Et la lumière fut…
Et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres… » (Bible, Genèse 1:3) Ainsi, pour les croyants, c’est l’obscurité qui aurait régné sur l’univers et sur toutes choses, et ce, bien avant la lumière.
Mais pour les scientifiques, est-ce que cet état obscur préexistait avant le Big Bang ou après la naissance de l’Univers, il y a environ 13,8 milliards d’années ?
Plusieurs centaines de millions d’années après sa naissance, l’Univers vivait en effet son Âge sombre, avant la formation des étoiles et des galaxies. Et aujourd’hui, avec environ 400 milliards d’étoiles dans notre galaxie et 2 000 milliards de galaxies, c’est l’ère des étoiles, l’ère de la lumière. Mais les étoiles finiront toutes par s’éteindre et l’Univers entrera dans une nouvelle ère sans aucune étoile après des milliards de milliards d’années. Ce sera de nouveau l’ère de l’obscurité, une ère qui se prolongera alors à l’infini. Une ère sans aucune lumière.
L’une des définitions de l’obscurité en astrophysique est « l’absence de lumière », ce qui est donc paradoxal puisque l’obscurité aurait été là bien avant la lumière et donc qu’elle existait déjà par elle-même, sans comparaison ou confrontation avec sa jumelle ou son alter ego, la lumière.
Un ciel nocturne noir ou un ciel étoilé ?
Pour les astronomes du 17e siècle, observer un ciel nocturne majoritairement noir interrogeait en fait la quantité infinie d’étoiles contenue dans l’Univers. Car si l’Univers contenait une infinité d’étoiles, le ciel aurait dû leur apparaître extrêmement lumineux.
Edmond Halley tenta, à la fin du 17e, de calculer cette luminosité. Ce fut ensuite Edgar Allan Poe qui imagina, au début du 18e, qu’un très grand nombre d’étoiles émettaient de la lumière qui n’avait pas eu le temps de nous atteindre, ou qu’elles avaient disparu avant que cette lumière ne nous parvienne. Donc, si nous voyons un ciel globalement noir, c’est parce que nous ne voyons que les étoiles suffisamment proches de nous, celles dont la lumière a eu la possibilité de nous parvenir en un temps inférieur à leur durée
de vie (source : Les idées noires de la physique, de Vincent Bontems et Roland Lehoucq, édition Les Belles Lettres, 2017). Ce qui relativise notre perception de l’obscurité et qui la rend de manière étonnante dépendante du temps.
La quête de l’obscurité en dehors des villes
Cette quête génère un paradoxe. En effet, plus on s’éloigne des zones urbaines éclairées, plus les étoiles et les galaxies visibles dans le ciel nocturne prennent de l’importance et nous donnent une perception très claire de la Voie lactée, bien loin d’une supposée obscurité. Pour celles et ceux qui ont eu la chance d’aller la nuit dans des déserts, loin de toute agglomération et donc de pollution lumineuse, cette connexion à la voûte céleste très lumineuse est bien connue. D’autant plus que notre œil s’adapte et s’ouvre au maximum, nous permettant même de percevoir la surface terrestre dans cette très faible lumière naturelle. Ainsi, dans une région dénuée de toute pollution lumineuse, située loin de toute zone urbaine, le ciel nocturne apparaît en fait très lumineux, constellé de milliers de points et d’amas lumineux, de tailles et de colorations très variées, loin de l’idée d’une voûte noire qu’on pourrait imaginer.
La recherche de la noirceur en ville
Contrairement à ce qui se passe hors des zones urbaines, la recherche d’une obscurité totale en ville est très difficile, si ce n’est quasiment impossible. En effet, la pollution lumineuse en ville, générée à la fois par l’éclairage public et par les éclairages privés et domestiques, comme par les enseignes et les publicités lumineuses, crée au-dessus de nous un halo lumineux hémisphérique de grande dimension et visible de loin qui modifie et perturbe notre perception du ciel nocturne. Ce halo rediffuse aussi de la
lumière vers le sol, ce qui rend toute recherche de secteur totalement obscur en ville extrêmement improbable.
Même si la perception de l’obscurité est une notion relative, liée aux contrastes et au différentiel avec la luminosité visible alentour, la sensation d’être plongé, réellement en ville, dans une profonde obscurité est pratiquement inatteignable.
Il faut donc, pour mener à bien cette recherche d’une relative obscurité en ville, choisir un très grand espace, non construit et si possible densément boisé pour occulter les lumières environnantes, sans présence de plan d’eau qui réfléchit toute lumière alentour, et situé le plus loin possible de toute zone brillamment éclairée.
La peur du noir
Sans aller jusqu’à une peur pathologique de l’obscurité, la peur du noir comme la lutte contre les ténèbres sont ancrées chez nous depuis la nuit des temps, dans nos gènes comme dans notre histoire. Ce sont certainement des réminiscences de ce qu’ont dû éprouver les premiers humains face à l’inconnu et aux nombreux dangers qui les menaçaient une fois la nuit tombée, avant la découverte puis la maîtrise du feu. C’est pourquoi, il nous faut réapprendre à apprivoiser et à redécouvrir l’obscurité en ville comme en dehors de la ville, si nous souhaitons dans le futur lutter contre la pollution lumineuse et préserver la biodiversité, mais aussi profiter de la relative fraîcheur de la nuit mise en danger par les changements climatiques en cours.
L’obscurothérapie
L’obscurité peut aussi procurer du bien-être. Elle peut aider à déstresser des personnes soumises à trop de lumières artificielles. Cette capacité de l’obscurité à interagir psychologiquement et physiologiquement avec les humains est peu étudiée, alors que la luminothérapie a fait l’objet d’un nombre important de recherches. Être plongé dans une profonde obscurité, dans des conditions optimales de confort et de sécurité, notamment après avoir baigné longuement dans un éclairage artificiel intense, permet de se recentrer, de mieux se focaliser sur ses sensations et de vivre une expérience sensorielle réparatrice. Un espace obscur, né de l’absence de lumière artificielle, n’est pas forcément noir. Il peut accueillir des objets, des décors ou des fresques phosphorescentes
colorées, visibles seulement dans l’obscurité, qui restituent la lumière reçue.
En ville, il n’existe quasiment pas d’espaces publics dédiés à l’obscurothérapie, alors qu’ils pourraient participer, et de manière disruptive, à réenchanter la nuit.
Une obscurité bienfaisante ou malfaisante ?
Si l’obscurité fait partie de la famille des ambiances visuelles, nocturnes ou lumineuses, on peut considérer que sa perception dépend de l’endroit où elle se situe, de l’observateur et de ses capacités de vision, mais aussi de son positionnement dans l’espace comme de son état d’esprit, de sa connaissance du lieu dans lequel l’obscurité existe, et bien sûr des besoins et des activités qui y seront éventuellement pratiquées.
L’obscurité peut donc être ressentie très différemment en fonction des personnes, des moments et des lieux. On peut même considérer que l’obscurité peut s’apprivoiser si on souhaite en profiter. Il faut pour cela apprendre à mieux la connaître et à l’expérimenter dans différentes conditions.
Dans le monde occidental, nous avons été nourris, dès notre enfance, de mythes, de contes et de légendes qui décrivaient l’obscurité, mais aussi, souvent, la nuit qui y était associée, comme un univers peuplé de monstres et de créatures malfaisantes. La lumière était supposée, alors, nous aider à vaincre cette peur des ténèbres. Ces récits ont façonné de manière durable notre perception de l’obscurité et il nous est très difficile de la percevoir naturellement comme bienfaisante.
Paradoxalement, le monde asiatique a, au contraire, souvent considéré l’obscurité comme un espace bienveillant, parfois même menacé par des lumières malfaisantes. En fait, nous avons tous des expériences mémorielles de l’obscurité, à la fois bienveillantes et malveillantes.
Cette brève analyse de l’ambivalence perpétuelle qui existe entre lumière et obscurité (qui fera l’objet, je l’espère, d’un ouvrage) démontre que cette dernière est l’essence même du travail des concepteurs lumière et de tous ceux qui conçoivent des ambiances ou des environnements lumineux.