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Driss Samri, directeur de la Direction Santé Confort du CSTB : « L’air intérieur est entre cinq et huit fois plus pollué que l’air extérieur. »

Driss Samri, directeur de la Direction Santé Confort du CSTB

Pouvez-vous présenter l’OQAI ?
Driss Samri –
L’Observatoire de la qualité de l’air intérieur a été mis en place en 2001, pour donner suite à la crise sanitaire de l’amiante. Il est financé à 100 % par des fonds publics, notamment le ministère de la Santé, le ministère de l’Environnement et l’Ademe, et le CSTB en assure la coordination technique. Basé sur un réseau d’experts nationaux et internationaux, le dispositif répond aux besoins d’identifier les situations affectant la qualité de l’air à l’intérieur des bâtiments et de mieux documenter les contaminants ayant des effets sur la santé, afin de fournir des éléments utiles à la gestion des risques sanitaires. L’OQAI a collecté et analysé les données issues de campagnes nationales dans différents milieux intérieurs : logements, des écoles, des bureaux, des établissements sociaux et médico-sociaux, des lieux de loisirs ainsi que dans des bâtiments performants en énergie. Par exemple, entre 2003 et 2005, l’OQAI a lancé une première campagne nationale sur la qualité de l’air dans les logements pour mesurer la présence de polluants dans l’air intérieur, choisis sur la base d’une hiérarchisation sanitaire. Le CSTB a lancé fin 2020 une seconde campagne nationale Logements pour mettre à jour les connaissances sur la qualité de l’air dans l’habitat, la réglementation thermique pour la construction des nouveaux bâtiments ou leur rénovation ayant évolué, et apporter de nouvelles connaissances sur des substances dites émergentes. L’échantillonnage a été réalisé à partir de l’enquête européenne de santé EHIS 2019, ainsi près de 3 700 foyers ont été identifiés en France métropolitaine continentale. L’objectif est de fournir une vision représentative du parc, pour faire ressortir les grandes lignes de la QAI et du confort, à partir d’un échantillon cible de 600 logements. Le CSTB coordonne cette campagne en produisant les appels d’offres, notamment pour la désignation du prestataire en charge du recrutement, des équipes d’enquêteurs réparties sur touFranceFrance, que nous avons formées et équipées. Pour cette campagne de mesure, les logements sont instrumentés pendant sept jours, avec des capteurs placés dans le séjour, les chambres et l’extérieur ; elle est complétée par une enquête sur les caractéristiques des logements, des ménages et des équipements présents, la fréquence des activités domestiques et la perception des occupants sur leur confort. Lors de la campagne de 2003, nous avions répertorié et hiérarchisé 70 polluants à mesurer. Pour la campagne 2023, nous avons repris la liste des 70 polluants et en avons sélectionné plus de 100 autres, parallèlement à l’analyse de la température et de l’hygrométrie. C’est grâce au progrès, à des techniques analytiques plus pointues et à un champ d’investigation élargi aux poussières du sol, aux pesticides, aux PCB, aux retardateurs de flamme, que nous avons pu mesurer ces 170 substances. L’observatoire a grandement contribué à la prise de conscience de l’enjeu de la qualité de l’air intérieur en France en produisant des données reconnues sur le plan scientifique. Un des résultats significatifs de la première campagne nationale Logements a été de montrer que l’air intérieur est entre cinq et huit fois plus pollué que l’air extérieur. Il est très important de faire de la pédagogie sur la nécessité d’évacuer l’air vicié.

Quels sont les principaux polluants et leurs origines ?
D. S. –
Notre Conseil scientifique s’est chargé de sélectionner la liste des polluants à mesurer, à partir d’une hiérarchisation sanitaire. La pollution de l’air intérieur est la combinaison de ce qui provient de l’extérieur et des sources intérieures liées aux matériaux de construction et d’ameublement et aux activités des occupants. Parmi les substances polluantes, on distingue les composés organiques volatils (COV) dont les aldéhydes, notamment le formaldéhyde, que l’on retrouve dans les colles utilisées dans les panneaux de bois. Les composés organiques semi-volatils, parmi lesquels les retardateurs de flamme bromés, les phtalates, qui sont des perturbateurs endocriniens et que l’on retrouve dans certains revêtements de sol, les peintures, les produits d’entretien. Ils font aujourd’hui l’objet d’une vraie prise en compte de la part des Français. Les particules fines, dont les diamètres sont compris entre 2,5 et 10 micromètres, pénètrent profondément dans les poumons et sont causées par l’activité anthropique (industrie, trafic routier et chauffage au bois, notamment) et par des sources naturelles (feux de forêt, par exemple). Le radon, un gaz radioactif naturel inodore présent dans les sous-sols granitiques et volcaniques, serait la deuxième cause de cancer du poumon en Europe, après le tabac. La mesure de l’activité volumique du radon a été réalisée à l’aide de kits radon mis à disposition par l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Grâce à une étude portant sur 6 000 maisons, on s’est aperçu que les maisons rénovées affichaient des concentrations en radon supérieures à celles non rénovées. L’isolation sans prise en compte de la ventilation rend étanches les maisons et emprisonne le radon. Nous réalisons également des prélèvements de pesticides présents dans l’air et les poussières. Enfin, le dioxyde d’azote (NO2), nocif pour la santé respiratoire à court et à long terme, est prélevé à l’intérieur et à l’extérieur à l’aide de capteurs passifs.

« L’OQAI et l’ANSES ont réalisé en 2014 une étude exploratoire du coût socio-économique de la qualité de l’air intérieur,, sur la base de 6 polluants seulement. Le coût estimé est de 19 milliards d’euros par an en France. »

Comment cette question est-elle prise en compte par les pouvoirs publics ?
D. S. –
La qualité de l’air intérieur est un enjeu fort de santé publique. L’OQAI et l’ANSES ont réalisé en 2014 une étude exploratoire du coût socio-économique de la QAI, sur la base de 6 polluants seulement. Le coût estimé est de 19 milliards d’euros par an en France. La qualité de l’air intérieur a fait l’objet d’un plan spécifique en 2013. Les pouvoirs publics ont fait de la qualité de l’air intérieur une de ses priorités dans le champ de la santé environnement. Elle constitue notamment l’une des thématiques emblématiques du Plan national Santé Environnement n° 4 (PNSE4), intitulé « Un environnement, une santé ».

« Aujourd’hui, deux tiers des écoles n’ont pas de systèmes de ventilation. »

Quelles sont les principales réglementations sur le sujet ?
D. S. –
La loi Grenelle de 2010 a instauré l’obligation d’une surveillance réglementaire de certains établissements recevant un public sensible, notamment les enfants et les personnes âgées. La loi est entrée en vigueur en 2014, avec la surveillance réglementaire des écoles. Ce dispositif a été renforcé par une révision applicable au 1er janvier 2023. Au-delà des textes réglementaires, la sensibilisation du personnel aux pratiques d’aération au regard des valeurs de concentration en CO2 est un enjeu central pour les établissements scolaires. Aujourd’hui, deux tiers des écoles n’ont pas de systèmes de ventilation. En décembre dernier, deux députées, Graziella Melchior (Renaissance) et Francesca Pasquini (Écologiste), ont présenté les conclusions de la mission d’information sur l’adaptation de l’école aux enjeux climatiques. Il en est ressorti un lien de cause à effet entre la température, l’hygrométrie et la qualité de l’air intérieur. Les séniors constituent la deuxième population vulnérable. Au 1er janvier 2025, les établissements de santé et médico-sociaux (ESMS) seront également soumis au décret de décembre 2022. La donne est différente dans les ESMS, car 70 % du parc est déjà équipé de solutions de ventilation. Dans les immeubles de bureaux, on évalue le taux d’équipement en solutions de ventilation à 80 %.

Déploiement des équipements de métrologie du CSTB pour mesurer la qualité de l’air d’une salle de classe. (c) CSTB

Quels sont les moyens pour améliorer la QAI ?
D. S. –
Le premier levier est de limiter les sources de pollution, en choisissant du mobilier, des matériaux de construction ou des produits ménagers moins nocifs. Un décret datant de 2011 a instauré un étiquetage réglementaire obligatoire des produits de construction, des revêtements de mur ou de sol, des peintures et des vernis, qui prend en compte dix COV. Les produits sont ainsi notés de A+ à D, ce qui a poussé les fabricants et revendeurs à proposer des produits peu émissifs. Aujourd’hui, la quasi-totalité des produits sur le marché sont classés A+. Il serait peut-être intéressant de revoir les seuils, et d’appliquer ce principe au mobilier. Le deuxième levier est la ventilation, avec des systèmes bien dimensionnés, entretenus et maintenus, pour éviter l’accumulation des polluants intérieurs dans un environnement confiné. Le troisième levier est de faire de la pédagogie sur le sujet et expliquer concrètement aux usagers comment l’air circule et les bons gestes sur le renouvellement de l’air pour extraire l’air vicié. Aujourd’hui encore, beaucoup d’usagers obstruent les grilles d’aération dans les logements, ce qui est désastreux pour la qualité de l’air. Enfin, en dernier recours, il est possible de mettre en œuvre des épurateurs d’air.

« L’approche monocritère sur la rénovation des bâtiments ne doit pas se faire au détriment de la santé. »

Comment optimiser la ventilation pour limiter son impact sur la performance énergétique des bâtiments ?
D. S. –
Tout est une question de compromis, il ne faut pas les opposer. Les précédentes réglementations du bâtiment ont mis l’accent sur les sujets énergétiques, en mettant de côté les aspects liés au confort et à la santé. La rénovation des bâtiments ne doit pas se faire au détriment de la santé. L’énergie se voit sur la facture, alors que pour la qualité de l’air, c’est beaucoup plus difficile à monétiser.

