Nawel Creach-Dehouche, architecte de formation, découvre le métier de concepteur lumière dans le cadre de ses études et comprend tout de suite que c’est ce qu’elle veut faire. Depuis plus de vingt ans, de l’extérieur à l’intérieur, les projets se succèdent au sein de l’agence Cosil, dont elle est aujourd’hui la gérante.
Nawel Creach-Dehouche est diplômée en 1999 de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger. 2001 : master d’architecture, Ambiance et confort pour l’architecture et le paysage à l’École nationale d’architecture et de paysage de Bordeaux. Stage à l’agence Wonderfulight d’Anne Bureau. Début 2003 : Nawel Creach-Dehouche rejoint l’agence Cosil, de Gérard Foucault, en tant que conceptrice lumière junior. 2014 : le bureau d’études Peutz rachète l’agence Cosil. Fin 2022 : l’agence Cosil redevient indépendante sous la gérance de Nawel Creach-Dehouche. Secrétaire de l’Association des concepteurs lumière de 2017 à 2023. Ambassadrice auprès de l’XPO, Fédération des concepteurs d’expositions.
Comment avez-vous associé la conception lumière à votre formation d’architecte ?
Nawel Creach-Dehouche – Dans le cadre de mes études à l’École nationale d’architecture et de paysage de Bordeaux, je suivais également des cours d’acoustique, de thermique et d’éclairage dispensés à la faculté des sciences. Anne Bureau, conceptrice lumière intervenait durant ce master et nous a parlé du métier de concepteur lumière. Nous étions tous captivés par sa présentation et voulions faire notre stage de fin d’études dans son agence ; j’ai eu la chance d’être retenue. Nous avions travaillé sur la mise en lumière extérieure du musée Cluny. Ma passion pour l’éclairage est née à ce moment-là, je crois. À l’issue du stage, j’ai rejoint l’agence de Gérard Foucault, Cosil, à Paris. Lorsque j’étais chez Anne Bureau, voir le bâtiment de si près et l’étudier dans ses détails me faisait penser que la conception lumière devait se concentrer sur l’éclairage extérieur. À l’agence Cosil, après avoir travaillé sur la place Sainte-Cécile à Albi, j’ai été de plus en plus confrontée à des projets d’éclairage intérieur. J’ai dû relever d’autres défis, pas tout à fait ceux auxquels je m’attendais. Le musée des Beaux- Arts de Nancy et la Galerie des Glaces de Versailles ont marqué sans doute mes premières interventions d’envergure de conception lumière intérieure.
En quoi ces deux projets se ressemblaient-ils ?
Nawel Creach-Dehouche – Dans les deux cas, j’ai dû appréhender les vraies contraintes techniques de l’éclairage intérieur : la largeur des faisceaux, les orientations, les nuances, l’emplacement des projecteurs. On travaillait avec cette rigueur technique qui caractérisait l’approche de Gérard Foucault que j’espère avoir reçue en héritage. En intérieur, la mise en lumière est moins spectaculaire, les appareils doivent se fondre dans l’architecture et cette approche, nouvelle pour moi à cette époque, a changé ma vision de l’éclairage. J’ai compris que l’essentiel se situait dans la perception des ambiances, le confort, qu’il fallait guider le regard sans l’influencer. La lumière permet de faire beaucoup de choses quand on comprend son fonctionnement et comment les matériaux y réagissent. C’est à ce moment-là que je suis passée de la mise en lumière extérieure à la conception lumière intérieure, pour, finalement, intervenir dans les deux secteurs.
Diriez-vous que votre approche de l’étude d’éclairage est la même selon qu’il s’agit d’un projet extérieur ou intérieur ?
Nawel Creach-Dehouche – En intérieur, j’ai l’impression que le confort revêt une importance plus grande : la limitation de l’éblouissement, l’orientation des faisceaux, le sens de la visite dans les musées. Par exemple, se demander de quel endroit on regarde et comment, qu’est-ce que l’on voit, s’imaginer toujours à la place de l’observateur, du visiteur, afin de créer un environnement lumineux le plus adéquat possible à la tâche qui doit être réalisée dans les espaces que l’on éclaire. À chaque fois, les besoins changent, le confort, la quantité de lumière suffisante, de nouvelles choses s’ajoutent en fonction de l’usage et de l’usager. C’est ce qui fait la richesse de notre métier : travailler sur des projets totalement différents, aborder de nouvelles problématiques, et collaborer avec des architectes, des paysagistes, des ingénieurs qui nous incitent à réfléchir à divers éléments du projet, en tenant compte d’aspects plus techniques : la consommation d’énergie, de la durabilité, de la biodiversité. De ces collaborations naît la discussion : ce sont sans doute ces échanges qui me motivent le plus. Un projet de mise en lumière repose d’abord sur une vision, ensuite il se confronte à la réalité du bâtiment pour aboutir à une étude adaptée aux usages et une réalisation qui réunit beauté et fonctionnalité. On voit, mais on vit aussi un espace mis en lumière.
Dans quelle mesure la mutation de l’éclairage a-t-elle joué un rôle dans l’évolution de votre métier ?
Nawel Creach-Dehouche – Lorsque j’ai commencé, la led n’existait pas et le choix des sources était au coeur des projets. Nous devions étudier les différentes caractéristiques de chaque lampe et les appareils proposaient deux ou trois puissances, il fallait donc composer avec ce que l’on avait. Avec la led, les luminaires se sont miniaturisés, les puissances peuvent être adaptées, les normes et la réglementation ont bousculé les habitudes, mettant la qualité de la lumière au premier plan et rendant systématiques les calculs d’éclairement. Le BIM (modélisation des données du bâtiment) qui permet de travailler en 3D est aussi une révolution dans notre métier. Ma sensibilité a également évolué au fil du temps, influencée par les aspects sociologiques, sociétaux, environnementaux de la lumière. Je m’efforce de créer une lumière qui traduit l’identité et la spécificité du bâtiment. La mise en lumière nocturne autorise l’oeil à pénétrer dans le bâtiment et permet de révéler des détails architecturaux qu’on ne verrait pas forcément de jour. Dans les musées, par exemple, la lumière permet de voir les tableaux, les sculptures, révèle les formes et les matériaux des objets exposés : on comprend tout de suite son importance. Nous avons travaillé avec Gérard Foucault sur le musée des Beaux-Arts de Nancy, le Pavillon Amont au musée d’Orsay, le Carré d’art à Nîmes. Ces réalisations ont entraîné mon regard à mieux comprendre la lumière et son fonctionnement.
Comment voyez-vous votre métier dans 20 ou 30 ans ?
Nawel Creach-Dehouche – Je pense que la led va continuer à nous apporter des améliorations technologiques. L’intelligence artificielle va sans aucun doute fournir de nouveaux outils pour appréhender les grandes thématiques et aller plus loin dans notre réflexion. Nos conceptions feront mieux pour les êtres humains, pour la planète, et seront plus adaptées à nos besoins. Pendant très longtemps, on n’a pensé qu’à l’humain, aujourd’hui, on tient compte des autres usagers de nos espaces diurnes et nocturnes comme la faune et la flore. Même si notre profession est en recherche permanente de reconnaissance, le métier de concepteur lumière arrive à trouver une assise stable, et à avoir un impact, que nous souhaitons positif, sur tout l’environnement.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud