Interview : Antoine de Fleurieu, délégué général et Joël Vormus, directeur des affaires publiques et délégué datacenters, Gimelec

Joël Vormus, directeur des affaires publiques et délégué datacenters Gimelec et Antoine de Fleurieu, délégué général Gimelec. © Gimelec

Dans un contexte où l’électrification devient un enjeu central de la transition énergétique et de la souveraineté industrielle, les entreprises du Gimelec jouent un rôle stratégique. Antoine de Fleurieu, délégué général, et Joël Vormus, directeur des affaires publiques, partagent leur analyse sur les défis et opportunités de la filière. Entre investissements massifs, retard de l’électrification des usages et nécessité d’une politique industrielle ambitieuse, ils plaident pour une approche globale intégrant flexibilité énergétique, digitalisation et montée en compétences des acteurs. À travers cette interview, ils reviennent sur les leviers essentiels pour accélérer la transition tout en garantissant la compétitivité de l’industrie française.

Quels sont les principaux enjeux actuels de la filière électrique ?
Antoine de Fleurieu – Les membres du Gimelec agissent sur trois offres de valeur que sont l’électrification, l’automatisation et la digitalisation. Notre premier enjeu concerne la transition énergétique, au travers de l’électrification, qui est aujourd’hui un sujet de préoccupation. Pour atteindre les taux d’électrification visés, il faut réaliser des investissements considérables dans les infrastructures de production, à la fois nucléaire et renouvelable, ainsi que sur les réseaux de transport et de distribution d’électricité. Ces investissements sont évalués à 200 milliards d’euros d’ici 2040. Leur financement repose sur les consommations électriques qui doivent croître pour se substituer aux énergies carbonées. Or, la consommation électrique française a été stable en 2024, après plusieurs années de baisse. Le plan d’investissement est donc fragilisé par l’absence de croissance des consommations.

Joël Vormus – Le sujet de l’électricité est bloqué dans un éternel débat franco-français entre nucléaire et énergies renouvelables qui invisibilise in fine les autres acteurs de la filière, y compris notre industrie. Preuve en est, l’électrification était quasi absente des précédents projets de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) soumis à consultation, ce que le Gimelec regrettait systématiquement. Le dernier projet de PPE rendu public le 14 mars identifie désormais l’électrification comme l’un des deux enjeux majeurs « allant de pair avec la baisse de la consommation globale en énergie » : c’est une amélioration notable que le Gimelec salue.

Conséquence concrète de cette « invisibilité » persistante :  l’absence de véritable stratégie industrielle en matière d’électrification, que ce soit en France comme en Europe, a contrario des filières verticales comme le nucléaire, les énergies renouvelables, le véhicule électrique ou l’hydrogène. En France, nous avons par ailleurs un tropisme pour les gros objets, idéalement nouveaux comme les gigafactories. Filière pourtant préexistante composée pour bonne partie de PME et d’ETI, l’industrie de l’électrification intéresse jusqu’à présent peu, alors qu’il est indispensable de lui donner les moyens de changer d’échelle pour répondre au maximum aux besoins nationaux et européens. Il faut poser le sujet dans des termes simples : est-il par exemple acceptable que les 200 milliards d’investissement prévus dans les réseaux qui seront payés par les consommateurs français ne bénéficient pas en priorité aux industriels français et européens ?  Nous avons cette réflexion en matière de défense : pourquoi ne pas avoir la même pour l’électrification ?

Antoine de Fleurieu – Si les plans d’électrification se réalisent correctement, la France gagnera à la fois en décarbonation, en souveraineté énergétique et en activité industrielle. Ceci nous amène à notre second enjeu, la réindustrialisation française et européenne. Dans le contexte international actuel, il est urgent que la France et l’Europe se dotent enfin d’une politique industrielle ambitieuse, basée notamment sur la préférence européenne. En France, le Gimelec, avec ses partenaires, a l’ambition d’élaborer un programme en faveur de l’automatisation, de la robotisation et de la digitalisation des PME industrielles qui doivent par ailleurs bénéficier d’un environnement réglementaire et fiscal favorable à leur développement. Les pouvoirs publics doivent par exemple avoir conscience que le succès de leurs ambitions concernant l’industrie de l’armement dépend de la bonne santé des fournisseurs d’équipements et de constituants de cette dernière. La souveraineté européenne et française en matière d’armement est intimement liée à notre souveraineté industrielle en général. Nous avons bien noté ces dernières années une réelle volonté des pouvoirs publics d’agir sur la réindustrialisation par une meilleure politique de l’offre, mais dans les faits, les choses n’avancent pas au bon rythme. Il faut accélérer et massifier la modernisation de nos PME industrielles.

Joël Vormus – La filière représentée par le Gimelec pèse économiquement relativement peu par rapport aux autres grands verticaux, ce qui la rend peu visible auprès des pouvoirs publics. Pourtant, sans les technologies développées par les membres du Gimelec, la réindustrialisation et l’électrification ne se feront pas. Oublier cette industrie, c’est pourtant risquer de créer des trous dans la Supply Chain, avec à la clé une perte de souveraineté et de savoir-faire. Les liens sont donc très forts entre industrie et électrification. C’est très bien de mettre beaucoup d’argent dans des gigafactories, mais si tous les équipements qui les composent viennent d’Asie, la France n’aura rien gagné en termes de souveraineté. L’Allemagne prépare un plan de relance très important qui se concentre sur deux axes : défense et industrie. Cela devrait inspirer nos décideurs politiques.

« Une réalité demeure : le datacenter est à court terme le seul secteur pouvant contribuer à la hausse de la consommation d’électricité tant recherchée et cela, sans avoir besoin de subvention publique massive. » Joël Vormus

Quel est votre constat sur le dynamisme actuel du marché sur vos différents segments ?
Joël Vormus –
Sur l’électrification, nous sentons une réelle dynamique, qui se concentre principalement sur l’infrastructure de transport et de distribution d’électricité, avec une montée en puissance des investissements pour RTE et Enedis. Pour le bâtiment, le dynamisme est très mitigé. Le secteur de la construction est très morose. La dynamique vient des BACS, mais cela ne compense pas le marché du neuf. Côté industrie, le marché est légèrement négatif. Nous sommes moins impactés que l’Allemagne, qui dépend énormément de l’export, mais les investissements sont trop faibles. Nous avons constaté une bonne période jusqu’en 2023, mais aujourd’hui, les perspectives ne sont pas très encourageantes. Concernant les infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE), la France n’est pas à la hauteur des ambitions affichées. Même si beaucoup de choses sont faites, le taux d’équipement est bien en dessous des objectifs. L’électrification des flottes d’entreprises est très en retard, alors qu’il s’agit pourtant du parc le plus facile à transformer. Enfin, le datacenter est très dynamique, avec une croissance de 15 à 20 % par an. Le marché français est moins mature que chez nos voisins et nous bénéficions actuellement d’un rattrapage. L’émergence soudaine du sujet de l’IA a créé un certain attentisme des acteurs du datacenter, qui doivent repenser les designs de leurs projets et éviter les coûts échoués. Le Sommet de l’IA constitue à ce titre une étape psychologique positive qui devrait accélérer les décisions d’investissement. Une réalité demeure : le datacenter est à court terme le seul secteur pouvant contribuer à la hausse de la consommation d’électricité tant recherchée et cela, sans avoir besoin de subvention publique massive. Pour faciliter les choses, l’État peut en revanche apporter sa pierre à l’édifice en réduisant les délais de raccordement et en simplifiant les démarches administratives.

« Nous avons publié un Observatoire des BACS sur la base duquel nous proposons l’objectif de 100 000 BACS en 2030. L’État a tout intérêt à se saisir de cet objectif pour accélérer l’électrification des bâtiments. » Antoine de Fleurieu

Pouvez-vous faire un point sur l’électrification des usages. Quels sont les secteurs d’activité qui s’électrifient le plus rapidement ?
Antoine de Fleurieu –
Nous disposons de trop peu de données publiques à ce sujet et avons signifié notre regret que l’électrification soit le parent pauvre de la première version du projet de la PPE (Politique de programmation pluriannuelle de l’énergie). La nouvelle version en circulation a bien pris en compte notre remarque et s’est étoffée à ce sujet. Malgré les obligations réglementaires, les objectifs de déploiement des BACS ne sont pas tenus. Nous avons publié un Observatoire des BACS, dans lequel nous avons proposé un objectif de 100 000 BACS en 2030. Un objectif ambitieux et nécessaire même s’il est moindre que l’objectif fixé par le décret BACS. L’État doit faire sien cet objectif, ne serait-ce que pour être cohérent avec la réglementation qu’il a mise en œuvre.

« Les discussions actuelles sur le sujet de l’électrification de l’industrie se focalisent de façon exagérée sur les coûts de l’électricité alors que l’enjeu de compétitivité de la majorité des industriels dépend d’autres facteurs de coûts. » Joël Vormus

Quels sont les leviers pour inverser la vapeur et favoriser l’électrification ?
Joël Vormus –
Pour développer l’électrification, il faut avant tout se doter d’une véritable stratégie de long terme dont l’une des déclinaisons structurantes est une politique tarifaire stable. Le Gimelec salue l’ajout par RTE d’un volet industriel à son schéma décennal de développement des réseaux. Mais la foire d’empoigne sur le prix de l’électricité lors des discussions relatives au projet de loi de finances (PLF) fait planner un doute persistant sur le volet financement de ce travail. Une situation qui n’incite pas à investir dans l’outil industriel. À ce sujet, la vision de long terme des pouvoirs publics que nous appelons de nos vœux doit, dans l’ensemble de ses déclinaisons, systématiquement embarquer un volet industriel, impliquant de facto une compréhension fine du tissu industriel français. Hélas, sur la plupart des sujets, nous constatons nous seulement que les absences de consensus liées au contexte politique créent des décisions brutales et du Stop&Go, mais que le débat sur l’électrification est quasi systématiquement abordé par le « petit bout de la lorgnette ». La clé d’entrée est souvent celle du tarif de l’électricité, avec un prisme déformant en faveur des extrêmes : pour grossir le trait, les électro-intensifs et les ménages en situation de précarité énergétique. Sans nier l’importance de ces derniers, il existe pourtant un monde entre les deux. Les discussions actuelles portent à croire que les coûts de l’électricité sont trop importants pour l’ensemble des industriels, ce qui est évidemment faux. Preuve en est, nous avons bénéficié pendant des décennies d’énergie bon marché et pourtant, la France s’est fortement désindustrialisée. Nous vivons actuellement la fin de la mondialisation heureuse et il faut nous adapter à cette nouvelle réalité où la réindustrialisation est désormais une question de souveraineté : il va falloir jouer sur tous les leviers de compétitivité et élargir la focale pour, enfin, considérer tout le tissu industriel français.

Quels sont les principaux leviers pour concilier réindustrialisation et décarbonation, sachant que la France a de nombreux atouts, parmi lesquels une électricité disponible et faiblement carbonée ?
Antoine de Fleurieu –
En premier lieu, il faut mettre en œuvre des politiques publiques qui visent la modernisation des PME, notamment dans l’automatisation, la robotisation et la digitalisation. La France n’a pas pris la mesure du retard de son industrie et nous prônons un plan d’urgence pour remettre à niveau nos PME industrielles, avec des financements et des mesures réglementaires et fiscales. Pour faire une analogie géopolitique, la force de dissuasion nucléaire française est l’arbre qui cache la forêt et représente notre dernier attribut de puissance. L’industrie représente à peine 10 à 11 % de notre PIB, contre plus de 20 % pour l’Allemagne. L’industrie allemande est certes dans une mauvaise passe, mais elle a les moyens d’opérer sa transformation. La France doit être moteur au niveau européen pour dynamiser l’industrie, et éviter de perdre notre souveraineté et de devoir in fine importer des produits manufacturés fortement carbonés. La décarbonation de notre industrie dépend en premier lieu de sa modernisation qui, par nature, combinera électrification et performance, notamment énergétique.

Joël Vormus – Le cadre européen est très structurant pour notre industrie et le sujet de la souveraineté industrielle européenne arrive rapidement sur la table. On se plaint souvent des lenteurs de l’Europe, mais force est de constater qu’elle a jusqu’à présent souvent mis en place de meilleurs cadres régulatoires que l’échelle nationale pour l’industrie du Gimelec.

« L’objectif de la flexibilité c’est de consommer l’électricité quand elle est disponible et à son meilleur tarif. » Antoine de Fleurieu

Le sujet de la flexibilité, porté par un ensemble d’acteurs dont RTE et le Gimelec, est l’une des conditions pour adapter le réseau à la fois à l’augmentation de la demande et à l’intégration des énergies renouvelables. Pouvez-vous nous expliquer au travers de quelques exemples concrets les leviers pour apporter de la flexibilité sur le réseau ?
Antoine de Fleurieu –
La flexibilité couvre plusieurs aspects. En premier lieu, selon les périodes de la journée et de l’année, l’électricité est plus ou moins disponible et plus ou moins coûteuse.  L’objectif de la flexibilité c’est de consommer l’électricité quand elle est disponible et à son meilleur tarif. Ensuite, la flexibilité permet une optimisation technico-économique du réseau. Nous avons parlé des 200 milliards d’investissement à réaliser sur le réseau. La flexibilité permet de lisser ces investissements pour qu’ils soient acceptables. Le troisième intérêt est de consommer en priorité de l’électricité nucléaire et renouvelable, plutôt que de devoir consommer une électricité carbonée, produite dans des centrales thermiques fonctionnant au gaz. Enfin, plus de flexibilité sur le réseau permet d’éviter les black-out en période de tension. Le sujet de la flexibilité a changé de nature ces dernières années et revêt un intérêt fort, notamment pour le gestionnaire du réseau. Le Gimelec adresse ce sujet depuis plus de 15 ans. Au départ, l’effacement permettait d’éviter les pointes carbonées, notamment les soirs d’hiver. Aujourd’hui, l’objectif est d’optimiser le fonctionnement des systèmes en réduisant les coûts pour les utilisateurs. L’intégration des énergies renouvelables au réseau a créé un décalage entre les pointes de production et de consommation. Nous devons apprendre à jouer avec.

Joël Vormus – La flexibilité se fait assez simplement, grâce à des équipements de gestion du bâtiment, au travers des BACS. Les gestionnaires de bâtiments ont l’obligation d’investir dans des BACS. L’ajout d’une brique permettant la flexibilité représente un léger surcoût à la mise en œuvre, mais permet à long terme de bénéficier d’une réduction des coûts de l’énergie. Paradoxalement, l’atout de la France est d’avoir connu la crise de la corrosion sous contrainte des centrales nucléaires et la crise du gaz en 2022, qui ont sensibilisé les acteurs publics et privés à l’importance de la flexibilité. Nous avons donc un temps d’avance sur nos voisins qui, comme l’Allemagne, ont par ailleurs des investissements bien plus importants à faire dans leurs infrastructures. Dans le monde du bâtiment, le discours est de consommer au bon moment pour avoir accès à une électricité moins chère. Nous avons également travaillé sur la flexibilité avec les acteurs du datacenter, pour lesquels l’enjeu est aujourd’hui principalement lié aux délais de raccordement au réseau électrique. En exploitant leur potentiel de flexibilité, ils pourraient accélérer le processus et en réduire les coûts. Sujet jusqu’à présent très discret, la flexibilité dans les datacenters, nous le constatons, fait l’objet de plus en plus de publications et d’annonces en Europe comme aux États-Unis. On pourra par exemple noter que RTE et Schneider Electric ont rejoint un groupe de travail américain, DCflex, de l’EPRI, qui compte parmi ses membres fondateurs Google, Meta ou nVIDIA. Objectif : explorer la manière dont les centres de données peuvent soutenir le réseau électrique.

RTE a annoncé une réforme du dispositif heures pleines/heures creuses, pour adapter le réseau à l’intégration des énergies renouvelables. Avez-vous plus d’informations à ce sujet ?
Antoine de Fleurieu –
La réforme a été adoptée et sa mise en œuvre est prévue pour le mois d’août. Mais une question sous-jacente demeure : comment les fournisseurs d’électricité vont-ils adapter leurs offres ?

Quel est le rôle de la digitalisation et du développement de l’IA pour accélérer une électrification décarbonée ?
Antoine de Fleurieu –
Les acteurs du Gimelec proposent des offres digitales de plus en plus conséquentes. Notre filière développe depuis 30 ans des solutions d’optimisation des consommations énergétiques basées sur des automatismes. Ces systèmes passent aujourd’hui à la vitesse supérieure grâce au numérique et à l’intelligence artificielle. Le numérique et l’IA sont une « extension » naturelle de nos solutions d’automatismes et décuplent la capacité de ces derniers à optimiser tout système ou processus (industriel, énergétique, logistique, etc.). Dans l’industrie, le jumeau numérique permet de réduire drastiquement les délais et les coûts en permettant de simuler des processus physiques sans avoir à les fabriquer.

Joël Vormus – L’intelligence artificielle est souvent perçue négativement, notamment à cause de son caractère énergivore et du sentiment général d’absence de bénéfices réels pour la société, voire de son préjudice pour certains métiers. Si la question de la valeur ajoutée de certaines applications de l’IA est légitime, une réalité demeure : son usage va inévitablement se développer en France. Si la France considère qu’elle n’a pas besoin d’infrastructures hébergeant de l’intelligence artificielle, d’autres pays seront très heureux de les accueillir. Pour le numérique, la problématique est la même que pour les produits manufacturés : si nous n’avons pas de datacenters en France, nos requêtes se feront sur des serveurs étrangers alimentés par une électricité fortement carbonée, contrairement à la nôtre.

Le développement de l’IA nécessite de créer des datacenters extrêmement puissants, avec des régimes de puissance annoncés de facteur 10. Comment le développement de l’IA va-t-il impacter – ou impacte déjà – le marché des datacenters ?
Joël Vormus –
Bien évidemment, le déploiement de l’IA va modifier la manière de faire de nos adhérents, mais ça ne sera pas une révolution. Comme je le disais, la France rattrape son retard sur le marché des datacenters, mais nos adhérents répondent à des projets partout dans le monde. Si les solutions technologiques demeurent pour les datacenters hébergeant des serveurs d’IA, ce sont les designs d’offres qui seront modifiés. Le « liquid cooling » par exemple, qui focalise beaucoup l’attention grâce à l’IA, est une technologie qui a 60 ans ! Suite aux annonces du Sommet de l’IA, le marché français pourrait connaître une diversification. Des acteurs déjà présents en Europe mais pas en France sont en train de s’implanter : Microsoft ou les Émirats arabes unis sont parmi ceux ayant fait le plus parlé d’eux.

Comment conjuguer développement de l’IA et performance énergétique des datacenters ?
Joël Vormus –
Les acteurs du datacenter sont très en avance sur la performance énergétique pour des raisons de compétitivité. Un cadre européen commence à s’imposer sur la performance énergétique des datacenters et pourrait forcer un changement au cadre français qui s’appuie sur le décret tertiaire et donc, totalement inadapté. Je ne suis donc pas très inquiet sur le « moins consommer ». Il faut surtout se focaliser sur le « mieux consommer », au travers de la flexibilité et des services que pourraient rendre ces infrastructures au réseau. Un sujet important pour 2025 pourrait être celui de la récupération de la chaleur fatale. Une obligation européenne est en cours de transposition : chaque datacenter d’une puissance supérieure ou égale à 1 MW devra réutiliser sa chaleur fatale, sauf si ce n’est pas rentable d’un point de vue technico-économique. Pour utiliser la chaleur fatale, il faut des réseaux de chaleur, un sujet du monde des collectivités. Il y a donc un véritable besoin de dialogue sur ce sujet, à mener conjointement entre les opérateurs de datacenters et les collectivités, sous l’égide de l’État. Se contenter d’une obligation réglementaire, c’est prendre le risque de mettre le secteur devant une injonction irréalisable.

« Les compétences sont un sujet complexe, profond et sur lequel personne ne peut agir seul. » Antoine de Fleurieu

La question des compétences se pose à tous les niveaux de formation et dans tous les secteurs d’activité de la filière. Quelles sont les initiatives du Gimelec pour favoriser la transition des compétences par la formation ?
Antoine de Fleurieu –
Les compétences sont un sujet complexe, profond et sur lequel personne ne peut agir seul. Notre stratégie est donc d’œuvrer collectivement. Concernant les réseaux électriques, nous sommes associés à un programme d’actions inédit initié par Enedis, « les Écoles des réseaux pour la transition énergétique », qui vise à enrichir les programmes des bacs pro, BTS et formations d’ingénieurs et à sensibiliser les jeunes suivant ces formations aux opportunités des métiers de notre filière. Nous allons également dévoiler sur le salon Global Industrie (11-14 mars 2025 à Lyon) une initiative propre au Gimelec : INDUSTRIUM. Un jeu qui vise à offrir aux élèves de collège, ainsi qu’à leurs parents et enseignants, un regard moderne sur l’industrie et ses métiers et, ainsi, éviter les biais négatifs que subit le monde de l’industrie.

Joël Vormus – Sur le volet électrification, nous avons besoin d’un discours positif à destination d’un public large. L’objectif est de changer l’imaginaire sur ces métiers. Mais les pouvoirs publics conservent des logiques sectorielles qui rendent les choses difficiles. Ce sujet ne concerne pas uniquement les ministères de l’industrie ou de l’énergie : nous serions par exemple très heureux d’une prise de parole de la ministre de l’Éducation nationale sur l’industrie et l’électrification. Plus concrètement, sans main-d’œuvre qualifiée il sera impossible d’opérer les transitions dont nous avons parlé précédemment. Pourtant, lorsque l’on observe les valorisations des entreprises de notre secteur et l’intérêt qu’elles présentent pour les investisseurs, il est assez simple de s’imaginer qu’elles sont vectrices d’emplois, avec des bons salaires à la clé. Même si tous les niveaux de formation sont concernés, une bonne partie des besoins se situe ainsi au niveau bac + 2 et bac + 3. Nous souffrons depuis longtemps de la réduction de ce vivier à cause d’une politique générale qui pousse les étudiants à poursuivre leurs études jusqu’à bac + 5 alors même que notre industrie offre des possibilités importantes d’évolution au cours d’une carrière professionnelle. De la même manière, les jeunes filles ne vont pas naturellement vers ces métiers, ce qui nous prive de 50 % de profils. Il faut maintenant ouvrir les vannes. D’autant que nous avons une chance unique :  l’électrification et l’industrie sont des secteurs porteurs de sens.

Quels sont les principaux sujets qui occupent le Gimelec actuellement ?
Antoine de Fleurieu –
Notre enjeu interne est de moderniser et adapter le Gimelec à ces nouveaux défis. Nous avons pour cela transformé notre modèle économique et travaillons à mieux transversaliser nos travaux et communications. Ce travail interne rejaillira sur notre identité avec l’ambition d’être à la hauteur des enjeux de nos adhérents.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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