Est-il possible, à l’image des aspects de consommation énergétique, d’évaluer et d’améliorer de manière prédictive la QAI lors de la conception d’un bâtiment ?
D. S. –
Des outils existent aujourd’hui. Dès la conception des bâtiments, en tenant compte de l’environnement du bâtiment, de sa perméabilité à l’air et du type de système de ventilation, il est possible de prévoir la qualité de l’air intérieur à réception. Les bureaux d’études sont de plus en plus intéressés par cette possibilité, car le sujet de la qualité de l’air répond à une demande forte des maîtres d’ouvrage. Nous avons développé en interne le logiciel Mathis-QAI, qui vise à simuler la qualité de l’air en fonction de plusieurs paramètres et selon différents scénarios. Les comparaisons faites avec des mesures réalisées dans des logements et des immeubles de bureau a confirmé la pertinence de notre outil comme aide à la décision. Pour alimenter ces modèles, il faut des bases de données fiables sur les émissions de polluants des produits et matériaux de construction, mais aussi sur le mobilier, ce qui manque aujourd’hui. Mais nous sentons que les initiatives sur le sujet montent en puissance et que la qualité globale des environnements intérieurs est prise en compte. Une réglementation à venir prendra en compte la circularité des matériaux de construction. Pour développer cette économie circulaire, seuls des matériaux sains devront être considérés comme réutilisables, ce qui sera également vertueux pour la qualité de l’air intérieur.

La rénovation énergétique des bâtiments et l’isolation permettent de réduire les consommations, mais peuvent occasionner le « syndrome du bâtiment malsain ». Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?
D. S. –
Il est vrai que dans certains bâtiments, notamment en rénovation, des usagers font remonter des plaintes d’inconfort. Cela peut concerner la qualité de l’air, mais aussi le confort lumineux, le confort acoustique… Cela peut se traduire par des maux de tête, des troubles respiratoires, une sensation de fatigue exacerbée, des difficultés de concentration… La sur-isolation des bâtiments est une des explications, mais il y en a bien d’autres.

Quelles seront les prochaines étapes réglementaires de la QAI ?
D. S. –
Nous sommes partie prenante du projet « Cap 2030 », qui vise à travailler sur un cadre commun de référence. Ce travail, réalisé de concert avec le Groupement d’intérêt écologique, composé de l’Alliance HQE-GBC, le Collectif des démarches Quartiers Bâtiments durables et le Collectif Effinergie, avec le soutien de la direction générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) et de l’Ademe, vise à faire émerger un cadre de référence sur neuf thématiques : neutralité carbone, mesure des performances, énergie et coopération avec les réseaux, qualité de l’environnement intérieur, gestion durable de l’eau, économie circulaire, biodiversité, adaptation au changement climatique et Low-tech. L’idée est de préfigurer une nouvelle réglementation, pour aller un cran plus loin que la RE2020. Ces travaux intègrent les problématiques de qualité de l’environnement intérieur, parmi lesquelles la QAI, pour mettre en place les prochains projets.

« Depuis le 1er janvier 2024, l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) est devenu l’Observatoire de la qualité des environnements intérieurs (OQEI). »

Quels sont les principaux chantiers de l’OQAI pour l’année à venir ?
D. S. –
Depuis le 1er janvier 2024, l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI) est devenu l’Observatoire de la qualité des environnements intérieurs (OQEI). L’objectif est d’une part d’élargir son périmètre d’intervention, avec des sujets tels que l’acoustique, la lumière, le confort thermique, tout en conservant la QAI. Pour l’acoustique par exemple, une étude de l’Ademe de juillet 2021 a établi le coût socio-économique du bruit à 156 milliards d’euros, et 9 millions de Français sont exposés à des seuils de bruit supérieurs à la réglementation. En France, nous sommes très en avance sur les sujets de QAI, il est donc intéressant d’élargir notre périmètre à l’ensemble de l’environnement intérieur qui impacte la santé et le bien-être. Cela nous amène à revoir notre gouvernance, avec une refonte du Conseil Scientifique, pour réaxer nos spécialités. Ensuite, nous avons produit beaucoup de données, ce qui nous a permis d’avoir des connaissances plus fines sur la QAI et les leviers d’amélioration. Pour faire bouger encore davantage les lignes et intégrer ces sujets dans les priorités des politiques publiques, nous devons maintenant faire encore plus le lien avec la santé. Nous allons exploiter en 2024 les données produites dans le cadre de notre campagne nationale Logements 2, afin de donner un descriptif de la ventilation des logements et rechercher les déterminants de la pollution via des analyses statistiques. Nous souhaitons en profiter pour actualiser l’estimation des coûts socio-économiques de la QAI, en intégrant bien plus de polluants. Toutes les données produites seront concentrées au sein d’un centre de ressources, pour permettre une meilleure exploitation et leur large circulation auprès de la communauté des chercheurs, des professionnels et du grand public.

 

Propos recueillis par Alexandre Arène

Filière 3e: