Pouvez-vous revenir brièvement sur le mécanisme des CEE ?
Florence Lievyn – Les CEE sont le premier outil de financement de l’efficacité énergétique en France. Mis en place en 2006 pour répondre à l’objectif européen de maîtrise de la demande en énergie, ce mécanisme oblige les fournisseurs d’énergie à inciter les consommateurs à réduire leurs consommations d’énergie. Le financement de travaux d’économies d’énergie reste la voie privilégiée, même si le dispositif permet également de financer des actions de formation, information, recherche et développement. Si l’objectif premier cible les économies d’énergie, les CEE sont également un contributeur actif à la décarbonation de l’économie ! Pour répondre à leur obligation, les fournisseurs d’énergie peuvent également acheter sur le marché des certificats d’économies d’énergie à des entreprises réglementées : les délégataires.
Pouvez-vous nous présenter le GPCEE et quelles sont ses actions ?
F. L. – Créé il y a 10 ans pour fédérer la profession et défendre le mécanisme des CEE, le GPCEE est le groupement représentatif des délégataires. Il compte 15 membres parmi la liste des 35 délégataires agréés par le ministère actuellement. Au regard de son expertise, le GPCEE est l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics sur l’ensemble des sujets en lien avec l’efficacité énergétique et la sobriété. Le groupement contribue ainsi au débat public en proposant des solutions visant à développer les politiques d’efficacité énergétique en France, a fortiori celles liées au CEE. C’est à ce titre que le Groupement est membre du Comité de pilotage des CEE, du Conseil supérieur de l’énergie ainsi que du Comité d’agrément des organismes délivrant les qualifications RGE. Le GPCEE est également un lieu de circulation d’informations et d’échange pour ses membres visant à partager les bonnes pratiques et les actualités du secteur.
Comment le groupement s’organise-t-il pour assainir la filière CEE, dont certaines entreprises ont été montrées du doigt pour des pratiques commerciales douteuses ?
F. L. – Il convient tout d’abord de rappeler que les pratiques douteuses et plus largement la fraude ne sont pas l’apanage des CEE. Dès lors qu’il est question de subventions et donc de masse financière, il y a attraction d’écodéliquants. MaPrimeRenov aurait ainsi versé 400 millions d’euros de subventions indues en 2023, selon Tracfin. Si le GPCEE ne peut à lui seul se revendiquer de la lutte contre la fraude, nous agissons à plusieurs niveaux. D’abord, le fondement même du groupement est de partager les bonnes pratiques entre les membres et de nous assurer d’une parfaite circulation de l’information quant aux principaux attendus législatifs et réglementaires. Ensuite, nous transmettons systématiquement aux organismes de qualification RGE les pratiques non conformes des entreprises labélisées RGE pour recoupement des informations. Par ailleurs, nous remontons les informations aux pouvoirs publics et à l’ATEE pour signaler des abus potentiels. Nous avions été parmi les premiers par exemple à remonter les dysfonctionnements potentiels de la BAR-TH-164 suite à la publication de la fiche. Nous proposons également des mises à jour de référentiels de contrôle ou d’autres mesures d’ordre réglementaire pour renforcer les exigences de contrôle. Enfin, nous militons pour que les exigences liées au statut de délégataire, perfectibles mais indispensables, soient étendues à l’ensemble des producteurs de CEE et notamment la détention de l’ISO 9001 qui vient encadrer les process de production et contrôle de CEE.
Avez-vous mis en œuvre une charte de bonnes pratiques pour vos adhérents ?
F. L. – Le GPCEE a formalisé une charte déontologique en 2018. Acte fondateur du Groupement, ce document vise à formaliser les règles et bonnes pratiques à tenir à la fois au sein du groupement, entre les adhérents, mais avant tout à l’externe, à l’égard des professionnels de la rénovation et des bénéficiaires. La charte est devenue obsolète sur certains points et nous avons prévu une révision dans l’année à venir. Celle-ci devait notamment permettre la création d’un comité éthique, tel que suggéré par le Pacte de confiance des professionnels de la rénovation énergétique, qui a été repoussé en raison de l’actualité politique mais dont nous souhaitons nous inspirer. Ce Comité aura pour but de recenser les bonnes pratiques et de les diffuser, de s’autosaisir en cas de soupçons de fraude visant l’un des membres, de préconiser des actions à mettre en œuvre, voire de se prononcer sur une potentielle exclusion.
Comment les CEE contribuent-ils à améliorer la performance énergétique du parc de bâtiments français ?
F. L. – Les CEE jouent un rôle central pour le développement de l’efficacité énergétique à travers plusieurs axes. Premièrement, en diminuant sensiblement le reste à charge des projets de travaux : près de 6 milliards d’euros par an viennent financer des opérations d’efficacité énergétique dans tous les secteurs : industrie, agriculture, transport, bâtiment… ce dernier représentant à lui seul 70 % des primes CEE délivrées par an. Deuxièmement, en offrant à tous les consommateurs d’énergie, indépendamment de leur niveau de ressources, un financement complémentaire aux aides locales et aux aides de l’État : les CEE sont en effet cumulables et pleinement redistributifs. Troisièmement, en couvrant un très large panel de travaux allant de l’enveloppe thermique au chauffage, en passant par la régulation, la ventilation ou encore les utilités dans le cadre d’un bâtiment industriel. Quatrièmement, en permettant le recours à des matériaux et technologies plus exigeants que la norme marché du fait du principe d’additionnalité. Cinquièmement, en normalisant les pratiques métiers via l’instauration de règles de contrôle communes à toute la filière.
Pouvez-vous nous donner quelques détails sur la fiche BAT-TH-116, qui concerne les systèmes de gestion technique du bâtiment ?
F. L. – Si les travaux permettent de réaliser des économies d’énergie substantielles, notamment en diminuant les besoins du bâtiment, et que le renouvellement des équipements de génie climatique apporte également une baisse des consommations sensible, la dimension des usages ne doit pas être oubliée. C’est en ce sens que la fiche sur la régulation a été mise en place afin d’adapter le fonctionnement des équipements et matériels à la présence, notamment. Elle concerne précisément les systèmes de gestion technique du bâtiment pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, le refroidissement/climatisation, l’éclairage et les auxiliaires, tant pour l’achat d’un système neuf que pour l’amélioration d’un système existant.
Qui peut y prétendre ?
F. L. – Cette fiche est applicable aux bâtiments tertiaires des secteurs de bureaux, enseignements, commerces, hôtellerie-restauration et santé. À noter que l’enseignement inclut les amphithéâtres, c’est-à-dire les salles de cours aménagées en gradins.
Une révision de la fiche, fixée par l’arrêté du 29 décembre 2023, vise à apporter une approche plus ciblée et plus efficiente en excluant un certain nombre de secteurs. Pour quelles raisons les pouvoirs publics ont-ils effectué une révision de la fiche BAT-TH-116 ?
F. L. – Suite à certains abus et notamment l’installation de GTB dans des surfaces non chauffées, les entrepôts de logistique, les réserves, les entrepôts (frigorifiques ou non) et les locaux de stockage sont exclus du bénéfice de la fiche. Il faut aussi souligner la disparition de la catégorie « Autres » qui embarque dans son sillage la disparition des équipements sportifs des collectivités locales, notamment. Il ne s’agit, dans ce cas-là, pas d’une question d’installation non pertinente d’équipements mais, selon l’administration, de l’absence de données normatives et/ou de mesures sur site permettant de calibrer correctement le forfait de primes données. Des data ont été demandées aux filières concernées mais elles peinent à remonter et dans cette attente, tout un pan de sites où l’installation d’une GTB serait pertinente est pénalisé.
Quel est le point de vue du GPCEE sur cette révision ?
F. L. – Dès qu’il y a de l’argent en jeu, certains acteurs font preuve d’une imagination hors norme pour en profiter indûment. La révision des fiches CEE est donc régulière pour venir rajouter des garde-fous et s’assurer que l’intérêt premier soit et reste bien uniquement celui du bénéficiaire. Si nous comprenons donc l’exclusion de certains sites, nous appelons à la réhabilitation de la catégorie « Autres » ainsi qu’au retour du Coup de pouce tant que le parc de bâtiments n’aura pas atteint un taux d’équipements de 25 % environ. Les derniers chiffres disponibles faisaient état de 6 % de bâtiments équipés uniquement.
L’arrêté fixe également une obligation de contrôle par contact. Pour quelles raisons des obligations de contrôle sont-elles mises en œuvre et sur qui repose la charge du contrôle ?
F. L. – Le contrôle par contact permet de s’assurer que l’opération a bien été réalisée. Elle revient à contacter le bénéficiaire par téléphone ou par mail afin qu’il atteste de la bonne réalisation des travaux. C’est une première étape nécessaire mais non suffisante. En complément de ce contrôle par contact, l’arrêté révisé est venu rajouter une obligation de contrôle sur site. Il s’agit cette fois de vérifier la conformité des travaux à l’exigence de la fiche CEE, et notamment la classe de régulation installée qui doit impérativement être A ou B pour être éligible à la prime. Ce contrôle est réalisé par un bureau d’études Cofrac, ce qui assure une indépendance totale avec l’installateur mais également le demandeur de CEE.
Cet arrêté a également reconduit la bonification en vigueur jusqu’au 30 juin 2024, en excluant les secteurs sortis du dispositif par l’arrêté du 29 décembre 2023. Cette bonification sera-t-elle reconduite pour soutenir la mise en conformité au décret BACS des bâtiments tertiaires ?
F. L. – La bonification est un signal fort adressé à un secteur d’activité et permet d’enclencher une dynamique. Pour être pertinente, elle doit être bien calculée afin d’être suffisamment incitative pour que des travaux s’engagent, mais pas surévaluée pour ne pas créer d’effet d’aubaine avec des taux de couverture qui pourraient dépasser les 100 % ! Nous estimons que le bon taux de couverture se situe entre 25 et 50 %. Dans ces conditions et au regard du faible taux d’installation dans le parc actuellement, la question doit en effet se poser de remettre en vigueur une bonification.
Quels sont les changements à venir ou déjà actés ?
F. L. – Des propositions de modifications ont été portées lors du Conseil supérieur de l’énergie du 25 juillet 2024. Plusieurs points sont visés dans ces modifications, dont l’actualisation de la situation de référence et du forfait de CEE pour tenir compte des exigences de l’article R. 111-22-5 du Code de la construction et de l’habitation qui oblige, à compter du 1er janvier 2025, à la mise en place d’un système d’automatisation et de contrôle pour tous les bâtiments tertiaires équipés d’un système de chauffage ou d’un système de climatisation dont la puissance nominale utile est supérieure à 290 kW. Une correction a également été apportée au forfait de CEE pour l’usage eau chaude sanitaire dans les commerces, pour les opérations engagées avant le 1er janvier 2025. À noter enfin des compléments concernant le non-cumul avec d’autres fiches. Moyennant ces modifications, la fiche est désormais applicable aux opérations engagées avant le 1er janvier 2030. C’est donc une très bonne nouvelle pour la filière qui dispose désormais de visibilité et doit pouvoir investir en conséquence.
Le dispositif de financement des GTB par les CEE est prévu pour être arrêté le 1er janvier 2025, au moment de l’entrée en vigueur du décret BACS. Cet arrêt constitue-t-il un frein à la mise en œuvre des BACS pour répondre aux obligations du décret ?
F. L. – Comme mentionné précédemment, la fiche BAT-TH-116 a été modifiée pour tenir compte de l’entrée en vigueur de nouvelles exigences réglementaires. En effet, les CEE sont basés sur un principe d’additionnalité et il n’est pas possible d’apporter un soutien financier à une solution réglementaire. La fiche va donc évoluer pour prendre en compte la nouvelle situation de référence mais ne va pas être abrogée comme nous aurions pu le craindre. Les forfaits sont revus à la baisse du fait du changement de la situation de référence et deviennent même nuls pour certains (éclairage dans le secteur du commerce et de la santé), mais la fiche est bel et bien conservée et apporte une incitation à aller plus loin que les exigences du BACS.
Parvenez-vous à mesurer l’effort restant à fournir pour atteindre les objectifs du décret ?
F. L. – Honnêtement non, mais il nous semble encore important. La situation est assez disparate selon les secteurs d’activité mais également la surface des bâtiments. Les grands sites dont les consommations énergétiques sont importantes se sont saisis du sujet depuis un certain temps, ce qui est moins le cas de commerces à taille plus restreinte, mais la dynamique s’accélère. Le secteur de l’enseignement est largement accompagné par l’État depuis ce début d’année au travers du programme EduRenov et les premiers résultats significatifs sur ce secteur devraient commencer à arriver. Rien de mieux que des plans sectoriels pour engendrer un effet boule de neige ; les Français se comparent beaucoup entre eux… Profitons-en et mettons en avant les belles réalisations et les gains énergétiques associés.
Propos recueillis par Alexandre Arène