriqué une lampe de chevet avec un vieux téléphone à cadran. Je l’avais démonté et mis une ampoule dessus, et le fait de décrocher allumait la lampe ! Plus tard, au lycée, je me suis plus intéressé au son, en particulier au cinéma. J’ai fini par opter pour un parcours universitaire scientifique en mathématique et électronique et j’ai intégré l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers, pour me spécialiser en acoustique. C’est là que j’ai vraiment découvert les techniques de l’éclairage qui rejoignaient ma passion pour le cinéma, car un concepteur lumière ne crée-t-il pas lui-même ses propres images ?
C’est le lien entre technique et créativité qui vous a conduit à la conception lumière ?
Lionel Bessières – En effet. C’est un stage chez le concepteur lumière Joël Berthon qui m’a fait découvrir l’univers de l’éclairage au sens large. Puis, en1999, j’ai décroché mon premier emploi chez Pierre Bideau, et j’ai donc eu la chance de travailler avec lui sur la mise en lumière et le scintillement de la tour Eiffel ! Cela a été évidemment un projet extrêmement gratifiant qui m’a donné envie de me rapprocher de l’aspect « créatif » de la lumière. Puis, j’ai eu envie de découvrir d’autres univers plus liés au spectacle et à la scène ; c’est ainsi que j’ai rejoint la société Pariscène où je suis devenu responsable technique. Durant ces années, j’ai pu élargir mes compétences, entouré de gens passionnés ; je suis intervenu dans de nombreux théâtres parisiens, en m’enrichissant et en relevant de nouveaux défis. J’ai ainsi appris qu’il faut sans arrêt se renouveler et ne pas hésiter à admettre que l’on ne sait pas faire pour continuer à apprendre.
Qu’est-ce qui vous a incité à quitter l’univers du théâtre ?
Lionel Bessières – La curiosité, le besoin d’en savoir plus… À l’issue de trois ans passés chez Pariscène, j’ai pris une année sabbatique pendant laquelle j’ai voyagé un peu partout. Cela m’a permis de réfléchir à ce que je voulais faire et à mon retour, j’étais décidé à explorer d’autres champs des possibles dans le domaine de la conception lumière. Joël Berthon partait à la retraite, il m’a accompagné, conseillé, et j’ai fondé Quartiers Lumières en 2006. Je n’avais aucune référence en nom propre, donc j’ai dû créer mon propre réseau, tout d’abord en proposant des petites mises en lumière chez les particuliers et en participant à des festivals lumière, comme celui de Thionville en 2007 qui m’a valu de remporter (avec quelle fierté !) le premier prix. Il s’agissait d’un travail de création artistique qui mixait éclairage architectural et mise en lumière scénique avec la manipulation technologique qui permet d’être au service d’une idée. La même année, j’ai participé, avec la conceptrice lumière Catherine da Silva, à la Fête des Lumières de Lyon. Ensuite, l’activité s’est déployée au fil des rencontres avec les urbanistes, les paysagistes, les architectes.
Quartiers Lumières va bientôt fêter ses 20 ans. Quelle est sa source d’inspiration ?
Lionel Bessières – Aujourd’hui, je suis épaulé par une petite équipe très efficace, composée de Rémi Sauve, ingénieur, également diplômé de l’ENSIP, à mes côtés depuis 7 ans, et Carolina Scorsone, architecte. Cette complémentarité nous permet de répondre à tous les projets, de la mise en lumière du patrimoine à l’éclairage urbain, jusqu’à l’éclairage industriel et l’éclairage muséographique, de restaurants ou de bureaux. Chaque étude d’éclairage doit s’inscrire dans un contexte global et c’est à nous, concepteurs lumière, d’apporter, grâce à notre créativité, des réponses aux divers enjeux, qu’ils soient scénographiques, techniques, esthétiques, écologiques, politiques, etc. Notre capacité d’adaptation joue un rôle primordial dans tous nos projets.
Vous mettez votre adaptabilité au service de la conception lumière ?
Lionel Bessières – Oui, sans aucun doute. L’arrêté de décembre 2018, les confinements ont changé les habitudes et les mentalités en ce qui concerne la lecture nocturne des espaces extérieurs. En intérieur aussi, les technologies ont modifié le regard que nous portons sur l’architecture et la mise en valeur des volumes. Les projets se complexifient, nous disposons de nouveaux outils, toujours plus précis, capables de créer des modélisations 3D, les demandes deviennent plus exigeantes. C’est difficile d’expliquer des ambiances, le bien-être, ce sont des notions abstraites, et c’est pour cette raison que nous allons de plus en plus souvent sur le terrain pour faire des essais et des marches nocturnes citoyennes, mais ce n’est pas toujours possible et c’est presque heureux. La liberté de création doit rester la clé de la réussite d’un projet. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille délaisser les réponses simples, au contraire, surtout sur des projets pérennes où la sobriété reste de mise, tout en évitant l’uniformisation. Il faut trouver un certain équilibre.
Comment voyez-vous les 20 prochaines années de Quartiers Lumières ?
Lionel Bessières – J’espère que notre métier sera de plus en plus reconnu : il existe depuis 40 ans et les concepteurs lumière n’ont toujours pas d’école dédiée ni de diplôme ! Je pense que l’IA va avoir un impact sur la conception lumière, il faudra apprendre à s’en servir avec un juste équilibre. Je reviens à la notion
d’adaptabilité : il faudra tenir compte de toutes ces évolutions technologiques et sociétales, en gardant notre indépendance et en essayant de composer avec les contraintes, en particulier en extérieur. En intérieur, je pense que notre profession peut encore largement se déployer. J’aimerais conclure avec cette citation de Michel Audiard qui peut faire écho à nombre d’entre nous : « Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière. »
Propos recueillis par Isabelle Arnaud
Parcours
Diplômé en 1997 de l’ENSI Poitiers, Lionel Bessières débute sa carrière auprès de Pierre Bideau en 1999, avec qui il travaille sur des projets lumière pérennes et événementiels tels que la tour Eiffel. En 2003, il complète son parcours comme responsable technique de la société Pariscène, spécialisée dans les aménagements de théâtres et d’opéras. En 2006, il crée l’agence de conception lumière Quartiers Lumières à Toulouse. Les activités de l’agence se développent autour de projets d’architecture, d’aménagements urbains, de mises en valeur du patrimoine et d’éclairages muséographiques et scénographiques. L’équipe présente des expériences diversifiées qui s’appuient à la fois sur la créativité et la maîtrise technique. Parmi les principales références : le Capitole de Toulouse, la rénovation des œuvres d’art du métro toulousain, les éclairages du musée de l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, de nombreuses études pour Airbus.
Lionel Bessières est secrétaire de l’Association des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE) et intervient dans plusieurs organismes de formation (école d’architecture de Toulouse, Licence Pro Éclairage Public à Albi, Master Design Espace à Montauban).