Scientifique et artiste, Lucas Goy a embrassé la carrière de concepteur lumière à peine diplômé des Beaux-Arts. S’intéressant autant à l’ingénierie qu’à la créativité, il met en pratique, au coeur de ses projets, sa vision de la mise en lumière qu’il explique comme la concrétisation de ses idées ou « l’éclairage, un art appliqué ».
Lucas Goy est titulaire d’un diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP) et d’un diplôme national d’art (DNA) mention design d’espace, à l’École nationale des Beaux-Arts de Lyon.
Il se forme à la lumière via l’Association européenne des concepteurs lumière (ELDA) et l’Association des concepteurs lumière professionnels (PLDA) à Lyon et à Winterthur. De 2004 à 2008, il travaille comme concepteur lumière indépendant. Outre ses projets, il collabore en sous-traitance avec différents concepteurs, leur apportant expertise et créativité. Lucas Goy fonde en 2008 la société de conception et ingénierie les éclaireurs qu’il dirige depuis lors. Il est membre actif de l’Association française des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE).
Vous êtes concepteur lumière depuis toujours et dirigez aujourd’hui une agence de quinze personnes. Qu’est-ce qui vous a conduit à ce métier ?
Lucas Goy – Titulaire d’un bac S avec mention, j’étais destiné, et poussé devrais-je dire, à faire des études scientifiques ; au lieu de cela, j’ai choisi de suivre un parcours artistique à l’École nationale des Beaux-Arts à Lyon. Finalement, ma formation résume bien mon métier avec cette alternance d’une discipline qui peut aller jusqu’à l’artistique et qui retourne à l’ingénierie, à la science, à la géométrie, aux mathématiques. Pour moi, l’éclairage, c’est un art appliqué, au sens strict ; c’est-à-dire que c’est à la fois quelque chose qui tend vers l’art et qui s’inscrit dans une ingénierie, fonctionne sur un réseau électrique. J’aime bien ce grand écart, cette faculté de passer dans le réel les idées qui vous viennent ; en ayant connaissance des processus de fabrication qui permettent d’aller jusqu’au bout de l’idée que l’on a.
Lorsque j’étais à l’École des Beaux-Arts à Lyon, j’ai effectué des stages au sein de l’ELDA+ : on bénéficiait de matériels incroyables et pendant une semaine, on travaillait la lumière, vraiment concrètement, avec des projecteurs, des câbles, on faisait des essais. Et c’est ça qui m’a séduit : pouvoir concrétiser les idées de lumière que j’avais en tête. En fin d’études, j’ai convaincu le maire de Lagorce, en Ardèche, où habitait ma mère, de renoncer aux travaux de voirie qui allaient détruire la biodiversité et l’environnement du village et de les remplacer par un projet qui s’inspirait d’une oeuvre de la plasticienne Élisabeth Ballet. J’ai pris une année sabbatique pour redessiner le paysage et définir un projet d’éclairage, et j’ai procédé aux essais avec l’aide du CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement). On l’a soumis à la direction départementale de l’environnement qui l’a accepté ! L’éclairage est toujours en place, même si des choses ont un peu vieilli.
C’est important pour vous de lier créativité et ingénierie ?
Lucas Goy – Oui, dans mon parcours et dans le travail de l’agence, il y a toujours une part de recherche et développement, de nouveaux procédés. Ainsi, l’invention se glisse dans nos projets dans des petites choses très subtiles mais ce sont des grands pas en avant. C’est pour cette raison que d’une manière générale, je n’ai pas l’impression d’avoir une écriture spécifique. Je pense que c’est le design et le contexte qui nous guident et nous conduisent à des inventions qui sont présentes dans chacun de nos projets. Le premier bâtiment sur lequel j’ai travaillé m’a été confié par le cabinet d’architecture Patriarche pour éclairer Le Phare à Chambéry, une salle multifonctionnelle de 6 000 places qui accueille des concerts, des spectacles et des manifestations sportives. Cela concernait l’espace d’accueil du public, l’atrium, le proscenium qui fait le tour de la salle, les circulations extérieures. C’était le premier projet que j’ai programmé en DMX ! La conception lumière, c’est beaucoup de travail, cela ne peut pas s’improviser. On peut avoir les plus belles idées au monde mais si on ne sait pas faire d’études photométriques, on ne peut pas avancer. C’est aussi un métier de technicien que le nôtre. Notre équipe a capitalisé un certain nombre de savoir-faire très importants, par exemple interpréter correctement les règles d’accessibilité PMR, comprendre les normes, connaître les textes règlementaires ; ce n’est qu’en maîtrisant les contraintes que l’on peut le mieux s’en affranchir, s’en libérer.
Comment choisissez-vous vos projets ?
Lucas Goy – Nous travaillons aussi bien en intérieur qu’en extérieur et à toutes les échelles, des petites vitrines jusqu’aux master plans. Nous aimons bien aller sur tout le spectre de la conception lumière. Depuis le début, nous intervenons beaucoup à l’étranger, grâce notamment à l’OMA (Office for Metropolitan Architecture), l’agence d’architecture hollandaise de Rem Koolhaas qui nous a apporté de très beaux projets tels que la fondation Prada à Milan, le Garage Center for Contemporary Art, à Moscou, le Blox, un bâtiment situé en bordure du canal Inderhavn à Copenhague, et bien d’autres projets. Ce qui nous a permis de passer entre les gouttes lors d’élections en France, où on reste un peu bloqué pendant les campagnes électorales. Puis, j’ai adhéré à l’ACE puis à IALD (certifié lighting designer) pour élargir encore notre champ d’application. Et nous avons cherché à affirmer notre éthique de travail, via un code exigeant et rigoureux que nous demandons à nos partenaires, fabricants et fournisseurs de signer pour chacun de nos projets. Cette charte les engage à travailler dans le respect des droits humains, du droit du travail, de la propriété intellectuelle, des normes environnementales, de non-exploitation des enfants… Pour nous, ce code marque nettement une évolution dans notre façon de travailler.
Quels autres développements ont marqué votre parcours ?
Lucas Goy – Nous travaillons sur les économies d’énergie (depuis longtemps déjà) avec tous les labels auxquels nous devons nous conformer, et de plus en plus sur des sujets environnementaux. Nous étudions le sdal et le scal [schéma directeur et schéma de cohérence d’aménagement lumière, ndlr] de Rennes avec Virginie Voué de Luminescence, pour créer une trame sombre à plusieurs échelles, ce qui est devenu un sujet important de la conception lumière. Nous intervenons de plus en plus dans le domaine muséographique, notamment dans des pays du Moyen-Orient où nous avons réalisé la Biennale des arts islamiques à Jeddah, la Biennale d’art contemporain à Riyad, en Arabie saoudite. Une autre évolution de notre travail concerne la programmation en DMX. On est monté en compétence dans ce domaine. En 2019, déjà, nous avons mis en lumière la Grande Poste d’Alger, conçue par les architectes français Jules Voinot et Marius Toudoire, véritable référence au centre de la capitale, par un éclairage dynamique à led piloté en DMX, afin de l’adapter à l’intense activité qui rythme cet espace névralgique. Plus récemment, nous avons réalisé la mise en lumière, la scénographie et l’architecture du réseau de la corniche d’Agadir, au Maroc, pilotée sur plus de 4 km, et 10 armoires, ce qui a permis une économie de 80 % des consommations par rapport à l’existant. L’enjeu consistait aussi à créer un éclairage adaptable à divers événements. Enfin, je souhaiterais évoquer notre travail en BIM, surtout en ce qui concerne des grands bâtiments comme le siège d’Axel Springer (OMA), qui incarne au coeur de Berlin l’ambition du plus important groupe de presse allemand : muter vers les médias numériques ; le CHU de Pointe-à-Pitre… Nous avons cette compétence en interne que l’on associe à des projets d’éclairage naturel. J’ai pour ma part suivi une formation Développement durable et qualité environnementale du bâti, qui traite aussi bien de lumière naturelle, d’acoustique, d’isolation, de qualité des matériaux. Il est nécessaire d’intégrer, si c’est possible, la dimension lumière naturelle dans toutes nos études BIM.
Et demain, vers quoi tendra la conception lumière selon vous ?
Lucas Goy – Je crois qu’elle va s’intégrer dans un nuage de services et être en interface avec de nombreux paramètres. Aujourd’hui, l’éclairage est à cheval sur les questions d’énergie, de santé, de connectivité, de sécurité et il est sans cesse interfacé avec des tonnes d’autres sujets, qu’il s’agisse d’intérieur ou d’extérieur. Je pense que l’on s’oriente vers des conceptions de plus en plus complexes et sophistiquées, avec de l’ingénierie, mais qui devront rester simples dans leur perception.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud