Tout le monde sait que la lumière « fait des miracles », le quartier de la Chapelle en est un témoignage. D’un lieu de marginalité tumultueux aux ambiances nocturnes glauques, il est passé à un espace apaisé aux circulations douces où les piles d’ouvrages s’animent de créations artistiques dans une atmosphère de pastel rose orangé. Rencontre avec la Fée lumière.
La porte de la Chapelle, quartier du nord de Paris, a pendant des décennies offert une vision pour le moins confuse des espaces publics. Coincées entre Saint-Denis et le 18e arrondissement, la colline du crack, les abris de secours de migrants, le bowling ancré sous le périphérique, 12 voies sur 38 m d’emprise au sol occupaient le terrain sur plusieurs niveaux, ne laissant aucune circulation possible aux piétons ou aux cyclistes.
La dynamique des jeux Olympiques, la construction de l’Adidas Arena et du Campus Condorcet ont permis de redessiner les espaces, réduisant de moitié le nombre de voies et offrant désormais une déambulation aux piétons, aux cyclistes, en créant des espaces de partage.
Pour les architectes urbanistes Richez_Associés, « l’enjeu de l’aménagement de ce site de 43 000 m² était de transformer l’environnement en espace urbain et paysager de qualité pour l’ensemble des usagers. Un espace apaisé qui donne la priorité aux circulations douces, aux plantations, au relief. Un espace à claire-voie qui compose avec la monumentalité des voûtes des rampes de circulation, la verticalité des immenses piliers, les abris allongés sous les arcades. Un paysage hybride prend vie, offrant une infrastructure verdoyante, arborée, revégétalisée par la paysagiste Emma Blanc. »
Sara Castagné, conceptrice lumière, agence Concepto, le revendique, c’est un geste fort : « Les ambiances que nous avons conçues pour ce nouvel aménagement reposent sur la création d’une expérience nocturne innovante et unique et sur une réappropriation des espaces publics par tous et toutes. L’objectif premier du projet lumière lié aux futurs aménagements vise à restaurer une perception émotionnelle positive de la porte de la Chapelle de nuit. Le changement de la relation émotionnelle que l’on peut tisser avec ce lieu qui a marqué les esprits passe par une volonté de rupture totale, un geste fort, mais aussi une réappropriation des espaces par tous les publics. Notamment par les femmes pour lesquelles le futur projet lumière devra faire naître davantage de poésie de façon à rendre à ce quartier une nuit agréable et socialisable. Le projet sert aussi la phase héritage des JO avec la volonté de développer un lieu de proximité expérientiel et résilient. La porte de la Chapelle fera le lien entre Paris et Saint-Denis, entre l’Arena de la porte de la Chapelle et le Stade de France. »
Un geste lumineux fort
À travers cette démarche, Sara Castagné et Margot Jacob ont voulu créer un environnement singulier et spectaculaire, elles ont ainsi réinventé le quartier la nuit, pour lui donner une certaine légèreté, ou au moins une convivialité qui fait écho à l’embellissement urbain insufflé de jour par Richez_Associés. « Nous avons travaillé sur l’application de critères de genre pour modifier radicalement l’expérience nocturne, pour les femmes, mais aussi pour les adolescent.es, les personnes âgées, avec des outils très simples, comme apporter du confort et du soin, créer de la vitalité avec de la couleur et de la poésie dans l’espace. »
L’équipe de Concepto a donc abordé le projet par le prisme confortable de la lumière. Cependant, dans un tel nœud de circulation, l’aspect fonctionnel de l’éclairage tenait une place importante. Souhaitant conserver une certaine harmonie avec la mise en lumière de l’esplanade Alice-Milliat réalisée par 8’18’’ (tandis que l’Arena a été mise en lumière par Philippe Almon), Concepto a repris la même modénature de mâts mais pas les mêmes projecteurs. Ces derniers sont disposés à des hauteurs différentes de manière à fournir de la lumière partout où cela est nécessaire et a même intégré, en pied de mât, des lignes verticales bleues dédiées à l’éclairage des circulations piétons et pistes cyclables. Cet éclairage fonctionnel du nouvel aménagement, destiné à apaiser et simplifier la lecture de l’espace par le piéton, est complété par une mise en lumière « expérientielle » colorée des tabliers sous les ouvrages d’art.
Les infrastructures totems
Les infrastructures, briquées, nettoyées, ont perdu leur noirceur, seules quelques coulures plus foncées témoignent encore de leur sombre passé. Les piliers de soutènement se dressent désormais tels des totems de béton blanchi, gardiens des circulations partagées. « Afin de magnifier les infrastructures, poursuit Sara Castagné, nous avons éclairé leurs sous-faces à l’aide de réglettes d’une lumière rose orangé définie avec la mairie de Paris, et qui est fixe mais peut cependant être programmée dans une tout autre couleur comme le bleu. »
Les linéaires sont placés en haut des piles et piliers, créant un éclairage patrimonial pastel doux sur le « plafond » du passage, surnommé la « cathédrale » au niveau de l’arrêt de bus de la ligne 38.
La Chapelle enchantée
Pour donner encore plus de poésie à cet ensemble, Concepto a utilisé la grande surface des piles (36 m² : 9 m de large sur 4 m de haut) pour projeter des vidéos de 3 minutes chacune. Deux piles seulement seront retenues (budget oblige) : celles situées juste en face de l’arrêt de bus du 38. Elles servent de supports d’expression artistique et viennent dialoguer à la fois avec les mises en valeur mais également avec les usages nocturnes. En accord avec la mairie de Paris et sous l’impulsion de Concepto, Terideal a missionné Manifesto pour organiser un jury afin de sélectionner dix jeunes artistes, issus des plus grandes écoles d’art, pour mettre à l’honneur un savoir-faire innovant sur la thématique du sport, de la culture et du mouvement à l’occasion des JO.
À la suite d’un appel à projets, le jury, composé des élus de la Ville de Paris et de la mairie du 18e arrondissement de Paris, a sélectionné dix artistes : Paul Heintz, Emilie Lor, Côme Lorans, Thomas Merceron, Baptiste Rogers, Côme Rollet-Manus, diplômé.es de l’École des Arts décoratifs, et Arnaud Laffond, Juliette Larochette, Seunghyun Park, Julia Piccolo. Dans le futur, ces supports de projection donneront lieu à diverses séries de créations vidéo, qui seront renouvelées à l’occasion d’appels à candidatures au sein des écoles d’art.
« Les différentes dimensions de cet éclairage expérientiel se superposent au rythme des usages, commente Sara Castagné, des fréquentations et des événements pour créer de la surprise, avec un espace immersif à découvrir de près et de loin. L’expérience nocturne marque les esprits et réenchante le site. Le projet de lumière restaure la perception émotionnelle positive de la porte de la Chapelle de nuit : un tremplin pour les jeunes artistes qui conjuguent aux mouvements lumineux apportés par l’éclairage de mise en valeur des sous-faces d’ouvrages des projections vidéo venant habiter l’espace le plus emblématique du parvis nord, espace urbain névralgique en voie de fortes mutations. »
Isabelle Arnaud