Créé il y a dix ans par l’Ifpeb (Institut français pour la performance du bâtiment), Cube (pour Concours usages bâtiment efficace) vise à agir sur le levier des usages pour aider les exploitants de bâtiments à réduire leurs consommations. De nombreuses déclinaisons de ce concours ont été créées et couvrent aujourd’hui un large spectre de bâtiments tertiaires, des bureaux aux commerces, en passant par les bâtiments d’enseignement. Pour accompagner le développement rapide du concours, l’Ifpeb en a confié l’organisation à différents acteurs, dont l’entreprise de conseil A4MT. Cube Datacenter est la dernière déclinaison en date, créée en 2023. Ce concours rassemble sous différentes catégories appelées « podiums » et différentes classes de puissances, de la petite salle serveur au datacenter de plusieurs milliers de kilowatts, les acteurs les plus volontaires du secteur. Avec une consommation estimée à 2 % des usages électriques nationaux et une croissance à deux chiffres du secteur, les économies d’énergie sont un véritable sujet pour le datacenter, tant pour les pouvoirs publics que pour les exploitants. Iris Capkan, responsable de programme Cube Datacenter, revient sur les règles du concours et dévoile les principaux enseignements de cette première édition toujours en cours.
Pouvez-vous nous présenter A4MT, qui porte le concours Cube Datacenter ?
Iris Capkan – A4MT est une entreprise de conseil. Nous concevons et mettons en œuvre des programmes d’engagements et des modifications de marché pour le compte de nos clients. L’objectif est de créer un socle et une structure pour aider les entreprises dans leurs changements et les épauler pour avancer dans leur transition énergétique. Notre rôle est d’impulser de bonnes pratiques, qui essaimeront l’ensemble du marché. Nous proposons donc un accompagnement technico-économique dans plusieurs domaines : datacenters, bâtiments, architecture, flottes automobiles… Les concours Cube ont été inventés par l’Ifpeb il y a dix ans. Il a pris une telle importance que l’Ifpeb a décidé de s’associer à différentes structures. Un partenariat de rang 1 avec A4MT – une structure privée – qui porte le concours, notamment à l’international et le décline dans d’autres secteurs comme le numérique. D’autres acteurs, comme le Cerema, accompagnent l’Ifpeb sur le concours Collectivités, intégrant les écoles, les collèges et les lycées.
Vous avez lancé en 2023 Cube Datacenter. Pouvez-vous nous présenter cette déclinaison du concours Cube ?
I. C. – Les concours Cube existent depuis plus de dix ans, ce qui nous donne un retour d’expériences sur les économies d’énergie dans d’autres domaines. Ce sont les acteurs du secteur qui impulsent le besoin de changement. Pour le datacenter, certains acteurs sont venus nous voir, notamment APL Data Center, Crédit Agricole, Data4, EDF, Schneider Electric, France Datacenter, le Gimelec, et la FNCCR, qui embarque et aide les collectivités au travers du programme ACTEE, pour créer un concours visant à agir sur le numérique. Nous avons conçu un socle. Le concours Cube est une plateforme et une méthodologie, mais c’est surtout un espace de partage et de retours d’expériences. L’objectif est de s’appuyer sur le pilier humain pour avancer collectivement et développer la proactivité de la filière dans le but de réduire les consommations énergétiques.
Qui peut participer ?
I. C. – Le concours est ouvert à tous, qu’il s’agisse d’utilisateurs ou de gestionnaires de données : des entreprises qui gèrent leurs données, des opérateurs de cloud, des hébergeurs, des collectivités. Tout le monde peut s’inscrire, à condition d’avoir un comptage énergétique existant. Le concours est ouvert aux acteurs privés ou publics, sans limite de taille. Il a été baptisé Cube Datacenter pour parler au plus grand nombre, mais une collectivité peut par exemple inscrire une de ses salles informatiques. Il est ainsi possible d’inscrire une salle composée de trois baies et deux serveurs, de la même manière qu’un datacenter de plusieurs milliers de mètres carrés et de plusieurs mégawatts. Cube Datacenter est découpé en trois podiums en fonction des données gérées. Le premier, baptisé « podium sobriété », prend exclusivement en compte l’IT, regroupant les baies et serveurs. Le deuxième, « podium efficacité énergétique », se concentre sur les utilités, englobant notamment la climatisation et l’éclairage. Ce podium est donc destiné aux acteurs qui gèrent en propre leurs données et ont une connaissance des consommations de leur bâtiment, à l’image d’EDF, du Crédit Agricole ou d’un hébergeur comme Data4. Enfin, le « podium économies globales » regroupe les podiums efficacité énergétique et sobriété, pour les acteurs qui ont une vision globale des consommations de leurs datacenters. Il existe ensuite une sous-segmentation, qui dépend de la taille du datacenter ou de la salle de serveurs : de 0 à 100 kW, de 100 à 500 kW, de 500 à 1 000 kW et 1 000 kW et au-delà.
Quelles sont les règles ?
