Mathieu Lustrerie est une société de réfection et de création de lustres, mais sa mission va bien au-delà. Ce sont des passionnés, des mordus. Créée en 1948 à Marseille par Henri Mathieu, sous le nom de Mathieu FALL (Fabrication artistique de lustres et de luminaires), l’entreprise passe entre les mains d’Yvette Mathieu en 1982, puis de Régis Mathieu, l’actuel dirigeant, en 1992. Il reprend le flambeau à 19 ans pour relancer l’activité de ses parents qui battait de l’aile. L’entreprise quitte Marseille pour Gargas, dans le Luberon, en 2002, et devient Mathieu Lustrerie, une société de réalisation de luminaires sur mesure. En parallèle, Régis Mathieu répond à un premier appel d’offres de l’Assemblée nationale qu’il gagne, et développe les compétences de son entreprise dans la restauration.
Mathieu Lustrerie remporte de nombreux appels d’offres et restaure les lustres d’exception, de l’Opéra de Paris au château de Versailles, en passant par le musée national de la Marine, et plus récemment les lustres de Notre-Dame de Paris. Parallèlement à son entreprise, Régis Mathieu cultive sa passion en collectionnant des lustres de toutes les époques et de tous les continents. L’atelier de Gargas, une ancienne usine d’ocres, est un écrin et surtout, un lieu de transmission. Des visites gratuites sont organisées toute l’année pour faire partager cette passion aux visiteurs et retracer des siècles d’histoire à travers les lustres.
Le positionnement de Mathieu Lustrerie est une passion des lustres, et les ateliers de Gargas sont un lieu dédié aux lustres. L’objectif est double. D’abord, le travail au service des lustres, qui englobe la maîtrise de la technique de restauration, la technique de réédition, la création, la dorure, le traitement de surface, la lumière, le travail sur le cristal, la recherche historique… Régis Mathieu a constitué tout au long de sa carrière une grande bibliothèque d’archives sur les lustres, qui a notamment servi lors de la restauration de ceux de Notre-Dame de Paris.
La deuxième mission de l’entreprise est la transmission de cette passion. Régis Mathieu a voulu donner un sens à toutes ces connaissances acquises au fil du temps. Mathieu Lustrerie dispose d’un lieu unique au monde, avec 5 000 m² répartis sur trois bâtiments monumentaux, abritant l’atelier, un musée et une salle d’exposition accueillant, selon les périodes, les lustres contemporains créés par la lustrerie Mathieu ou des expositions temporaires. Ce parcours de visite est gratuit et raconte l’histoire des lustres et ce travail au service de ces objets d’exception. « Le partage de cette culture fait que le public s’intéresse aux lustres et qu’il les regarde avec de bons yeux et les utilise correctement », explique Régis Mathieu.
Visite de la lustrerie
Trois histoires se succèdent. La première est l’histoire des compagnons qui travaillent au service des lustres. Les ateliers sont bordés de coursives, ce qui permet aux visiteurs d’observer leur travail. Ensuite, l’histoire chronologique des lustres est décrite à travers une longue collection, du XVe siècle aux luminaires contemporains. Les visiteurs poursuivent cette promenade à travers les anciennes usines d’ocres, lieux magiques, bercés d’histoire dans la région.
Puis, le parcours repasse au milieu des ateliers et arrive en bas où la dernière pièce abrite soit une exposition – par exemple l’exposition Notre-Dame de Paris au cours de l’été 2024 – soit des luminaires contemporains que l’on dessine et que l’on réalise. Après l’analyse, la compréhension, l’histoire et la culture, le musée laisse place à l’émotion.
Contemporain, l’objet prend le premier rôle ; plus ancien, il est important de savoir à quelle époque sa fabrication se situe, si c’est la première fois que des lustres ont été éclairés avec du gaz, de l’huile, si c’est le début des bougies, des chandelles, si ça polluait, si ça sentait mauvais ou bon… il y a toute une histoire liée à l’objet lui-même. Des archives uniques au monde À chaque fois que Mathieu Lustrerie intervient sur un chantier ou que l’entreprise est consultée, les compagnons doivent réaliser des recherches, un travail de compréhension et de préservation. Ces informations sur les lustres sont intégrées aux archives. L’objectif est de mettre en sécurité les lustres en termes de dessin, de modèle, de possibilité de les refaire s’ils disparaissent, brûlent, sont volés… « Nous sommes ainsi garants d’une énorme base de données et archives de luminaires, toutes époques et tous pays confondus », détaille Régis Mathieu. L’entreprise intervient dans toute l’Europe, en Amérique du Sud, en Asie, ou encore en Russie, dans les musées du monde entier…
Réédition de lustres anciens
Ce savoir-faire et cette mine d’informations ont permis à la lustrerie de développer une activité de réédition de lustres anciens. « Par exemple avec le château de Versailles, grâce à une licence du château de Versailles et du ministère de la Culture, pour rééditer à l’identique des objets des rois de France. Nous apposons une estampille spéciale pour montrer que la réédition est autorisée par l’État et qui prouve qu’il s’agit de la continuité d’un original. » Mathieu Lustrerie verse des droits au château de Versailles pour ces rééditions. Ainsi, clients français et étrangers peuvent bénéficier de ces objets, dessinés par des maîtres, pour des rois. L’objectif est donc de perpétuer ces métiers, dans la continuité des savoir-faire anciens.
Création de lustres contemporains
Le classique d’aujourd’hui doit être dessiné et construit pour que demain, les historiens et les restaurateurs puissent avoir du recul sur ces créations. Mathieu Lustrerie crée des luminaires contemporains, avec les mêmes matériaux, les mêmes mains, les mêmes
gestes, le quartz, la lumière, l’or, le bronze, l’argent… « Quand on a cette passion pour l’histoire des lustres, on doit absolument écrire l’histoire d’aujourd’hui, sinon il n’y aura pas de restaurateurs demain », confie Régis Mathieu.
Une collection impressionnante
« Nous avons constitué une collection de plus de 1 000 lustres anciens. Nous avons aujourd’hui des lustres de toutes les époques, de tous les temps, dans tous les états, pour avoir comme un livre ou une base de données pléthorique, mais en réel », explique Régis Mathieu. Cette collection prend tellement de place qu’un bâtiment a été construit spécialement. « Je ne veux pas que le public vienne acheter des lustres ici, mais qu’il comprenne leur histoire. Cela permet de toucher tous les visiteurs et pas seulement ceux qui ont les moyens », précise Régis Mathieu. Dans ce bâtiment, appelé le musée, l’objectif est le partage, rendu possible par la gratuité de la visite. L’objectif est de créer une connexion entre les visiteurs et l’histoire de ces pièces, leur transmettre un peu de cette culture, et qu’ils quittent le musée des étoiles dans les yeux. Les visiteurs tournent autour des lustres, qui mesurent parfois plus de 10 mètres de haut, conçus pour les cages d’escaliers ou les salles d’opéra.
Location de luminaires
Comme la lustrerie compte plus d’un millier de pièces, il arrive que des clients émettent le souhait d’en changer régulièrement. C’est notamment le cas des hôteliers, des restaurateurs ou même de clients privés. Dans ce cas, la lustrerie part d’un modèle présent chez les clients, qu’elle étale sur quelques années, sous la forme d’une location. Mathieu Lustrerie reste donc propriétaire des lustres et le client en change quand l’envie lui prend. Pour des restaurants par exemple, certains clients ont une activité d’extérieur l’été et d’intérieur l’hiver. Cela permet d’installer des lustres pour la période de Noël et en changer en février, puis de nouveau pour l’été. « Si vous prenez quelque chose pour quelques mois, vous pouvez prendre un risque que vous n’auriez pas pris, en choisissant des choses inattendues, qui correspondent davantage à notre collection », explique Régis Mathieu. Les équipes de la lustrerie envoient les images et les petites histoires des lustres que les clients pourraient installer chez eux. « L’idée est qu’ils peuvent passer de l’art déco à l’art nouveau, de l’art nouveau au XVIIIe en cristal, au XVIIe où les cristaux étaient de petites perles, à la haute époque avec des lustres en fer forgé, et revenir à des choses très contemporaines, plutôt XXe siècle en plexiglas de couleur, pourquoi pas aller dans les lustres de mon père qui sont des formes de coquillages en aluminium. »
L’objectif de Régis Mathieu répond toujours à cette même idée : le partage de la culture des lustres. Si les clients peuvent changer leurs lustres, ils vont développer une connaissance, se poser les bonnes questions. Régis Mathieu fait une analogie avec les voitures ou les montres anciennes. On ne cherche alors plus la fonctionnalité, mais la compréhension de ces objets historiques qui servent au plaisir et au pouvoir. Aujourd’hui, l’éclairage est réalisé avec des spots, des lampadaires, des lampes. Nul besoin de l’éclairage d’un lustre, qui éclaire peu et prend la poussière.
« On revient au lustre pas pour la lumière, mais pour l’objet et ce qu’il représente, comme un tableau, une sculpture… Les lustres sont là pour apporter de la solennité, une esthétique, mais pas de l’éclairage », explique Régis Mathieu. On retrouve l’objet et la liberté de se faire plaisir avec. D’autant que les lustres ne s’usent pas et qu’ils sont manipulés uniquement par les employés de la lustrerie. Des équipes dédiées assurent l’installation et le remplacement lorsque les clients souhaitent en changer.
La lustrerie Mathieu, en plus de sa maison mère de Gargas, dispose d’ateliers à Paris, dont un place de la Concorde, dans l’Hôtel de la Marine, qui est l’ancien atelier du garde-meubles de la Couronne. Cet atelier dans lequel les compagnons de la lustrerie restaurent les lustres pour les monuments historiques est ouvert aux visites. L’entreprise possède également une galerie place Beauvau et des entrepôts pour héberger cette gigantesque collection. L’œuvre de la vie de Régis Mathieu a été, au-delà de la rénovation et de la création de lustres, de partager avec le public leurs singularités et leur histoire.
Alexandre Arène