Tout premier cabinet de conseil en stratégie de l’histoire, le cabinet Arthur D. Little a été fondé en 1886 aux États-Unis. Il est aujourd’hui présent dans 45 pays. Sous l’impulsion de Dominique Trancart, directeur associé spécialisé dans l’industrie et la construction, Arthur D. Little a dévoilé un rapport intitulé « Accélérer la rénovation énergétique des bâtiments », qui identifie les principaux défis à relever et donne quelques pistes pour intensifier le rythme des rénovations.
Vous avez publié le rapport « Accélérer la rénovation énergétique des bâtiments », dans lequel vous soulignez les défis auxquels la France est toujours confrontée pour mener à bien la rénovation de son parc. Pouvez-vous nous présenter les principales conclusions ?
Dominique Trancart – Ce document commence par synthétiser des données qui concernent des disciplines cloisonnées. Le parc de bâtiments en Europe est évalué à 220 millions d’unités, dont 35 millions qui doivent faire l’objet d’une rénovation d’ici 2030, selon l’objectif fixé par la Commission européenne. En regardant le rythme actuel des rénovations en France, de l’ordre de 1,5 % du parc par an, on s’aperçoit que les objectifs de 3 % sont loin d’être atteints, malgré des politiques publiques favorables et des mécanismes de subventions. La question que nous nous sommes posée à travers ce rapport est : comment aller plus vite ?
Quels sont donc les principaux défis à relever pour rénover les bâtiments français ?
D. T. – Le rapport aborde en priorité les logements, pour lesquels nous avons identifié cinq défis principaux. Le premier concerne la méconnaissance des propriétaires et des professionnels des technologies existantes au service de la rénovation des bâtiments. Le bâtiment est un objet complexe, pour lequel la standardisation reste un défi et nécessite des expertises pluridisciplinaires. Le deuxième défi concerne l’accompagnement des maîtres d’ouvrage. Ces derniers doivent être conseillés par des assistances à maîtrise d’ouvrage, qui sont en sous-nombre aujourd’hui. Les subventions existent mais il manque d’accompagnants sur ces sujets. Le troisième défi est celui de la main-d’œuvre. Il existe aujourd’hui entre 60 et 65 000 entreprises RGE, alors qu’il en faudrait près de 250 000 pour respecter les objectifs de rénovation. Le quatrième défi est lié à la fragmentation de la chaîne de la construction. Le bâtiment est constitué d’un ensemble de mondes isolés, souffrant d’un manque d’échange entre les différents acteurs. La logique de combinaison des expertises est assez inexistante et le manque de coordination est une réelle difficulté. Enfin, le cinquième défi concerne le financement. Le gouvernement a récemment raboté le dispositif MaPrimeRénov’. La France compte aujourd’hui 5,2 millions de passoires thermiques classées F et G et un rapport de l’IDDRI paru en 2022 estime qu’une rénovation globale coûte entre 25 et 60 000 €. Rénover les passoires thermiques reviendrait donc à 300 milliards d’euros, soit 10 % de la dette nationale. Il faut donc accentuer les financements privés, venus des banques, des assureurs et des énergéticiens.
Quels sont les moyens, selon vous, pour passer à la vitesse supérieure, tout en garantissant des rénovations performantes sur le long terme ?
D. T. – Il est temps de changer de méthodes pour atteindre les objectifs, en désilotant les disciplines pour aller vers des systèmes intégrés. Il serait intéressant de favoriser la co-construction et faire émerger des consortiums multidisciplinaires venus de la sphère privée. La question du financement est bien évidemment au cœur du sujet. Pour faire une analogie, la voiture s’électrise, ce qui fait grimper son coût et oblige les acteurs de la mobilité à changer les modèles économiques en favorisant le leasing, dont l’objectif est de faire payer pour un usage et non pour un bien. Dans le bâtiment, il faut développer des offres pour faire passer ces budgets importants. Par ailleurs, il convient de travailler sur la complexité des offres et regarder le problème de manière industrielle, en créant des offres packagées. Cette industrialisation pourrait également rendre abordable le prix des rénovations.
Propos recueillis par Alexandre Arène