En presque trente ans, l’Association des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE) n’a jamais constaté autant de transformations de la profession qu’au cours de cette dernière décennie. Vincent Thiesson (agence ON), Akari-Lisa Ishii (I.C.O.N.) et Lionel Bessières (Quartiers Lumières) nous apportent leurs témoignages sur l’évolution du métier et les actions de l’ACE.
L’ACE a été créée en 1995 par Georges Berne, Pierre Bideau, Philippe de Bozzi, Louis Clair, Laurent Fachard, Gérard Foucault, Philippe Hutinet, Roger Narboni et Jean Sabatier, tous « éclairagistes », qui décident de se fédérer en association. Présidents successifs depuis 2014 : Marc Dumas, Sara Castagné, Virginie Nicolas, Vincent Thiesson. 2010 : création des Rencards de l’ACEtylène. Tribune libre d’expression nouvelle, les Rencards de l’ACEtylène actionnent un processus exploratoire inédit au cœur de la conception lumière. C’est le lieu de la présentation et du débat centré autour du projet lumière et de ses différents mécanismes de construction. Les prix de l’ACEtylène : L’ACE souhaite, par le biais d’une manifestation de remise de prix, favoriser les partenariats avec les métiers associés à cette profession. 6 prix sont attribués. 2023 : ACE-MANIFESTE pour des projets d’éclairage raisonnés et engagés, Acte 2.
Quelle est la mission de l’ACE ?
Vincent Thiesson (Agence ON) – L’association, qui compte aujourd’hui 130 adhérents et 50 partenaires, a pour vocation de promouvoir le métier de concepteur lumière et le matériau lumière et d’organiser des échanges entre les adhérents, à la fois sur le plan technique et intellectuel. Les questions de recrutement et de formation sont venues s’ajouter récemment à nos sujets de débat, notamment au cours des Rencards de l’ACEtylène qui rassemblent la profession tous les ans. Comment peut-on replacer le métier de concepteur lumière au cœur d’un mouvement professionnel au sens large (architecture, urbanisme, et la ville en général) face aux enjeux environnementaux ? Nous sommes convaincus que les concepteurs lumière ont leur pierre à apporter à cet édifice. Les formations au métier de concepteur lumière sont un peu dispersées, mais nous nous efforçons d’apporter de la cohérence et de la lisibilité dans l’information que nous diffusons, notamment auprès des étudiants.
Lionel Bessières (Quartiers Lumières) – Ce manque de formation commune et reconnue par l’État fait que notre métier comprend des profils très diversifiés et des services rendus assez différents, ce qui en fait notre richesse mais peut aussi apporter de la confusion pour nos interlocuteurs qui ne savent pas si l’approche du concepteur lumière sera plutôt artistique ou technique. Je pense que c’est, aujourd’hui encore, une profession qui cherche une identité, même si, depuis dix ans, elle a indéniablement gagné en crédibilité.
Akari-Lisa Ishii (I.C.O.N.) – L’ACE s’est fait connaître par un certain nombre d’actions, dont l’organisation des prix de l’ACEtylène, qui a représenté un plus pour la profession : classés en 6 catégories, ils sont l’occasion de montrer des réalisations exemplaires et aussi que les appels d’offres publics demandent de plus en plus souvent l’intervention d’un concepteur.
Quelle place occupe la conception lumière aujourd’hui ?
Vincent Thiesson – Nous avons lancé un questionnaire auprès de tous nos adhérents, responsables d’agences et salariés. 35 structures emploient 150 personnes, génèrent un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros et 215 millions d’euros de prescriptions. Nous nous rendons compte que les enjeux et les réponses techniques deviennent de plus en plus complexes au fil des années.
Akari-Lisa Ishii – Notre approche est tridimensionnelle : on doit justifier et établir notre identité auprès de la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre et du grand public. Nous sommes sans cesse en train de nous adapter aux besoins des uns et des autres. Je pense que notre notoriété diffère aussi selon que l’on travaille en intérieur ou en extérieur. Dans certaines applications, comme les bureaux, il est un peu plus rare que l’on fasse appel à notre expertise. Cependant, la culture de la lumière, sa compréhension est relativement élevée en France. Notre expertise est appréciée, car les différences entre les produits (tous en led) se réduisent considérablement, et rendent nos interventions encore plus pointues.
Lionel Bessières – … et notre rôle essentiel. Il ressort du questionnaire que nous sommes souvent amenés à expliquer les subtilités inhérentes à notre travail. Cela laisse la place à l’expression de chacun et permet à chaque concepteur lumière d’apporter sa touche personnelle à ses projets, comme une identité propre.
Comment décririez-vous l’évolution de la conception lumière ces 10 dernières années ?
Lionel Bessières – La technologie, mais aussi le changement des mentalités, nous ont conduits à modifier notre façon de travailler et ont donné un autre sens à nos interventions. La conception lumière devient de plus en plus un travail d’orfèvre, très précis, qui doit trouver un équilibre afin de proposer des projets sociaux, durables et maintenables. On ne va pas proposer l’installation d’une gestion compliquée si un simple interrupteur peut répondre aux besoins. Certes, notre métier se complexifie mais en même temps, nous pouvons apporter plus de solutions. La concertation se généralise et tient compte des enjeux administratifs, techniques, sociaux, environnementaux.
Vincent Thiesson – Les trois chocs, confinement, crise énergétique, émeutes, ont mis la lumière au premier plan.
Akari-Lisa Ishii – J’ajouterais l’impact de l’arrêté de 2018 sur les nuisances lumineuses. J’ai parfois l’impression que le poids des contraintes nous a un peu privés d’une certaine liberté d’expression. Nous ne sommes pas des artistes qui laissons libre cours à notre créativité, nous sommes des designers dont le travail ne peut être dissocié des événements sociétaux.
Lionel Bessières – L’arrêté sur les nuisances lumineuses a sans doute indirectement participé à développer encore plus la professionnalisation de notre activité. Il nous a appris à devenir résilients et nous a incités à rechercher cet équilibre entre respect de la nuit, sobriété et magie de la lumière.
En 2024, où en est-on ?
Vincent Thiesson – Le centre de gravité s’est légèrement déplacé : la led vient tout juste d’atteindre sa maturité. Elle nous prouve tout ce qu’elle peut nous apporter : en gains énergétiques, en termes de photométrie. Le pilotage de l’éclairage nous offre de multiples possibilités, une intelligence et une précision microchirurgicale. La lumière, de sécuritaire, est devenue touristique, puis urbaine et aujourd’hui responsable. Un élément reste et nous caractérise : c’est la créativité qui nous pousse à continuer à inventer.
Et dans 10 ans ?
Akari-Lisa Ishii – J’attends d’autres technologies : le laser, peut-être. Et je pense que nous allons disposer de plus d’intelligence dans les systèmes qui nous permettra d’améliorer le bien-être des utilisateurs de façon à jouer sur les interactivités de ces outils. Quant à l’ACE, elle évolue vers plus de parité, des conceptrices nous rejoignent encore. La nouvelle génération apporte un certain dynamisme : les jeunes concepteurs et conceptrices lumière ont l’habitude de travailler ensemble, de collaborer avec les architectes et les paysagistes, et de faire appel aux outils connectés qui rendent la lumière plus accessible, libre.
Vincent Thiesson – L’ACE vient justement de lancer une réflexion sur cette thématique ainsi que sur l’impact de l’intelligence artificielle sur notre métier. Pour moi, la lumière de demain est liée à l’évolution de la ville : avec sans doute davantage de mobilité, une autre manière de travailler, un paysage différent, des enjeux environnementaux et d’usage au centre des préoccupations.
Lionel Bessières – J’observe avec de plus en plus d’intérêt les évolutions de la société, des besoins, des usages et des technologies. J’espère que dans 10 ans, on aimera parler de sobriété heureuse et lumineuse.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud