La programmation lumière, une deuxième révolution

Programmation Lumière
Damien Joyeux, directeur du bureau d'études Rayflexion et Johan Sustrac, concepteur lumière et directeur de Distylight

INTERVIEW CROISÉE : Damien Joyeux, directeur de Rayflexion, bureau d’études spécialisé dans la gestion de l’éclairage et la programmation, et Johan Sustrac, concepteur lumière et directeur de l’agence Distylight expliquent en quoi la gestion lumière, au sens de programmation, constitue une deuxième révolution dans l’éclairage.

DISTYLIGHT est une agence de conception lumière créée par Johan Sustrac en 2009. Elle emploie aujourd’hui une dizaine de personnes aux profils éclectiques et curieux, qui développent une sensibilité à l’art sous toutes ses formes : architecture, sculpture, peinture, sans oublier le paysage et l’urbanisme. Une équipe forte de 15 ans d’expérience qui conçoit et met en lumière les espaces et les matières, les œuvres et les objets : près de 400 projets réalisés dans le monde. Une équipe à l’affût des nouveautés technologiques pour optimiser l’efficacité et l’empreinte énergétique, qui sait relever les défis techniques pour mieux servir l’esthétique, dans le respect de l’environnement. Distylight a ses bureaux rue de Braque, dans le 3e arrondissement de Paris.
RAYFLEXION est un bureau d’études spécialisé dans la gestion de l’éclairage et la programmation fondé par Damien Joyeux en 2020. Après avoir passé une dizaine d’années au sein d’une agence de conception lumière, il est devenu intégrateur lumière et accompagne les différents acteurs d’un projet d’éclairage, qu’il s’agisse de la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre, ou des concepteurs lumière, de la phase études jusqu’à la création de scénarios lumineux, tout en passant par l’accompagnement de l’installateur sur site. Rayflexion a pour objectif de trouver les solutions les plus adaptées, tant sur la partie matériel en effectuant une veille technologique permanente que sur le choix des protocoles les plus adaptés (DALI, DMX, Artnet, Casambi…) pour répondre au mieux aux besoins de l’utilisateur final et aux contraintes techniques. Les domaines d’application sont divers et peuvent aller de la mise en lumière architecturale extérieure à la gestion de l’éclairage intérieur dans les boutiques, en passant par la scénarisation de l’éclairage dans les restaurants.

Vous montrez l’un et l’autre un intérêt particulier pour la gestion de l’éclairage. Pensez-vous qu’il s’agisse là d’une dimension incontournable de votre métier ?

Damien Joyeux – Aujourd’hui, oui. J’ai été quelques années concepteur lumière au sein de l’agence Ponctuelle et j’ai pu constater que si l’arrivée de la led a favorisé la mise en oeuvre d’éclairages dynamiques, elle a pris aussi de court certains acteurs qui n’ont pas eu le temps de se former aux nouvelles technologies qui font appel à des automatismes ou la programmation de scénarios. J’ai souvent remarqué que, même lorsque les outils étaient prescrits et même installés, ils restaient sans fonctionner correctement car personne ne savait les mettre en service. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de passer de « l’autre côté de la barrière », de revenir à la partie technique en devenant intégrateur lumière et de créer Rayflexion. Connaissant bien le métier de concepteur lumière, c’est facile pour moi de les accompagner dans ce qu’ils ont envie de réaliser et, côtoyant les installateurs sur le terrain depuis longtemps, je suis en mesure de comprendre les difficultés qu’ils rencontrent. Avec Rayflexion, je parviens à créer ce lien entre concepteurs et installateurs, et fais en sorte qu’ils se comprennent ; comme un traducteur qui permet l’échange afin que le résultat soit le plus conforme possible à l’idée initiale du concepteur lumière. Inversement, ce dernier n’a pas toujours le temps d’appréhender les nouvelles technologies en matière de gestion technique ou de programmation ; c’est pour cette raison d’ailleurs que j’ai proposé à l’ACE (Association des concepteurs lumière et éclairagistes) de donner des formations à ces membres ; pour qu’ils soient un peu plus armés lorsqu’on leur objecte l’impossibilité de réaliser un concept lumière au prétexte que c’est compliqué.
Johan Sustrac – Il est vrai que nous traversons une période de révolution où la technologie évolue à très grande vitesse, aussi bien en ce qui concerne le matériel d’éclairage que les systèmes de pilotage et les spécialités se sont affinées. Le recours à des bureaux d’études tels que Rayflexion a tendance à se généraliser, parfois parce que la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’œuvre elles-mêmes nous le demandent.

Doit-on parler de gestion ou bien de programmation ? Quelle distinction faites-vous ?

Johan Sustrac – La programmation ne dépend pas entièrement de la conception lumière, elle vient d’un souhait du client. Elle peut être horaire, liée à des mouvements ; il s’agit de répondre à des besoins, à une image. La gestion comprend les éléments nécessaires à cette programmation comme des modes de pilotage au câblage, en passant par les drivers. D’où l’importance d’intégrer un concepteur lumière très tôt dans le projet afin de guider la maîtrise d’ouvrage. La programmation doit en effet être pensée en même temps que l’étude d’éclairage et c’est à nous, concepteurs lumière, de demander dès le départ à nos clients ce qu’ils veulent obtenir comme effets. C’est à nous qu’il incombe de nous livrer à une véritable enquête des besoins car, bien souvent, le maître d’ouvrage ne connaît même pas l’éventail des possibilités dont nous disposons, à condition, bien entendu, que l’on puisse les étudier, les choisir et les intégrer en temps et en heure dans le projet d’éclairage. Est-ce que l’on veut des scénarios fixes, en mouvement, juste des changements d’ambiances, des variations de couleurs ?
Damien Joyeux – La programmation, c’est la finalité : on programme des scénarios d’éclairage après que tout a été mis en place, tandis que la gestion doit être envisagée en amont . Elle englobe tous les systèmes, c’est-à-dire la partie matériels et programmation et consiste à mettre en oeuvre les produits (luminaires et drivers, interface DALI). La première question à se poser, c’est que veut-on faire avec l’éclairage : des effets dynamiques, des lumières statiques ? Est-ce que l’on veut appuyer sur un bouton ou passer par une application ? L’approche sera différente et ce ne seront pas les mêmes outils à mettre en place, les protocoles de commande ne seront pas les mêmes. Le maître mot est « anticiper », poser les bonnes questions dès le début de l’étude d’éclairage. Quand on parle d’éclairage dynamique, ce n’est pas un gros mot ! Notre rôle d’intégrateur lumière est d’étudier la gestion de l’éclairage afin de mieux la programmer lors de la mise en service.

Anticiper est le maître mot
de la gestion de l’éclairage :
elle doit être pensée en amont du projet.
Damien Joyeux

Existe-t-il des secteurs où la gestion de l’éclairage est plus facilement,
plus fréquemment mise en place ?

Damien Joyeux – La gestion de l’éclairage touche tous les domaines, mais elle est mise en oeuvre différemment selon les effets que l’on veut obtenir. Par exemple, dans un restaurant, on ne mange pas sous la même lumière le midi que le soir, donc, bien évidemment, c’est un secteur de prédilection. Je me souviens du restaurant 39V dont on a parlé dans une édition antérieure de Lumières, on avait réglé l’intensité du flux lumineux à seulement 3 ou 4 % pour le soir ! Autre exemple, j’ai récemment programmé, pour la table du chef dans un restaurant gastronomique parisien, des scénarios lumière adaptés à chaque plat servi en fonction de son contenu. Les approches diffèrent selon les secteurs : elle est plutôt fonctionnelle dans les bureaux ou les musées pour des raisons d’économies d’énergie et de confort visuel ; artistique sur les façades de monuments ; esthétique dans les commerces et les restaurants afin de créer des ambiances dynamiques qui accompagnent les utilisateurs. La gestion peut aller du simple automatisme pour l’allumage ou l’extinction selon l’occupation des locaux, au changement de températures de couleur pour respecter le rythme circadien, en passant par des effets lumineux pixelisés sur une façade.
Johan Sustrac – On vit avec la lumière naturelle qui évolue sans cesse au cours de la journée. Il est vrai que dans les boutiques et les hôtels-restaurants, les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre optent souvent pour de l’éclairage dynamique considéré comme vivant, par opposition à la lumière statique. La plupart du temps, l’option gestion dépend du budget et non du secteur d’activité ; en revanche, c’est une énorme plus-value, les hôteliers et les restaurateurs le savent bien. Mais, dans le tertiaire, la gestion se développe car les bureaux sont de plus en plus soumis aux exigences de labels qui mettent l’accent sur le confort et sur les économies d’énergie. La gestion de l’éclairage sert aussi à cela : réduire les consommations d’énergie tout en améliorant les conditions de travail. Tous ces labels poussent nos clients à investir dans la gestion, mais il ne s’agit pas des mêmes échelles selon les secteurs : un restaurant, c’est entre 200 m² à 400 m² en moyenne ; un projet de bureaux, c’est plutôt plusieurs milliers de mètres carrés !

Tous les projets d’éclairage intègrent une forme ou une autre de gestion désormais ; en extérieur, les façades, les jardins, les places, sont presque toujours éclairés en lumière dynamique. On remarque aujourd’hui une transversalité de tous les systèmes : à Dijon nous avons, par exemple, fait appel à la technique du mapping à laquelle nous avons ajouté des effets dynamiques pour la mise en lumière d’une façade. La matière devient ainsi vivante grâce à la lumière dynamique !

 À quel moment vos deux métiers de concepteur lumière et d’intégrateur lumière
se rencontrent-ils ?

Johan Sustrac – Nous proposons de la gestion dans toutes nos études mais cela ne veut pas dire que nos clients l’adoptent systématiquement. C’est à nous, concepteurs lumière, de nous montrer pédagogiques ; bien entendu, le budget peut représenter un frein car nos clients ne voient pas forcément l’intérêt économique immédiatement. Il nous arrive d’ailleurs de faire la programmation nous-mêmes pour cette raison, mais on essaie au maximum d’inclure la prestation d’un spécialiste comme Damien Joyeux. Sa présence lors des réglages achève de les convaincre : lorsque le client voit l’effet spectaculaire de la programmation, il est toujours conquis. Et pour le concepteur lumière, c’est extrêmement confortable de pouvoir ajuster les sources lumineuses au moment des réglages. L’intégrateur lumière est un véritable allié en termes de respect de la conception lumière et, par conséquent, nous fait gagner beaucoup de temps. Nous faisons en sorte de préparer les plans des scénarios, avec l’indication des groupements des luminaires afin de faciliter la définition des outils à mettre en place lors de la programmation.
Damien Joyeux – C’est là que réside toute la difficulté de notre métier : le résultat n’est perceptible que lorsque le projet est mis en service, alors, pour que la programmation soit réussie, il faut la prévoir en amont, afin que les effets lumineux, ou tout simplement la gestion, soient efficaces. Il faut donc anticiper notre intervention pour la budgétiser et organiser l’interface entre les interlocuteurs, le client, l’installateur, le fabricant et le concepteur lumière. C’est ce dernier qui nous fait entrer dans le projet au moment où lui-même a avancé dans l’étude et défini une gestion de l’éclairage ; il sait qu’il aura besoin de notre intervention pour la programmer et surtout choisir les protocoles adaptés à la réalisation. C’est pour cela que je parle de deuxième révolution qui s’opère : le pilotage de l’éclairage se démocratise, il est de moins en moins réservé aux effets artistiques. Mais attention, je ne me substitue pas au concepteur lumière ; nous sommes complémentaires, chacun son métier ! Il nous arrive également d’être appelées par les fabricants qui ont par exemple beaucoup de leurs appareils installés mais pas seulement, et ils ne savent pas forcément comment faire fonctionner la gestion sur les luminaires d’autres marques, même s’il s’agit d’un protocole ouvert. Dans tous les cas, avant même de nous lancer dans la programmation, nous devons nous assurer que tout fonctionne correctement et que les connexions ont été bien faites.

La matière devient vivante
grâce à la lumière dynamique !
Johan Sustrac

Comment voyez-vous l’évolution de la gestion de l’éclairage et plus particulière­ment de la programmation dans les années à venir ?

Damien Joyeux – On assiste déjà à de nouveaux développements, comme alimenter des luminaires et apporter la commande en même temps depuis un câble RJ45. Et derrière, ce n’est que de l’infrastructure réseau avec des switch PoE (power over Ethernet). Ce ne sont que les débuts de la programmation en éclairage, d’autres développements sont à venir. Notamment, les outils sans fil s’imposent dans la gestion, avec des protocoles ouverts, surtout avec des systèmes utilisant une énergie d’émission faible et fiable. Ces solutions permettent de rendre plus flexible une installation et de limiter l’utilisation de cuivre.
Johan Sustrac – Je pense que l’arrivée de la led a fait basculer l’éclairage dans un domaine proche de l’informatique via les composants électroniques. Il y a de grandes chances que ça se généralise, un peu comme les chargeurs de téléphone, et que tous ces éléments qui le composent aujourd’hui s’interconnectent de façon systématique. Les liens entre les différents secteurs vont sans doute se multiplier, comme entre le chauffage, ou la climatisation et l’éclairage… Tant qu’il y aura une mouvance technologique, il y aura une évolution de nos métiers, concepteur et intégrateur lumière.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

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