I. C. – Les règles sont simples : faire des économies ! Concrètement, les candidats doivent renseigner leurs consommations chaque mois. À l’aide de notre plateforme et de nos modèles, nous établissons des classements mensuels. Le but du concours n’est pas d’investir fortement dans des solutions pour améliorer drastiquement la performance énergétique, mais d’agir sur l’existant et de trouver les gisements d’économie d’énergie. Pour établir le classement, nous nous basons sur les économies réelles au compteur. Il n’existe à ce jour aucun équivalent sur le marché de concours numérique basé sur la mesure de la consommation réelle. Cube Datacenter est une initiative ludique et collective qui valorise les actions visant à réaliser des économies d’énergie et embarquer toutes les parties prenantes. Dans le cas du datacenter, l’objectif est d’embarquer les équipes d’exploitation et l’IT par la communication avec l’équipe projet Cube. Lorsque nous publions les classements mensuels, nous diffusons une newsletter qui met en exergue, par des retours d’expérience, les actions les plus impactantes. Cela permet d’aider les autres candidats à trouver des leviers supplémentaires d’actions. Nous organisons également des réunions avec les différents candidats, afin qu’ils puissent échanger sur les bonnes pratiques et leurs modes d’organisation, ce qui est très enrichissant pour l’ensemble des participants.
Comment les participants montent-ils leurs équipes projet ?
I. C. – Il n’existe pas une méthodologie unique pour créer l’équipe. L’organisation est propre à chaque équipe et dépend du nombre d’employés qui se rendent disponibles. Le concours n’est pas une surcharge de travail, car il s’intègre à leurs activités actuelles. Chaque équipe dispose d’un référent, qui fait la courroie de transmission entre nous et son équipe, d’une Green Team, de Comités Verts, animés sur différents rythmes. Pour gagner, il faut mettre en œuvre une véritable organisation. Ensuite, à chaque équipe ses recettes pour trouver les gisements.
Pouvez-vous faire un point d’étape sur la première édition ?
I. C. – La première édition est toujours en cours. Elle a débuté en octobre 2023 et se poursuivra jusqu’en septembre prochain. Nous ne pouvons pas encore dévoiler les chiffres, mais des tendances se dessinent sur les différents podiums. Nous avons pour cette première édition une quinzaine de candidats aux profils assez variés, hébergeurs, acteurs privés, collectivités, opérateurs de cloud. Cela nous permet d’avoir une vision sur les différents modes de fonctionnement et de voir les marges de manœuvre dont ils disposent et les actions qu’ils peuvent mettre en place. Il faut être courageux pour s’inscrire la première année, car la participation au concours peut influer sur la réputation de l’entreprise. La trajectoire nationale sur le numérique est en inflation, ce qui implique mécaniquement une augmentation des consommations. Nous ne savions donc pas du tout à quelles économies nous attendre. La quinzaine de participants font donc encore une fois preuve de courage en essayant de réaliser des économies d’énergie malgré l’inflation de données. Arrive-t-on à infléchir l’augmentation ? Arrive-t-on à la neutraliser ? Parvenons-nous à faire des économies ? C’est donc le défi que nous nous sommes donné avec cette première communauté.
Comme nous l’avons constaté sur les autres déclinaisons du concours Cube, c’est le travail d’équipe qui prime.
Pouvez-vous nous en donner les principaux enseignements ?
I. C. – D’abord, comme nous l’avons constaté sur les autres déclinaisons du concours Cube, c’est le travail d’équipe qui prime ! Le fait que ce soit un jeu permet de fluidifier la communication entre l’exploitation et l’IT et de trouver les bonnes solutions ensemble. Sans les personnes sur le terrain, il ne se passe rien. Dans le datacenter comme dans l’ensemble des autres domaines concernés par Cube, l’humain et la communication sont le point de départ de l’ensemble des actions. Il faut des retours terrain et une adaptabilité rapide pour confirmer ou infirmer les différents essais réalisés.
Quels sont les principaux postes de consommation des datacenters ?
I. C. – Le principal poste est la salle informatique, qui représente près de 80 % des consommations d’un datacenter. Les 20 % restants sont liés à la climatisation et à l’usage des bâtiments.
Le premier levier d’économies est l’augmentation des températures de fonctionnement des salles IT.
Y a-t-il, dans le datacenter, des « Quick Wins », qui permettent de réaliser des économies substantielles à bas coût ?
I. C. – Pas mal de points reviennent souvent sur la table. Le premier levier d’économies est l’augmentation des températures de fonctionnement des salles IT, tout en respectant le bien-être des personnes qui y travaillent. Il fait très chaud dans ces salles, encore plus lorsque les températures de fonctionnement sont rehaussées, il faut donc mettre des moyens à disposition des équipes terrain, notamment des vêtements spéciaux. Il existe une marge de manœuvre sur les températures des salles : les constructeurs préconisent des températures de fonctionnement, et les exploitants ont tendance à réduire la température pour ne pas prendre de risques. Étant donné la consommation des solutions de climatisation, les gisements sont importants. Un autre sujet est le décommissionnement des serveurs, qui se retrouve en haut de la liste des actions à gains rapides, selon les participants. Ce sujet n’est pas une priorité en exploitation, pourtant des ressources inutilisées fonctionnent en permanence, la plupart du temps sans raison. Le décommissionnement regroupe à la fois le fonctionnement de serveurs utilisés pour la redondance et des serveurs inutilisés qui restent en marche. Les serveurs fantômes sont un gisement conséquent d’économies. Pour faire une analogie avec le bâtiment, un important volet des consommations est lié aux consignes de chauffage, notamment dans les espaces inoccupés. L’objectif est donc de questionner l’usage des serveurs qui ne servent pas ou très peu. Certains sont allumés car on a surévalué les besoins, d’autres fonctionnent toujours alors que les besoins ont évolué, d’autres encore fonctionnent le week-end alors qu’ils ne sont pas sollicités pendant cette période… Les participants au concours essayent donc d’explorer les bénéfices et risques liés à leur extinction. Le datacenter étant considéré comme une infrastructure critique, il subsiste des inquiétudes, notamment de savoir si les serveurs se rallumeront le jour où on en a besoin. C’est une véritable transformation des pratiques et c’est tout l’intérêt du concours, qui donne plus de latitude pour réaliser des essais, d’abord sur des périmètres restreints, puis plus larges. Un autre « Quick Win » est la communication interne, grâce à la sensibilisation des collaborateurs et l’échange, ce qui crée une émulation. L’aspect ludique permet de fluidifier le dialogue. Enfin, pour les acteurs de la colocation et du cloud, les aspects liés à la sobriété énergétique sont au cœur de leur activité. Ils mettent des actions en œuvre et les montrent à leurs clients. Les clients sont donc de plus en plus exigeants sur les sujets de performance énergétique et ont accès à des informations qu’ils n’avaient pas auparavant. Certains clients exigent, sur les sujets énergétiques, une exemplarité des acteurs qui hébergent leurs données, ce qui est une nouveauté. Cela permet d’embarquer l’ensemble de la chaîne de valeur dans des actions de performance.
Gère-t-on un datacenter de la même manière que n’importe quel autre bâtiment ? Pouvez-vous nous expliquer ?
I. C. – Nous avons fait beaucoup d’analogies précédemment, mais c’est totalement différent. Un datacenter tourne 24 h/24 et 7 j/7. Tout le monde a des terminaux et/ou un téléphone, toutes les données sont hébergées quelque part et doivent être accessibles à tout moment. Dans un bâtiment de bureau, le week-end et entre 19 h et 8 h la semaine il est possible de réduire les consommations. Par ailleurs, dans les bâtiments tertiaires, les consommations sont liées à l’occupation, ce qui n’est pas du tout le cas des salles serveurs, qui ont un impératif purement technique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de marges de manœuvre, loin de là. Dans les datacenters, les enjeux de continuité de service sont la priorité, mais il existe des analogies liées aux techniques de gestion des bâtiments.
Malgré la demande et les besoins en perpétuelle augmentation, il est possible de maîtriser les consommations.
Les datacenters représentent aujourd’hui 2 % des consommations électriques françaises. La digitalisation et le développement de l’IA devraient peser fortement dans l’augmentation des puissances dans les années à venir. Quelle est la place du datacenter dans le contexte actuel de transition énergétique ?
I. C. – Les consommations sont en croissance exponentielle. Les premiers résultats que nous pouvons dévoiler de cette édition montrent, notamment sur le podium sobriété, une croissance très importante des volumes de données. Cependant, malgré ce que nous attendions, nous ne constatons pas d’augmentation de consommations et certains participants parviennent même à réaliser des économies. Malgré la demande et les besoins en perpétuelle augmentation, il est possible de maîtriser les consommations. Cela souligne des marges de manœuvre existantes. Le datacenter a un poids important dans la transition énergétique, en raison de ses consommations. L’objectif est donc d’embarquer cette filière dans l’effort global d’économiser l’énergie. Le datacenter a longtemps été pointé du doigt comme étant très énergivore et très opaque sur ses consommations. Avec cette première édition de Cube Datacenter, nous constatons que la filière parvient à s’enrichir de collaborations, de contacts humains et d’entraide, malgré la concurrence. Le datacenter est le muscle de la digitalisation. Avec ce concours, nous souhaitions mettre les consommations réelles sur la table, favoriser les initiatives des acteurs et observer ce que le secteur est capable de faire. Nous constatons que des économies d’énergie très importantes peuvent être réalisées sur les utilités et sur la sobriété, il existe des marges de manœuvre. On ne peut pas déléguer le numérique à un tiers et le pointer du doigt en raison de ses consommations. Le dialogue et la coopération entre les gestionnaires de datas et les usagers sont essentiels et sains.
Quelle est la démarche et quelles sont les dates limite pour s’inscrire à la prochaine édition ?
I. C. – La prochaine édition du concours débutera au printemps 2025, avec une clôture des inscriptions fin 2024. Cube Datacenter est un vrai outil pour valoriser les actions et pour transformer le management. Il offre une belle visibilité en fin d’année pour les vainqueurs, ainsi qu’une visibilité en interne. L’objectif est de faire avancer la filière en échangeant les bonnes pratiques.
Propos recueillis par Alexandre Arène
Retrouvez l’interview page 8, J3e mai 2024 :