Jean-Yves Soëtinck est né en 1971 à Paris. Diplômé en architecture d’intérieure en 1997, il intègre une agence de conception lumière lyonnaise et apprend les bases de l’éclairagisme. En 2001, il créé sa propre agence, L’Acte Lumière, spécialisée dans la mise en lumière des espaces publics, de l’architecture et du patrimoine, dont la principale exigence qu’il s’impose est de faire un acte fort de chacune de ses réalisations.
Depuis ses débuts, Jean-Yves Soëtinck est membre de l’association LUCI (Lighting Urban Community International), de l’ACE (Association française des concepteurs éclairagistes). Il a signé un grand nombre de mises en lumière telles que le boulevard du littoral à Cagnes-sur-Mer, la place Darcy à Dijon, place des Cordeliers à Annonay, quais de l’Isère à Grenoble et la place du Château à Strasbourg ; le Théâtre de Champagne à Troyes, le Palais Lumière à Évian, la façade du théâtre national de Strasbourg, et le projet hautement emblématique de la cathédrale de Strasbourg récompensé par trois prix internationaux : IALD Award of Excellence, Darc Award et Codega 2017. Il a également réalisé des plans lumières pour les villes de Strasbourg, Boulogne-Billancourt, le « territoire des Portes de l’Isère ».
Vous vous décrivez comme un « enfant du plan lumière lyonnais ». Que voulez-vous dire ?
Jean-Yves Soëtinck – J’avais une certaine sensibilité artistique et, avec des études en architecture d’intérieur, j’étais parti pour être décorateur. En tant que Lyonnais et utilisateur de l’espace nocturne, j’aimais me promener dans la ville et voir comment elle changeait grâce au premier plan lumière. La première offre d’emploi a laquelle j’ai répondu était un poste a l’Atelier de Roland Jéol, concepteur lumière. Je me suis rendu compte que la lumière représentait un matériau fabuleux. J’appartiens plutôt a cette deuxième génération de concepteurs lumière qui est arrivée une dizaine d’années après ceux que je considère comme les pères fondateurs de ce métier, Roger Narboni, Pierre Bideau, Laurent Fachard, Alain Guilhot qui venaient, pour la plupart, soit du théâtre soit du monde de l’entreprise. La deuxième génération, comme Vincent Thiesson, Charles Vicarini, s’est formée chez eux, et s’est inspirée de l’expérience de ses prédécesseurs. Aujourd’hui, la troisième génération, les trentenaires, a suivi des cursus plus spécialisés éclairage. Alors qu’en ce qui me concerne, j’ai fait mes armes, certes, sur des projets prestigieux, mais tout en apprenant, en tant qu’assistant.
Quand avez-vous créé L’Acte Lumière ?
Jean-Yves Soëtinck – J’ai fondé ma propre agence en 2001, en sautant dans le grand bain tout de suite. Cela m’a permis d’aller là où je voulais, mais l’indépendance est un long cheminement et il fallait être à la fois en agence et sur le terrain. Ce sont les projets avec Alfred Peter, paysagiste, qui m’ont vraiment mis le pied à l’étrier. Comme chacun sait, nul n’est prophète en son pays, et j’ai très peu travaillé sur la ville de Lyon. En revanche, Strasbourg a été un tremplin formidable, tout d’abord avec l’éclairage du parc de la Citadelle. Puis les projets se sont succédé jusqu’à la place du Château, puis ses façades, et la cathédrale. Pour la place du Château, je suis arrivé en cours de projet, lorsque Catherine Linder, paysagiste, a fait appel à moi pour prendre le relais sur la conception lumière. Ensuite, j’ai gagné le concours pour la mise en lumière des façades, puis celui de la cathédrale à l’unanimité du jury. J’ai travaillé avec un bureau d’études qui utilisait la 3D et j’ai su, en voyant l’image du projet, que c’était la bonne approche, je savais où j’allais.
La cathédrale de Strasbourg arrive après 15 ans de conception lumière. Quels ont été les projets phares de cette période ?
Jean-Yves Soëtinck – Je me suis toujours nourri du travail en équipe sur mes projets, et particulièrement à travers ceux que j’ai réalisés avec le paysagiste Alfred Peter. Par exemple, le projet de Cagnes-sur-Mer était déjà, en 2005, le moyen de m’affranchir des codes de l’éclairage public. Dans un site d’exception, offrant une perspective très dégagée tant sur la mer que sur la ville et les Alpes du Sud, le boulevard est éclairé par 9 grands mâts inclinés de 26 m de haut, munis de réflecteurs isotropes permettant une interdistance de 75 m qui procurent un éclairage très uniforme de la promenade. Peut-être qu’aujourd’hui je ferais un concept complétement différent, mais il y a 20 ans, il fallait un peu d’audace pour se libérer du double alignement routier et piétonnier. Les quais de l’Isère, à Grenoble, 10 ans plus tard, racontent une tout autre histoire. Le réaménagement des quais était une pièce maîtresse du projet d’embellissement et de circulation de la ville. Le projet lumière s’inscrivait dans une stratégie de reconquête des lieux et s’articulait autour de deux principes : la création d’un signal lumineux fort et la révélation d’un quartier ou il fait bon vivre, tout en évitant l’écueil d’une banalisation par trop de fonctionnalité de l’éclairage. J’ai créé un lampion festif et son support, positionnés à des hauteurs et des distances différentes malgré une trame d’alignement inflexible ; grâce a son double feu, il fournissait un éclairage public de qualité au niveau des chaussées, et une animation colorée RVB de sa vasque diffusante.
Plus que jamais, éclairer, c’est sculpter de l’ombre.” Jean-Yves Soëtinck
Vous avez mentionné qu’aujourd’hui, vous ne referiez peut-être pas ces projets de la même façon. Qu’est-ce qui a changé dans votre approche au cours de ces 20 dernières années ?
Jean-Yves Soëtinck – Pour commencer, la cathédrale de Strasbourg a marqué un grand virage dans ma carriers, et ce, à plus d’un titre. Tout d’abord, elle a été un vecteur de communication incroyable et m’a permis de parler davantage de mes projets, notamment sur les réseaux sociaux. Elle m’a aussi apporté la légitimité dont je doutais, grâce aux prix que j’ai reçus, comme l’IALD Award of Excellence et le Darc Award, récompenses internationales dont je suis très fier. Confucius a dit « L’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire jamais que le chemin parcouru ». Je ne suis pas un philosophe ou un théoricien de la lumière ; je doute en permanence, mais avec un peu de pragmatisme je me laisse porter par ce doute. Enfin, deux événements récents ont modifié ma vision de l’éclairage urbain. Le passage du Covid pour des raisons personnelles, et l’arrêté 2018 sur les nuisances lumineuses qui a fait de l’environnement un sujet omniprésent. Par exemple, grâce à la collaboration des écologues, j’ai fait évoluer ma pratique professionnelle : j’ai décidé de ne plus utiliser la végétation comme support de composition nocturne ; dans la mesure du possible, je m’appuie sur la plus grande sensibilité aux problématiques environnementales des usagers, pour aller vers plus de sobriété, parfois à contre-pied des attentes de certains décideurs. Il est évident que l’on ne peut plus continuer à éclairer aujourd’hui comme on éclairait auparavant. D’ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai participé et signé l’Acte 2 du manifeste de l’ACE. Nous, concepteurs lumière, sommes en première ligne pour « montrer l’exemple » et partager cette nouvelle vision de l’éclairage responsable et engagé.
Et comment cette nouvelle vision de l’éclairage se traduit-elle ?
Jean-Yves Soëtinck – En pensant le projet depuis l’obscurité et non plus par son aménagement ; plus que jamais, « éclairer, c’est sculpter de l’ombre ». J’ai travaillé dernièrement sur une place qui se trouvait à proximité d’un parc. J’avais imaginé l’éclairer très peu, par petites taches lumineuses au sol et sur les façades, comme un effet de komorebi obtenu par projection de gobos, ce qui me permettait d’amener l’ensemble de l’espace dans une poésie nocturne, une transition entre la pénombre naturelle du parc et la ville. Nous avons cette capacité à scénariser de façon très simple et fine en limitant les impacts sur l’environnement, en faisant un peu plus appel au réemploi du matériel d’éclairage. On nous a retiré des outils de notre palette conceptuelle, il va falloir faire avec ! Nous intervenons sur des espaces publics, en les personnalisant davantage, avec des adaptations des designs encore plus fines, etc., et sans doute en utilisant la lumière comme une matière, un véritable moyen de transformer le paysage urbain.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud