Quels sont les enjeux de la qualité de l’air intérieur ?
Jean-Gabriel Winkler – Les enjeux sont multiples et concernent notamment le temps d’exposition prolongé des occupants, impactant leur santé globale, le bien-être sanitaire et la productivité. De plus, la recrudescence de l’asthme, avec deux fois plus de cas aujourd’hui qu’il y a 20 ans, principalement chez les enfants, et la présence de bioaérosols dans les environnements confinés soulignent l’importance de contrôler la qualité de l’air. Par ailleurs, la pollution extérieure qui pénètre à l’intérieur des bâtiments qui ne possèdent pas de système de ventilation filtrant et performant, notamment dans les zones urbaines, constitue un défi majeur.
Quels sont les principaux polluants et leurs origines ?
Yann Poisson – Les principaux polluants sont le CO2, les composés organiques volatils (COV), les particules fines (PM), ainsi que d’autres COV spécifiques, l’ozone (O3) et le dioxyde d’azote (NO2). Ils proviennent de diverses sources, y compris les activités humaines, les équipements de combustion, les produits de construction et les activités industrielles.
Comment cette question est-elle prise en compte par les pouvoirs publics ?
Y. P. – La prise en compte de la qualité de l’air intérieur par les pouvoirs publics se manifeste à travers des initiatives de réduction des émissions, des réglementations sur les débits de ventilation minimum, le développement de politiques globales de réduction des émissions et la mise en place de zones à faibles émissions (ZFE). Cependant, ces actions restent encore timides dans certains cas. Il aurait été intéressant d’intégrer ces aspects directement au moment de la course à l’isolation thermique des bâtiments et non se réveiller une fois que les problèmes apparaissent !
J.-G. W. – Les principales réglementations sur la qualité de l’air intérieur comprennent les débits de ventilation minimum, le règlement sur la qualité de l’air intérieur (QAI) pour les établissements recevant du public (ERP), le décret BACS et la future réglementation environnementale RE2020, ainsi que les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Certaines lois indirectes vont également être des leviers d’amélioration de la qualité de l’air par l’amélioration de la gestion des systèmes de ventilation comme la loi Énergie-Climat qui vise à réduire nos émissions de moitié d’ici 2050.
Quelles sont les actions de la FIMEA pour faire connaître les enjeux de la QAI et agir sur cette problématique ?
J.-G. W. – La FIMEA mène diverses actions telles que la participation à des synergies entre associations professionnelles, la tenue de salons, la publication d’infographies, des interviews et des tribunes pour sensibiliser et informer sur les enjeux de la QAI. La FIMEA a également intégré récemment l’APQAI ou Association de Promotion de la Qualité de l’Air Intérieur, à l’origine notamment de La QAI pour les nuls (éditions First) et d’autres actions de sensibilisation. Nos membres fondateurs sont également très proches du CNA ou Conseil national de l’air piloté par les députés Jean-Luc Fugit et maintenant Claire Pitollat.
« La qualité de l’air est étroitement liée à la santé, à l’énergie et à la productivité »
Les problématiques sont différentes pour les crèches, les écoles, les bureaux ou les hôpitaux, par exemple. Les impacts et les solutions à apporter sont-ils différents selon l’usage du bâtiment ?
Y. P. – Les réponses sont spécifiques et adaptées à chaque type de bâtiment, que ce soient des crèches, des écoles, des bureaux ou des hôpitaux. Il est également crucial de mettre en place des actions pour surveiller en continu la qualité de l’air. Par exemple, à l’école, c’est la période de la vie où nous sommes enfermés avec un grand nombre de personnes dans une même pièce et sur des temps longs, malheureusement très mal ventilée en général, c’est donc une cible prioritaire d’action.
Quelles sont les actions à mettre en œuvre pour monitorer la QAI au sein des bâtiments ?
Y. P. – Il est essentiel de mettre en place des actions pour surveiller en continu la qualité de l’air afin de pouvoir l’évaluer pour l’améliorer. Savoir, c’est pouvoir ! Cela peut se faire par le biais de capteurs connectés, d’audits réguliers, d’automatisation des bâtiments ou simplement de systèmes de restitution des données et d’alerte.
Quels sont les leviers concrets pour améliorer la QAI selon la typologie des bâtiments ?
Y. P. – Pour améliorer la qualité de l’air intérieur, il est nécessaire de mettre en place des solutions techniques telles que des systèmes de ventilation adaptés, la sensibilisation des occupants sur l’importance de leurs activités sur la qualité de l’air, l’utilisation de systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB) et de supervisions basées sur des données locales réelles pour prendre les meilleures décisions possibles.
Quelles sont les solutions techniques et les innovations technologiques qui permettent d’améliorer la QAI ?
Y. P. – Les solutions techniques telles que la mesure, la GTB (gestion technique du bâtiment), la ventilation et la purification, ainsi que les innovations technologiques telles que l’évolution des technologies IoT (objets connectés) et les passerelles Radio (comme le LoRaWAN ou EnOcean) vers des protocoles filaires ou spécifiques aux bâtiments intelligents (comme BACnet ou ModBus) offrent de nouvelles perspectives pour une surveillance et une gestion plus efficaces de la qualité de l’air intérieur.
Comment optimiser la ventilation pour limiter son impact sur la performance énergétique des bâtiments ?
Y. P. – Il est essentiel d’adapter les systèmes de ventilation à l’usage spécifique de chaque bâtiment. L’objectif est d’éviter de jeter de l’argent et des calories par les fenêtres en ajustant les débits de ventilation en fonction de l’occupation réelle des locaux. Les systèmes de ventilation double flux avec échangeurs thermiques peuvent également être utilisés pour récupérer la chaleur de l’air extrait et préchauffer l’air neuf, réduisant ainsi la consommation d’énergie. Il est important de souligner que la santé des occupants est directement liée à la qualité de l’air intérieur, et qu’investir dans la gestion intelligente de la qualité de l’air revient également à investir dans la productivité des occupants et la réduction de la consommation d’énergie.
Comment assurer la maintenance des systèmes techniques dans le temps pour assurer une bonne QAI à long terme et éviter les dérives ?
J.-G. W. – Il est essentiel de mettre en place un suivi régulier des systèmes de ventilation. Cela inclut la mesure et le monitoring en continu pour vérifier l’efficacité de la ventilation. De plus, l’utilisation de matériel de qualité, tel que des équipements avec une garantie de cinq ans, comme ceux proposés par Thermokon, est recommandée. Il est également important de respecter les préconisations des fabricants et de suivre les recommandations spécifiques à chaque bâtiment. Enfin, dans le cas des équipements IoT fonctionnant sur pile, il est crucial de surveiller régulièrement les niveaux de batterie pour assurer la continuité du service. Il est important de noter que la grande majorité des systèmes de ventilation ne sont pas maintenus, mal installés ou inefficients, d’où l’importance d’avoir des mesures fiables et de qualité.
Est-il possible, à l’image des aspects de consommation énergétique, d’évaluer et d’améliorer de manière prédictive la QAI lors de la conception d’un bâtiment ?
J.-G. W. – Oui. Des études et des sociétés au sein de la FIMEA proposent ce type de prestation. À l’instar de la météo, il est possible d’anticiper les pics de pollution en fonction de données métrologiques à l’extérieur, mais également à l’intérieur du bâtiment en prenant en compte les plages d’occupation, par exemple. L’intégration de grandes quantités de données (big data) permet également de fiabiliser ces modèles prédictifs.
« Plus on isole un bâtiment, plus il devient étanche à l’air, ce qui peut augmenter la concentration de polluants »
Quels sont les matériaux à privilégier ou à éviter lors d’un projet de construction ?
J.-G. W. – Lors d’un projet de construction, il est recommandé de privilégier l’utilisation de matériaux le plus naturels possible. Il est important de vérifier les étiquettes et les labels des matériaux pour s’assurer de leur innocuité pour la qualité de l’air intérieur. Cependant, le plus important reste de bien choisir et dimensionner un système de ventilation capable d’éliminer les polluants générés par les matériaux mais également l’activité humaine et, éventuellement, de mettre en place des systèmes de surveillance de la Qualité de l’AIR pour s’assurer que tous les polluants soient bien éliminés.
La rénovation énergétique des bâtiments et l’isolation permettent de réduire les consommations, mais peuvent occasionner le « syndrome de l’air malsain ». Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?
Y. P. – Plus on isole un bâtiment, plus il devient étanche à l’air, ce qui peut augmenter la concentration de polluants, le confinement des utilisateurs et causer des problèmes de qualité de l’air intérieur. C’est ce qu’on appelle le « syndrome de l’air malsain ». Il est crucial de prendre en compte la qualité de l’air intérieur lors de tout projet de rénovation énergétique afin d’éviter ce phénomène.
Comment s’en prémunir lors d’un projet de rénovation ?
Y. P. – Lors d’un projet de rénovation, il est essentiel d’intégrer la qualité de l’air intérieur en tant que projet transversal. Il est recommandé de mettre en place une surveillance continue de la qualité de l’air, de dimensionner les systèmes de ventilation de manière adéquate et de les piloter intelligemment. Il est également important de surveiller en permanence la qualité de l’air pour identifier et corriger rapidement tout problème potentiel.
La filière est-elle mûre et les besoins en compétences sont-ils assurés pour traiter ces sujets à grande échelle ?
Y. P. – La filière est en effet mature et les compétences ainsi que les technologies nécessaires sont disponibles depuis longtemps. Il est désormais crucial que le secteur intègre ces aspects de manière systématique et transversale. Nous devons également attirer l’attention sur le manque de professionnels spécialisés en ventilation et qualité de l’air, ce qui souligne la nécessité de développer des programmes de formation pour combler ce manque.
Quelles seront les prochaines étapes réglementaires de la QAI ?
J.-G. W. – Nous pouvons nous attendre à une généralisation et à un durcissement des obligations en matière de qualité de l’air intérieur, en priorité dans le secteur tertiaire, suivi du résidentiel. Par exemple, aux États-Unis, la réduction du seuil de particules fines impliquera l’obligation d’installer des filtres efficaces dans tous les bâtiments. La réglementation obligeant les ERP (établissements recevant du public) à répondre de leur qualité de l’air intérieur, par exemple, sera très certainement élargie aux bureaux et à l’industrie.
Quels sont les principaux chantiers de la FIMEA pour l’année à venir ?
J.-G. W. – La FIMEA continuera de promouvoir son initiative Aircosystem et d’œuvrer pour la promotion d’un air sain pour tous. Nous croyons fermement que la qualité de l’air est étroitement liée à la santé, à l’énergie et à la productivité.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Y. P. – Il est primordial d’explorer les Certificats d’économies d’énergie (CEE) et le décret BACS pour financer une partie des travaux de rénovation et d’automatisation des bâtiments. Enfin, je tiens à souligner que respirer un air sain est un droit inaliénable, et cela ne devrait en aucun cas dépendre du porte-monnaie. Il est temps de faire avancer cette cause et d’œuvrer pour plus de justice sociale dans ce domaine.