Réduire son empreinte carbone, pour les maîtres d’ouvrage, devient un passage obligé. Baisser les consommations d’énergie aussi. Mettre en place des pratiques respectueuses de l’environnement est un must. Comment la filière éclairage accompagne-t-elle les maîtres d’ouvrage et les exploitants des bâtiments dans cette démarche vertueuse, tout en garantissant une bonne qualité de lumière ? Doit-on parler de réparabilité, de réemploi, de reconditionnement ? Plusieurs solutions commencent à émerger alors que les textes réglementaires se multiplient pour accélérer la rénovation de l’éclairage dans les bâtiments, tous secteurs confondus.
Réparabilité : savoir anticiper
Éric Drivon, directeur général Ridi France, relate comment Manfred Diez, à la tête de Ridi Groupe, a choisi d’investir dans la fabrication de ses propres modules leds, avec une première unité d’assemblage montée en 2010. À cela, une raison économique, mais aussi le souhait du fabricant de développer ses propres modules afin de pouvoir passer plus facilement de la fluorescence à la led, compte tenu du large éventail des gammes. « En fabriquant nos propres modules, explique Éric Drivon, on a pu finalement garder 98 % de nos gammes. Nous avons recréé le modèle de la fluorescence avec ballast et source séparés pour la led, le Ridi-Tube. À l’époque, nous n’avions pas encore compris l’importance que cela pouvait avoir pour la réparabilité. Et même si les leds sont annoncées pour des durées de vie très longues, on n’imaginait pas du jour au lendemain passer d’un marché du réparable à un marché du tout jetable. » Ainsi, l’accès au driver ou au module étant distinct, l’un et l’autre peuvent être maintenus séparément. « En réparant ainsi l’appareil, on évite d’envoyer un luminaire au recyclage. Il faut savoir que le coût de l’écocontribution du fabricant à ecosystem est aujourd’hui de 130 €/tonne, ce qui n’est pas anodin, poursuit Éric Drivon. Prenons un exemple : des luminaires en saillie ou encastrés utilisés dans des circulations et des bureaux équipés en fluorescence. Nous avons développé le même luminaire en led doté d’un module de mêmes largeur et hauteur avec un système de fixation identique. Aujourd’hui, nous pouvons rénover ces installations sans toucher au corps de l’appareil. Nous pouvons réparer nos luminaires fluo qui passent en led, nos luminaires leds, mais aussi potentiellement les luminaires de nos concurrents – parler de les “mettre à jour” est plus juste. »
À noter que le règlement 2019/2020 SLR (Single Lighting Regulation) permet à la filière de disposer d’une information sur le niveau de réparabilité des sources et des appareillages. Grâce à des pictogrammes : 5 pour les sources, 3 pour les appareillages ; ces 8 pictogrammes rendent facilement lisible la réparabilité des appareils d’éclairage.
« Un indice de réparabilité serait souhaitable pour les matériels d’éclairage, admet Éric Drivon, mais avec une limite : il faudrait qu’il fasse l’objet de contrôle dans son utilisation. Les pictogrammes suffisent aujourd’hui dans les marchés professionnels, BtoB. L’indice de réparabilité est une information intéressante pour le grand public, mais dans le monde du luminaire, le règlement SLR avec les pictogrammes se suffit à lui-même. » La réparabilité devient un vrai sujet pour les maîtres d’ouvrage. C’est lié à de nombreux facteurs : l’épuisement des ressources, la prise de conscience de la loi AGEC, la pression réglementaire et sociale. Pour Éric Drivon, « il est temps pour un maître d’ouvrage de se poser la question du “coût global de possession” de son installation rénovée, qui prend en compte les coûts d’investissement, de maintenance, d’énergie et d’exploitation, plutôt que seulement considérer le prix d’un luminaire ».
C’est également l’avis de Stéphane Aubry, directeur général de Sécurlite, fabricant spécialisé dans le matériel d’éclairage dédié au logement collectif et social, aux bâtiments publics et à l’éclairage urbain (passages souterrains et transports, SNCF et RATP), et aux espaces fermés (tribunaux, police et psychiatrie).
Penser économie circulaire
« Compte tenu des applications auxquelles sont destinés nos produits, explique-t-il, c’est un thème qui nous anime depuis longtemps : Sécurlite fabrique des appareils très résistants, de longue durée de vie, et qui sont facilement maintenables. » Le fabricant considère que ses luminaires sont 100 % réparables. Pour offrir une seconde vie aux luminaires sur site, il faut prévoir leur réparabilité avec un ensemble de pièces détachées disponibles à la vente, pour une période de 10 ans. Mais pour Stéphane Aubry, « c’est aussi utiliser des matériaux recyclables, comme l’aluminium, et des matériaux recyclés comme nos appliques Voilà ou Osmo.
On peut aussi parler d’économie circulaire. Il y a plusieurs années, la ville de Stockholm avait équipé de nombreux espaces urbains avec des milliers de luminaires fluorescents Rondo, constitués d’une base en fonte d’aluminium adaptée à un environnement exigeant. La municipalité souhaitait les remplacer. Nous avons décidé de conserver la base et de mettre, en lieu et place de la douille pour lampes fluorescentes, une platine à led qui embarquait l’alimentation. Sécurlite a formé l’installateur suédois afin qu’il effectue le remplacement dans les règles de l’art. »
La majorité (95 %) des luminaires Sécurlite sont réparables sur site, cela fait partie désormais des règles de conception de la marque. Seuls 5 % reviennent dans l’usine du fabricant. « On nous demande souvent de procéder à un remplacement rapide avant même de penser à la réparabilité, ajoute Stéphane Aubry. Par exemple, dans un tunnel de métro, le temps d’intervention est très limité, mais si on répare le luminaire dans les ateliers de la RATP, l’opération peut être efficace. » Stéphane Aubry met cependant en garde contre les interventions partielles sur une installation existante : « Il est indispensable de vérifier le flux, la température de couleur, l’efficacité lumineuse des luminaires que l’on répare afin de garder une certaine homogénéité au site. Certains pourront opter pour une rénovation totale et en profiter pour intégrer des systèmes de pilotage. Mais ce n’est pas forcément la solution la plus judicieuse. Et doit-on rappeler que la planète montre ses limites en termes de ressources pour l’industrie ? On sait que certains matériaux deviendront rares ; il faut juste faire appel au bon sens. Nous devons faire face à nos responsabilités, fabricants comme utilisateurs, limiter si possible les énergies, les matériaux et développer la réparabilité. »
Pour Stéphane Aubry, c’est aussi une façon de pérenniser les entreprises et les emplois de la filière éclairage « en proposant de nouveaux services, autres que la simple fabrication de luminaires. » Cela pourrait devenir une nouvelle forme de révolution comme l’a été la led. Là encore, le dirigeant de Sécurlite met en garde les exploitants et les maîtres d’ouvrage sur l’utilisation « d’indices de réparabilité » qui, bien sûr, n’existent pas pour les appareils d’éclairage. « Certains par exemple, remarque-t-il, utilisent les indices de l’ADEME pour l’analyse du cycle de vie des luminaires alors qu’ils ont été définis pour d’autres appareils ! » De plus, ce n’est pas parce qu’un appareil est réparable qu’il faut revoir à la baisse les critères de durabilité des produits. Il vaut toujours mieux acheter un luminaire qui dure 80 000 heures qu’un luminaire qui affiche 30 000 heures, même s’il est réparable. « J’encourage vivement les utilisateurs finaux à demander une définition claire du mot réparable à leurs fournisseurs : réparable sur site ou en usine ? Et de se renseigner sur la facilité de mise en œuvre de la réparation », conclut Stéphane Aubry.
Benoit Gamas, directeur général d’Etap Lighting France fait le même constat : la rénovation n’est pas une fin en soi, parce que plus on va rénover, plus on va utiliser de ressources. « Il faut commencer, déclare-t-il, par s’assurer que les produits durent longtemps, donc qu’on en installe moins. Par exemple, dans une salle de classe, là où l’on installait 9 luminaires, 6 suffisent aujourd’hui, voire 4, grâce aux progrès réalisés sur les optiques. L’efficacité lumineuse des leds agit aussi sur la durée de vie des produits. »
Mais pour Benoit Gamas, ce n’est pas tout : la maintenance du produit est un facteur important. Et si tous les produits d’Etap sont réparables, il tient à préciser qu’il n’est pas nécessaire d’être un expert électricien pour intervenir sur ces derniers. N’importe qui, avec un tournevis standard et une formation basique, peut changer n’importe quelle pièce.
Une exigence de simplicité
« Chaque nouveau produit passe un contrôle de réparabilité et s’il n’est pas accessible, et qu’il faut un ingénieur bac +5 pour le réparer, il repart à la R&D, affirme Benoit Gamas. Cette exigence intervient donc dès la conception. Il faut que les pièces soient identifiées, pas collées, que les plastiques contiennent un minimum de colorant pour faciliter leur recyclage, etc. »
Benoit Gamas introduit par ailleurs la notion de « reconditionnement » qui consiste, chez Etap, à conserver le corps du luminaire qui reste en place ; le moteur, c’est-à-dire les sources, auxiliaires et optiques d’origine, est remplacé. Le coût d’installation est évidemment moindre, car il s’agit d’une substitution plug and play. « Cette méthode s’avère particulièrement intéressante sur les sites difficiles d’accès, comme les usines, précise Benoit Gamas, car on restreint la durée d’arrêt de la production. Ces substitutions sont moins intrusives et plus économiques. Parfois, le maître d’ouvrage préfère garder le même design pour des raisons esthétiques. Nous sommes intervenus plusieurs fois sur des luminaires d’autres marques et avons remis à niveau toute l’installation. C’est une bonne manière d’économiser de la matière, en étant plus rapide et moins cher. À chaque fois, on récupère un produit pour l’analyser ; ensuite, on procède à des mesures en usine et enfin, on requalifie le luminaire. »
Ces interventions peuvent se montrer très pertinentes dans les bureaux également. En effet, dans les années 1980, les luminaires faisaient souvent partie de la structure du plafond, ils assuraient sa stabilité. Par conséquent, il est impossible de changer les luminaires sans refaire aussi le plafond ! « Lorsque l’on propose au maître d’ouvrage de garder les caissons de ces luminaires et de changer juste le moteur lumineux, ils sont ravis, constate Benoit Gamas. En plus, tout communique sans fil, donc pas de problème de câblage. Le retour sur investissement est de 1 à 2 ans, avec des solutions techniquement performantes à des coûts abordables. Et cela permet d’accélérer le rythme des rénovations, l’objectif de la transition énergétique. Les luminaires deviennent garantis Etap, on assure à 99 % le maintien du flux lumineux initial à 50 000 heures. »
Chez Etap, le « reconditionnement » représente aujourd’hui la moitié de l’activité. Pour Benoit Gamas, cette agilité des petites structures est cruciale pour accompagner les clients. Les entreprises qui n’ont pas cette souplesse ne peuvent pas répondre facilement aux besoins de clients qui n’ont pas la capacité financière suffisante pour changer tous leurs luminaires, avec des solutions type « mouton à cinq pattes ». « Entre reconditionnement et rénovation, il n’est pas nécessaire de trancher, explique Benoit Gamas. Il faut argumenter au cas par cas. Le critère de la durée des travaux pour tout remplacer par rapport au reconditionnement, plus rapide et moins cher, peut peser. La structure du bâtiment (faux plafond) qu’on ne peut pas changer est aussi un critère de décision. Sans parler de tous ces anciens projets spéciaux qu’il va falloir aussi mettre à niveau… »
Réemploi : une opération inédite
Avec Sébastien Boyer, directeur commercial France, Aubrilam, fabricant de mâts d’éclairage bois, l’approche est différente puisque nous ne parlons pas ici de réparabilité de luminaires, mais de réemploi de matériaux. Dans le cas de l’équipement du village olympique de Saint-Ouen, Aubrilam a fourni des mâts bois carrés avec embases en acier. Tous les appareillages sont logés en pied de mât, ce qui facilite la maintenance.
Le mât a été dessiné par l’agence de conception lumière Concepto qui, après étude d’éclairage, a montré que, comme le site était très arboré, il était nécessaire de déporter la lumière et de limiter les hauteurs à 6 m. « Et le réemploi était imposé, explique Sébastien Boyer. Deux conseillers sont intervenus : un designer, le studio 5.5, et Cycle Up, conseil en études et réemploi, sur l’ensemble du projet. Quand ils ont commencé à travailler sur ce qu’avait défini Concepto, ils ont pensé à utiliser des tubes d’échafaudage en guise de crosses. »
Au début, Sébastien Boyer est réticent et craint que les tubes d’acier ne nuisent à l’esthétique du projet : « Mais nous avons fini par relever le défi. En fait, ce qu’on trouvait intéressant, c’est qu’on allait donner une nouvelle vie à un produit qui n’était pas à l’origine destiné à cet usage. » Cependant, il fallait identifier et qualifier ces tubes, et proposer un prototype. « Nous avons procédé à un tri, poursuit Sébastien Boyer, selon nos exigences : un tube rectiligne, de diamètre, longueur, et épaisseur précis, sans enduit ni peinture ni rouille, avec une galvanisation restante permettant de garantir une certaine durabilité. Il nous fallait transformer les tubes pour pouvoir fixer les luminaires aux mâts. Cela impliquait du perçage et de la découpe, de l’assemblage par visserie. » Il existe différentes configurations de luminaires avec des crosses supportant plusieurs luminaires, ou des projecteurs à gobos pour mise en valeur.
Aubrilam a dû calculer l’impact carbone du réemploi de la crosse. « En fait, la fabrication d’un tube de crosse neuf aurait eu, selon Cycle Up, une empreinte carbone de 2,21 kg de CO2, et au total donc, on a économisé environ 5,7 tonnes de CO2. Il est impossible d’être garant à 100 % de la longévité d’un produit qu’on n’a pas fabriqué. En revanche, on a fait en sorte de lui donner une durée de vie structurelle d’au moins vingt ans. Nos designers ont été au service de l’environnement ; ils ont conçu les pièces d’interface dans cette logique- là : comment va-t-on intégrer la crosse, la rendre fiable mécaniquement, masquer la visserie et obtenir un résultat le plus esthétique possible ? C’est une expérience inédite dans le cadre d’une application exceptionnelle. »
« Reconditionner » pour donner une seconde vie
Hervé Grimaud est le président fondateur de Proclus, créé fin 2022 et spécialisé dans le reconditionnement des équipements électriques des bâtiments, incluant les appareils d’éclairage.
Le reconditionnement a un autre sens ici : pas de réparation des appareils ; il s’agit de déposer de façon appropriée les équipements sur site pour les démonter dans des conditions permettant ensuite de les reconditionner, puis de les rapatrier dans les locaux de Proclus. Là, ils sont vérifiés pour s’assurer qu’ils possèdent encore toutes les caractéristiques qu’ils avaient lorsqu’ils ont été mis sur le marché : flux et température de couleur d’origine pour pouvoir être considérés comme fonctionnels. « Il nous arrive de restaurer les fonctionnalités d’origine d’un luminaire, à condition qu’il s’agisse d’appareils leds, en remplaçant des drivers par exemple, explique Hervé Grimaud. Proclus récupère sur les chantiers des appareils, les rassemble, les massifie, et lorsqu’on en a une quantité suffisante qui correspond à une demande du marché, on les reconditionne pour les remettre en vente. Avant cela, on les teste, voire on les répare. On peut être amenés, pour le compte d’un client, à déposer des produits, les nettoyer, et les restituer à celui à qui ils appartiennent et pour le compte duquel on a fait ce travail de vérification de fonctionnement, éventuellement de remise à niveau. » Les produits peuvent être stockés chez Proclus pendant la rénovation du bâtiment. Proclus s’adresse aux maîtres d’ouvrage, aux démolisseurs et parfois aux assistants à maîtrise d’ouvrage.
« Parfois, nous intervenons en amont (avant le chantier de démolition) pour analyser les luminaires et voir comment ils fonctionnent, précise Hervé Grimaud. En ce qui concerne le bannissement des sources fluorescentes, il nous arrive de reprendre des luminaires fluorescents pour lesquels le fabricant lui-même a développé des kits leds en remplacement des sources fluo. » Proclus développe aussi des partenariats avec des fabricants majeurs de luminaires. Certains ne disposent pas de l’autonomie nécessaire pour pouvoir le faire eux-mêmes, d’autres considèrent que ce n’est pas leur métier. Enfin, il arrive que Proclus soit sollicité pour accompagner les fabricants chez leurs clients lorsqu’ils vendent des produits neufs, afin de récupérer les produits déposés s’ils ne sont pas trop anciens.
« Notre cible concerne surtout pour le moment les chantiers du tertiaire en région parisienne, poursuit Herve Grimaud, et plus marginalement, l’industriel et la logistique, à condition que les plateformes soient bien entretenues. Quant aux acheteurs, il s’agit d’artisans qui veulent des produits divers et variés à bon prix, de mainteneurs multitechniques qui recherchent un produit très particulier qui ne se fabrique plus et dont ils ont besoin pour démarrer leur installation. » Proclus est complémentaire aux fabricants, il apporte aux clients des fabricants un service d’éclairage que ces derniers ne peuvent pas fournir. Les produits sont vendus sur le site de vente en ligne, Cycle Up, plateforme spécialisée dans la vente des produits reconditionnés. Sur le site, on peut trouver des fiches techniques des produits et les performances et niveau de reconditionnement, indiqués comme suit :
– Premium : équipement totalement fonctionnel avec aspect proche du neuf ;
– Standard : équipement totalement fonctionnel avec traces d’usage ;
– Harvesting : équipement pas totalement fonctionnel destiné à la récupération de sous-ensembles.