Smart Building : Rénover les infrastructures existantes ou réemployer, c’est possible !

Tri des appareillages modulaires reconditionnés. © Proclus

Avec la digitalisation croissante des bâtiments existants et les rénovations de bâtiments anciens, la question du remplacement ou de la conservation des équipements et de l’infrastructure répond à la fois aux enjeux de développement durable et de fluidité de fonctionnement. Dans ce dossier, J3e détaille les bénéfices de la réutilisation ou du réusage d’éléments existants, le tout sans porter atteinte au fonctionnement global de l’installation.

Le mouvement est en tout cas enclenché, que cela soit dans le réemploi d’équipements ou infrastructures en place lors des opérations de rénovation et de « smartisation » des bâtiments, ou par l’usage, dans les projets, de matériels reconditionnés.

Franck Mouchel Responsable segment tertiaire ABB France. © ABB

Pour Frank Mouchel, responsable segment tertiaire au sein d’ABB France, « il y a deux facteurs importants pour le secteur tertiaire : d’une part, les changements d’usage des bureaux, associés notamment au télétravail et au travail hybride, et d’autre part, la priorité forte pour une efficacité énergétique renforcée, notamment avec les décrets BACS et tertiaire. Dans ce contexte ambitieux et bivalent, la tendance naturelle à conserver et s’appuyer au mieux sur l’existant, et notamment au niveau des infrastructures et de certains équipements existants non obsolètes, est de plus en plus forte. »

Un propos que complète l’entreprise Smart & Connective qui indique que la conservation des équipements existants est motivée par des considérations environnementales, mais aussi par une nécessité économique, car la conservation des équipements fonctionnels permet d’éviter l’achat de nouveaux composants, ce qui allège la facture et les temps d’installation.

Concernant la réutilisation d’équipements reconditionnés, Hervé Grimaud, fondateur de la société Proclus spécialisée dans le reconditionnement des équipements électriques, souligne que « les acteurs les plus sensibles sont de loin les maîtres d’ouvrage, qui, pour certains, sont depuis longtemps conscients de leur rôle central dans la réduction des impacts environnementaux des bâtiments (construction, exploitation, rénovation/démolition). Ils sont de plus en plus rejoints par nombre de leurs confrères, qui commencent à percevoir l’impact sur leurs activités de l’accroissement de la pression sociétale et réglementaire. »


Test de variateurs de vitesse. © Proclus

AVIS D’EXPERT

Le reconditionnement et réemploi des systèmes électriques :  Hervé Grimaud – Proclus

Quelles sont les particularités du processus de réemploi d’équipements électriques par rapport aux autres matériaux ?
Les acteurs du réemploi des matériaux qui connaissent bien les chantiers ont peu ou pas développé les compétences techniques nécessaires à la requalification d’équipements électriques et électroniques parfois complexes. « Le positionnement de Proclus est donc singulier, car il adresse d’une part, l’accès au gisement avec une offre de dépose qui préserve l’ensemble des équipements électriques d’un chantier, ce qui simplifie la vie des entreprises de curage et de leurs clients, et d’autre part, le reconditionnement et la vente aux installateurs électriciens (CFO, CVC) selon les principes de qualité de service et de garantie inspirés des pratiques du marché du neuf. »

Comment s’effectuent la sélection et la dépose des produits et quelles sont les familles de produits les plus en avance ?
« Nous ne reconditionnons que les produits déposés par nos soins, dans un bâtiment dont nous connaissons l’histoire. Cela ne garantit pas leur bon fonctionnement, mais réduit fortement les risques tout en permettant ensuite de les garantir avec plus de sérénité.

La date de fabrication d’un produit au-delà de laquelle il n’est pas repris dépend fortement du produit et du marché. Ainsi, certains produits digitaux sont totalement obsolètes au bout de 5 ans, alors qu’un ventilo-convecteur de 10 ans est encore tout jeune.

Stock variateurs de vitesse. © Proclus

Il y a un réemploi qui a toujours plus ou moins existé, tels les groupes électrogènes, les transformateurs de puissance ou encore les gros groupes froids pour lesquels nous avons une offre de reprise sur chantier destinée à une clientèle principalement localisée à l’export.

Ensuite, concernant l’offre de produits reconditionnés destinée au marché français, elle monte progressivement en puissance au fur et à mesure que nous établissons des processus robustes de reconditionnement. Ainsi, après les produits d’éclairage à led, ont été ajoutés les disjoncteurs modulaires.

Les variateurs de vitesse et les nourrices électriques devraient les rejoindre en septembre. Seront traités ensuite, dans la foulée, les onduleurs et disjoncteurs de puissance. »

Auprès de qui cette offre se développe-t-elle ?
« Il y a tout d’abord les artisans, pour qui les produits 100 % reconditionnés et garantis sont un moyen de s’approvisionner en équipement de grandes marques à des prix très compétitifs. Ensuite, les acteurs de la maintenance multitechnique viennent chercher l’équipement obsolète prêt à l’emploi leur permettant de redémarrer du jour au lendemain les installations dont ils ont la responsabilité en évitant des adaptations techniques coûteuses (variateurs de vitesse, automates programmables…). Enfin, il y a les utilisateurs “militants” et les entreprises de travaux qui doivent répondre aux obligations de réemploi de leurs clients ; mais pour l’instant, leurs demandes se concentrent surtout sur quelques produits emblématiques dont le gisement ne permettra ni de satisfaire leurs besoins ni d’avoir à lui seul un impact CO2 significatif (éclairage des locaux techniques, nourrices pour plancher technique, BAES…). »


Hervé Grimaud, cofondateur Proclus. © Proclus

Les clients des foncières sont eux aussi de plus en plus regardants sur l’impact environnemental des immeubles loués, et côté réglementation, « la RE2020 conditionne l’obtention des permis de construire à un effort de décarbonation des bâtiments, et la loi AGEC impose de faire réaliser un inventaire des potentialités de réemploi des matériaux et équipements avant démolition, les forçant ainsi à se pencher sur le sujet ».

Et quand la demande des clients évolue, l’offre de leurs fournisseurs doit aussi s’adapter, bien sûr. « C’est pourquoi après l’émergence d’AMO (assistants à la maîtrise d’ouvrage) spécialisés en économie circulaire, de plus en plus de MOE, BET, fabricants et entreprises de maintenance et de travaux essayent d’évoluer, et les équipes de Proclus collaborent activement avec certains d’entre eux pour les accompagner dans le développement de leurs offres, voire développer des offres conjointes. »

Un propos partagé par Cycle Up, place de marché spécialisée dans le réemploi des matériaux, au travers d’une étude récente qui fait ressortir une sensibilité accrue des acteurs, au-delà des maîtres d’ouvrage notamment, à vouloir en premier lieu préserver les ressources existantes et ne pas « gaspiller » des matériaux encore utilisables pour 78 % des répondants de l’enquête, et répondre aux enjeux écologiques dans la construction au travers du bas carbone pour 84 % des répondants.


 

L’équipe Cycle Up. © Cycle Up

AVIS D’EXPERT

 

Une place de marché pour le réemploi des matériaux de construction

Sébastien Duprat, président de Cycle Up

Créé à l’initiative d’Icade et Egis il y a 5 ans, Cycle Up est aujourd’hui présent au niveau national avec des dépôts régionaux de matériaux.

Quels exemples de reconditionnement les plus probants ?

Les flux de reconditionnement les plus importants et les produits les plus recherchés sont les éléments de mobilier (notamment dans le tertiaire avec les bureaux et autres fauteuils et chaises…), mais aussi les portes et éléments de menuiserie, les sanitaires, le revêtement de sol (parquet, faux plancher), les éléments de chauffage, avec par exemple des radiateurs en fonte ou bien encore des cassettes de climatisation, ainsi que les luminaires.

Cycle Up a ouvert en juin dernier un atelier à Noisy-le-Sec dédié au reconditionnement des sanitaires. Les équipements en céramique (toilettes, lavabos, urinoirs, receveurs) sont nettoyés et détartrés, et profitent d’un remplacement des pièces d’usure pour les revendre dans un état quasi neuf.

Sébastien Duprat ajoute que des filières ont aussi été mises en place avec des « partenaires re-conditionneurs » pour du faux plancher, des radiateurs en fonte, certains équipements électriques…

Atelier de reconditionnement des sanitaires Cycle Up. © Cycle Up

En dehors de l’administration de la place de marché, quelles sont les activités de Cycle Up ?

Cycle Up accompagne les acteurs avec du conseil et des études en réemploi, ainsi que des services afin d’aider vendeurs et acheteurs à valoriser au mieux leurs ressources inexploitées : diagnostics ressources et PEMD*, inventaires, AMO réemploi, formations au réemploi, recherche de matériaux et gisements ou accompagnement à la vente, stockage et logistique, reconditionnement.

Outil de diagnostic ressources Diag it. © Cycle Up

Cycle Up propose ainsi une solution globale pour le réemploi qui est assez unique sur le marché avec une garantie qui couvre la quasi-totalité des matériaux vendus sur la plateforme en cas de défectuosité. « Et nous avons récemment ajouté une extension payante qui permet de couvrir également les dommages associés éventuels », indique Sébastien Duprat.

L’objectif affiché par Cycle Up, « c’est la massification du réemploi à l’échelle nationale, en essayant de privilégier des gisements locaux de matériaux à proximité des sites de construction. À la clé, c’est aussi limiter la production industrielle dans des pays lointains ainsi que l’extraction de matières premières devenues rares, et réduire ensuite la production de déchets pour ne pas avoir à gérer la fin de vie des matériaux et l’émission de CO2 liée à celle-ci, via l’incinération, par exemple », conclut-il.

* PEMD : pour les démolitions et rénovations significatives, obligation est faite depuis le 1er juillet aux MOA d’un diagnostic de gestion des produits, équipements, matériaux et déchets (PEMD), cf. arrêté PEMD du 26 mars 2023.


Faire du neuf avec du vieux
Réutiliser les infrastructures existantes peut prendre tout son sens dans bien des situations de rénovation et conversion au smart building. « Et cela débute par un audit et une analyse experte de ce qu’il est possible de conserver dans le bâtiment, et de ce que l’on souhaite ajouter pour gagner en efficacité énergétique ou en services », introduit Franck Mouchel. Dans ce contexte de compréhension approfondie de l’existant, le DOE, les référentiels documentaires sont souvent le maillon faible. « Car il s’agit de maîtriser quelles sont les informations existantes et de comprendre comment et où les récupérer, afin d’éviter ensuite une multiplicité de capteurs pour, au final, fournir la même information », poursuit l’expert d’ABB. Et il est souvent possible dans cette approche de « rénovation efficace sans tout remplacer » d’obtenir le même niveau de services avec des investissements plus réduits. Le service est alors apporté par une centralisation des données et une mise à disposition pour des webservices externes.

Quelques questions clés peuvent se poser également au niveau des réseaux : est-il vraiment nécessaire de tout passer en IP par exemple, ce qui ne garantit pas complètement l’interopérabilité, surtout dans un contexte multimarque ? N’est-il pas plus pertinent de rester avec une architecture multimarque, qui s’appuie sur plusieurs protocoles existants type LonWorks® ou KNX au niveau terrain, et BACnet au niveau supervision ? « Pour s’appuyer sur des systèmes existants, un bâtiment multiprotocoles peut s’avérer en ce sens très efficace. Avec également une réduction de l’empreinte carbone, en réutilisant les câblages existants. Pour exemple, sur une tour IGH, ce sont plus de 8 km de câbles à remplacer pour passer en tout IP, entre l’installation, la poubellisation des anciens équipements ; alors que si l’on récupère l’infrastructure en place pour la CVC, les impacts sont beaucoup plus faibles. »

Contrôleur de gestion d’espace Aïron d’ABB. © ABB

« Il est ainsi possible de panacher et de s’appuyer sur les équipements existants dans bien des cas et d’ajouter détection de présence, services de réservations de salles, pilotage de l’éclairage et des stores et d’envoyer à des plateformes de services cloud sans nécessairement tout changer », illustre Franck Mouchel. Et on peut même moderniser avec de vieux automates qui, par une passerelle ad hoc comme la doGATE, vont mettre à disposition les données pour des applicatifs dans le cloud telle la gestion des salles de réunion.

« Dans un immeuble sur Massy, par exemple, nous avons progressivement remplacé les systèmes en place par des régulateurs avec détection de présence et assuré le pilotage de l’éclairage avec le réseau DALI existant. Autre exemple avec un projet sur une tour de 40 étages, où nous installons des contrôleurs de gestion d’espace de la gamme Aïron qui gère dans ce contexte aussi bien du LON filaire que le protocole IzoT pour les équipements BACnet IP et pilote également l’éclairage tout ou rien, laissé en place pour l’instant, mais qui pourra demain évoluer vers du DALI sans produits additionnels. Le contrôleur Aïron peut d’ailleurs gérer l’ensemble des fonctionnalités du confort (CVC, éclairages et stores) et s’interfacer avec le bâtiment dans différents langages et protocoles dont BACnet, Modbus, LON, mais aussi KNX. Il autorise dans ce projet le mix et un bon compromis entre BACnet en supervision et LON en réseau de terrain », poursuit l’expert d’ABB.

L’expert d’ABB ajoute que la gamme de contrôleurs Aïron ne nécessite pas d’infrastructure lourde telle que des interfaces propriétaires ou des routeurs de niveau pour se connecter au réseau du bâtiment.

CEOS automate de commande, coeur de la solution Smart & Connective. © Smart & Connective

Smart & Connective, après analyse de l’existant, propose le plus souvent la mise en place d’une « GTB light », qui permet de piloter les organes le plus énergivores et le plus souvent la CVC. Un exemple simple est présenté avec un hôtel des années 1970, équipé de ventilo-convecteurs classiques. Mickael Colombié – ingénieur support technique & avant-vente explique : « Le projet a été achevé en deux semaines et a permis d’équiper l’intégralité des 70 chambres. Au bout de 2 ans d’exploitation, l’économie annuelle est de 50 % sur les organes pilotés, et sans changer d’équipement. Ce temps d’installation réduit limite au maximum l’arrêt des activités ou la gêne des usagers ou clients, et c’est particulièrement important pour le secteur hôtelier ou le retail, car souvent, la perte d’activité est un frein à l’installation d’une GTB.

Basé sur un automate et des IoT préconisés lors de la phase d’analyse, le système Smart & Connective est mis en place par un intégrateur référencé et permet d’obtenir une GTB de classe A ou B, basée sur une architecture non filaire, qui met à disposition une plateforme de pilotage et de remontées des données qui, sur la base des données remontées, propose des mesures correctives. Il est possible ainsi de piloter quasiment tout type de matériel en place, principalement au niveau de la CVC, et notamment grâce à des partenaires tels qu’Airzone », conclut l’expert de Smart & Connective.


© DR

AVIS D’EXPERT

 

L’amélioration du chauffage et de la climatisation au cœur des projets

Benoît Vandenbulcke, fondateur associé de Smart Green Execution

Concernant le chauffage, les chaufferies qui ont moins d’une dizaine d’années ont généralement plus de chance d’être rendues communicantes et pilotables. De ce fait, la mise en place d’une solution GTB peut s’effectuer à des coûts raisonnables et amortissables à court terme. Pour les plus anciennes, il faut envisager des travaux de plomberie, pour changer les pompes de distribution, les brûleurs, etc. Dans tous les cas, une étude technique au cas par cas est nécessaire.

« Prenons l’exemple d’un établissement scolaire avec trois bâtiments, dont deux sont équipés de deux chaudières récentes, installées il y a deux ans. L’ajout d’une passerelle communicante et d’un serveur GTB permet simplement de répondre aux exigences réglementaires et de bénéficier des financements CEE. » En sus, le remplacement des vieilles têtes thermostatiques par de nouvelles communicantes en radio permet un réglage plus fin des températures pièce par pièce. Les stores étaient déjà pilotables par des télécommandes radio, leur gestion a été incluse dans l’architecture via une deuxième passerelle radio. Il est donc possible de mettre en place des scénarios de pilotage en fonction des plannings de vacances scolaires, de l’ensoleillement et d’anticipation des conditions météo permettant ainsi d’économiser quelques degrés gratuitement, avec des économies globales de l’ordre de 30 %. Pour le troisième bâtiment, la chaudière et les équipements sont trop anciens : avec des pompes de distribution et un brûleur non modulants, il est impossible d’obtenir la classe A sans changer la chaudière.

Jean-François Moreau

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