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Interview : Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du Numérique

Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du Numérique. @MEFSIN

La consommation électrique des datacenters en France s’élève à 8,5 TWh, soit 2 % des consommations françaises. Comment voyez-vous évoluer cette part dans les années à venir, notamment avec le développement de l’IA et la digitalisation de l’économie ?
Marina Ferrari –
Les projections de RTE publiées dans la dernière enquête annuelle de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) établissent que la consommation d’électricité attribuée aux datacenters pourrait être multipliée par 2 en 2030 par rapport à 2020 et jusqu’à 2,8 en 2035. Elle a par ailleurs progressé sur la seule année 2022 de 15 % alors que la consommation du secteur tertiaire était quant à elle restée stable. On peut naturellement y voir les effets du développement de l’intelligence artificielle, de la numérisation de nos démarches, de nos services et plus largement de la digitalisation non seulement de notre économie, mais aussi de notre société puisque nos interactions sociales se prolongent désormais en ligne ou via nos supports de télécommunication. Il ne faut pas non plus négliger les effets du réchauffement climatique et de l’élévation globale des températures dont on a pu documenter l’impact : moins l’air extérieur est frais, plus nos centres de données doivent utiliser des sources de refroidissements auxiliaires. Ce paramètre est aussi à intégrer et à prendre en compte.

La puissance publique s’est résolument engagée dans une démarche d’incitation.

Le parc de datacenters français comporte encore de nombreux datacenters anciens, construits dans les années 2000. Quels sont les leviers pour encourager la rénovation énergétique des datacenters ?
M. F. –
Avec la loi REEN (visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique), nous avons mis en place un tarif réduit de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité pour les centres de données qui se sont engagés à réduire leur impact environnemental. La puissance publique s’est résolument engagée dans une démarche d’incitation. C’est un bon exemple de dispositif « gagnant-gagnant » bon pour l’emploi et bon pour la planète ! Il faut poursuivre sur cette voie.

Comment l’État aide-t-il les opérateurs à réduire les délais d’installation de nouveaux datacenters, qui sont aujourd’hui jugés bien trop longs par la filière, pour résister à la concurrence d’autres places européennes ?
M. F. –
Le déploiement des centres de données n’a en effet pas encore été sécurisé ou favorisé par un cadre spécifique, alors qu’il s’agit d’un secteur stratégique. C’est précisément pour cette raison que nous avons fait le choix d’y apporter des réponses dans le cadre du plan d’action « Simplification ! » qui été présenté par Bruno Le Maire à la fin du mois d’avril. Concrètement, les datacenters – en particulier ceux qui sont stratégiques pour le développement de l’intelligence artificielle – pourront être qualifiés comme projets d’intérêt national majeur (PINM). Cette identification permettra d’accélérer l’implantation des projets, de faciliter leur aboutissement dans des délais raisonnables avec une délivrance du permis de construire par l’État, des procédures de raccordement électrique plus rapides, mais aussi une procédure permettant l’octroi de la dérogation « espèces protégées ».

La France est-elle un pays attractif pour l’implantation des GAFAM et des opérateurs étrangers ? Si oui, pour quelles raisons ?
M. F. –
La France, pour la cinquième année consécutive, est la championne européenne de l’attractivité. Et nous le devons notamment à nos talents, à ceux qui les ont formés et à ceux qui croient en eux – nos investisseurs. Nous les devons aussi à l’écosystème favorable à l’innovation que nous avons bâti, en particulier depuis 2017 en misant dans la recherche fondamentale, en facilitant l’accès au financement de nos startups (initiative Tibi), mais aussi en alignant nos dispositifs fiscaux sur nos voisins. Le Baromètre EY 2024 a ainsi très justement souligné que « l’avenir ne se dessine pas seulement dans la Silicon Valley ou les mégapoles chinoises, il s’esquisse aussi dans un Hexagone en passe de devenir l’épicentre de l’Europe ». Pour toutes ces raisons, les GAFAM continuent, naturellement, de faire le choix de la France. Je pense en particulier au hub de Google consacré à l’IA que j’ai eu l’honneur d’inaugurer en février dernier.

Quels sont les leviers pour améliorer cette attractivité ?
M. F. –
Rien ne serait pire que de s’arrêter en chemin. La question du financement de l’innovation est à ce titre essentielle et nous devons désormais avoir une stratégie européenne. Pour faire réussir la tech européenne, elle a besoin de fonds européens. On pourrait imaginer une initiative Tibi à l’échelon européen, comme le président de la République l’a proposé dans son discours de la Sorbonne. Ce serait un atout majeur pour conforter le dynamisme et l’attractivité de notre écosystème technologique.

La souveraineté numérique est aujourd’hui un véritable enjeu, qui nécessite d’héberger les données des Français, des entreprises et des institutions françaises sur le territoire. Quelle est la stratégie du gouvernement pour renforcer cette souveraineté ?
M. F. –
La souveraineté numérique est une priorité absolue de notre action. Et nous nous en donnons les moyens législatifs et technologiques. Pour réduire notre dépendance aux géants américains du cloud, la loi SREN (visant à sécuriser l’espace numérique) adoptée il y a quelques semaines a déployé plusieurs mesures concrètes qui vont de l’encadrement des frais de transfert de données au plafonnement des crédits cloud jusqu’à l’obligation d’interopérabilité des services. Nous travaillons d’ailleurs main dans la main avec l’Arcep qui aura la mission de faire respecter cette réglementation. Je veux aussi souligner que ce projet de loi a été enrichi par nos parlementaires avec de nouvelles dispositions, qui vont permettre de sécuriser davantage les données sensibles et stratégiques de l’État ou de ses opérateurs. Je pense en particulier au Health Data Hub, la plateforme de données de santé des Français. Dans le même temps, nous accélérons le déploiement d’une offre française et européenne de services cloud : j’ai annoncé ces dernières semaines plusieurs appels à projets France 2030 qui se déploient dans le cadre de notre stratégie nationale cloud. La maîtrise de ces technologies est un préalable à l’accroissement de notre souveraineté numérique.

Propos recueillis par Alexandre Arène

 

Retrouvez l’interview page 6, J3e mai 2024 :

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