L’École Bleue est un établissement privé d’enseignement supérieur, délivrant un titre RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) de niveau 7, reconnu par le ministère de la Culture, par le Conseil français des architectes d’intérieur (CFAI) et par l’Association des scénographes. L’École Bleue Global Design forme des créatifs qui seront demain architectes d’intérieur, designers produit, designers graphiques, scénographes culturels (musées, patrimoine, etc.), événementiels (défilés, vitrines, lancement de produits) et de spectacles (théâtre, opéras, ballets). L’établissement travaille en collaboration étroite avec un grand nombre de partenaires : industries, structures culturelles, maisons de luxe, groupes hôteliers, etc.
C’est dans le cadre du partenariat avec le théâtre des Champs-Élysées que les élèves de l’École Bleue ont fait découvrir au public leurs univers mettant en lumière l’opéra. Après avoir lu le livret et écouté Le Rossignol de Stravinsky, leur travail de réflexion a débuté. L’intrigue raconte l’histoire d’un merveilleux rossignol invité à chanter à la cour de l’empereur de Chine, qui lui préfère un oiseau mécanique. Meurtri, le rossignol s’enfuit et l’empereur dépérit. Mais le rossignol revient et le sauve.
La Boîte noire au théâtre désigne l’espace scénique, c’est-à-dire la scène dans l’intégralité de son volume, vide et neutre, où tous les imaginaires peuvent prendre vie. C’est dans cet espace que les élèves ont travaillé individuellement sur l’ensemble des phases nécessaires à la conception de leur scénographie : lecture et analyse de l’œuvre, croquis, maquettes d’études, plans, élévations, mise en lumière… jusqu’à la réalisation de la maquette finale et sa présentation publique. Cette expérience est une occasion de se perfectionner à la création de décors, sous le regard professionnel et bienveillant des équipes du théâtre et des enseignants Caroline Ginet et Richard Caratti-Zarytkiewicz.
Richard Caratti-Zarytkiewicz enseigne à l’École Bleue depuis 2018 à des élèves du cursus Design global section scénographie : théâtrale, événementielle, muséale. Ils reçoivent un premier enseignement en éclairage en deuxième année avec Sophie Bruère, scénographe et Richard Caratti-Zarytkiewicz les prend en charge en troisième année. Il nous présente le travail réalisé par huit étudiantes de cette année : Léa Bay, Inès Beaupré, Margot Béhague, Marylou Boudy, Agathe Clautiaux, Lili Gainche, Marie Le Guyader et Manon Leray.
« Caroline Ginet, qui a en charge le cours de scénographie théâtrale au sein de l’école, m’a demandé d’intervenir auprès des étudiantes du point de vue de l’éclairage scénique : les élèves ont fabriqué des maquettes, sur le thème du Rossignol de Stravinsky, exposées lors de la représentation de l’opéra au théâtre des Champs-Élysées en mars 2023. Mon rôle a consisté à les guider quant à l’utilisation du matériel d’éclairage utilisable pour la mise en lumière. Au fil de cette opération s’est imposée une démarche pédagogique orientée à la fois sur l’éclairage de la maquette et sa pertinence avec le récit, et sur ce qu’il se passait sur la scène. Je les ai aidées à pousser le plus loin possible la recherche du sens de leur éclairage, cohérent avec les exigences de la maquette : c’est-à-dire comment représenter une scène bien particulière, dans un contexte privé d’un avant et d’un après, dans lequel on a déterminé le langage qui permettait de communiquer à l’observateur l’émotion contenue dans ce moment. Moment qui combine écriture, interprétation, scénographie. Dans ce contexte, l’éclairage envoie un signal émotionnel au spectateur afin qu’il s’immerge dans l’opéra, acte III, au moment où le rossignol retourne auprès de l’empereur de Chine. L’idée est de régler la lumière, son positionnement, son extension, les zones sur lesquelles elle se dispense, sa direction, sa provenance au fil d’essais successifs, afin de trouver cette émotion. Le fait de travailler sur une maquette complexifie un peu plus l’exercice compliqué, car ses dimensions réduites rendent le choix du matériel difficile. Étape par étape, le fil de notre réflexion nous a conduits au choix du pinceau et donc du faisceau de lumière nécessaire. Notre travail a été le fruit d’échanges et de discussions sur le sens qu’il convenait de donner à cette lumière afin de traduire au mieux l’interprétation que chacune des étudiantes souhaitait offrir au spectateur. »
La rédaction de Lumières a accepté avec enthousiasme de donner la parole à ces jeunes talents, aussi passionnées que passionnantes, qui nous expliquent comment elles ont réalisé leur maquette et leur mise en lumière. Extraits…
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Un livre d’images, par Lili Gainche – Penser l’opéra comme un livre d’images
Je me suis inspirée directement du conte d’Andersen. J’ai tout d’abord travaillé une lecture primaire du livre et ensuite, proposé quelque chose de minimaliste avec l’idée d’un univers qui s’ouvre et qui est en constante évolution comme s’il était en proie à un bouleversement permanent. À chaque acte correspond un livre qui se referme pour laisser la place à l’acte suivant. Ce qui permet un effet cinétique intéressant dans le sens où les acteurs, qui entrent et sortent du livre, font défiler les pages eux-mêmes en donnant l’illusion de progression dans l’espace. Je voulais un décor qui ne soit jamais piégé et qui témoigne des agitations permanentes qui surgissent dans tous les actes, illustrées ici par les lumières qui jaillissent des ouvertures et balaient les parois couvertes d’estampes chinoises. J’ai utilisé les couleurs comme autant de symboles : le bleu pour la nature, le rouge pour la construction du palais et l’empereur, le vert pour le rossignol mécanique. Le livre m’a permis de revenir en arrière, dans l’acte III, lorsque, finalement, la mort s’éloigne et que l’empereur retrouve sa joie de vivre comme au début.
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Nuances de blanc, par Marie Le Guyader – Dessiner l’empire de Chine en nuances de blanc
La maquette a été conçue pour donner une image contemporaine de l’empire de Chine. J’ai repris l’escalier de la Cité interdite que j’ai replacé au centre de la scène. Tout le décor est monochrome et apparaît en nuances de blanc créées par les effets lumineux (rétroéclairage, ombres chinoises, etc.). C’est la lumière qui apporte la couleur par des gélatines disposées sur des panneaux qui changent à l’arrière du décor. À la fin, au moment où l’empereur revit et que le rossignol chante, l’architecture du palais et la nature se mélangent. Et cette association d’harmonie et de sentiment de chaleur se retrouve dans les deux personnages : l’empereur, habillé d’un tissu rigide flamboyant et le rossignol, recouvert d’un tissu très souple et clair, tous deux éclairés d’une douce lumière blanche.
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Quête d’harmonie, par Margot Béhague – Le face-à-face du rossignol et de l’empereur : une quête d’harmonie
La maquette concrétise le conflit du récit par les matières utilisées qui s’opposent : le tissu (les fleurs disposées au sol sur le devant de la scène) et le grillage qui, dans le dernier acte, s’unissent pour illustrer l’harmonie retrouvée. La lumière a permis de révéler ces contraires, par exemple en mettant l’accent sur le grillage à l’aide d’ombres portées. J’emploie la lumière de façon plutôt douce et dans ce dernier acte justement, elle revêt une teinte chaude qui évoque avec délicatesse le crépuscule de la vie. Dans la construction de la maquette, ma réflexion s’est faite en même temps sur le choix des matériaux et celui de la lumière. Les essais ont ensuite permis d’ajuster les effets lumineux afin qu’ils correspondent à ce que j’imaginais. M’imprégner de la musique m’a beaucoup aidée à retranscrire la perception que j’avais de l’histoire elle-même et de sa scénographie.
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Origami, par Inès Beaupré – Le rossignol et l’usage poétique de l’origami
La perfection du chant du rossignol provoque une quête de l’oiseau dans tout le royaume. Dans un contexte où règnent le contrôle, la rigidité, le chant magique de l’animal déclenche une profusion d’émotions irrationnelles. Dans ce projet scénographique, chanteurs et comédiens deviennent les architectes et les acteurs d’un rêve. Pour évoquer l’élaboration de ce rêve, la scénographie propose des jeux de pliages, en référence à l’art de l’origami. Les comédiens jouent avec ces décors de papier pour construire l’histoire et mener une quête spirituelle, à l’écoute du chant du rossignol.
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Le désespoir du rossignol, par Marylou Boudy – Évocation du déchirement et du désespoir du rossignol
J’ai pris conscience, au cours de ces trois années à l’École Bleue, de l’importance de la lumière dans la scénographie, et les matériaux que j’ai choisis pour créer mon décor et mon univers dans la maquette sont spécifiquement pensés pour réagir à la lumière. J’ai utilisé le tulle qui présente une particularité : éclairé de face, il est totalement opaque, et éclairé de côté, il devient translucide. Le tulle m’a permis de créer un décor moderne inspiré du théâtre baroque qui fait appel à beaucoup de panneaux peints. J’ai commencé par représenter une nature inhospitalière et dense qui disparaît petit à petit pour laisser place à une forme de poésie avec des jeux d’opacité et de transparence créés par la lumière. Ainsi, pendant l’opéra, plusieurs tonalités de lumière se succèdent, plusieurs éclairages sont proposés afin d’accentuer le propos et la musique. C’est juste l’éclairage qui permet une compréhension différente de l’environnement en jouant sur les couleurs et l’orientation de la lumière.
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La Liberté, par Manon Leray – Le rossignol comme symbole de la liberté
J’ai caractérisé les contrastes du récit par trois petites vagues qui montrent l’envol du rossignol vers sa liberté et le chemin de l’empereur vers la mort, vers cette grande ligne rouge. Dans le premier acte, j’ai caché deux vagues pour laisser du suspense et j’ai utilisé des lumières plutôt rasantes et bleutées, un peu vertes. Dans l’acte II, je dévoile les trois vagues et pose un toit qui évoque l’enfermement ; les couleurs sont crème, orangées et les lumières blanches qui illuminent littéralement le décor. Cette lumière devient rouge à l’acte III : elle représente la mort, mais aussi la puissance de l’empereur qui assure son pouvoir, tandis que l’arrivée du rossignol est caractérisée par une lumière blanche qui symbolise la pureté, la liberté et qui prend le contrôle sur la lumière rouge à la toute fin de l’acte.
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Instable et mouvante, par Agathe Clautiaux – Retranscrire l’atmosphère mouvante d’un empire en perdition
Pour moi, le rossignol est un personnage qui apporte de la lumière dans l’empire et cette idée m’a guidée tout au long de la construction de ce projet. Par des codes de la culture taoïste et l’élément aquatique, j’ai souhaité retranscrire l’atmosphère de l’empire, avec le rossignol qui représente l’équilibre, l’harmonie, jusqu’à l’arrivée du rossignol mécanique qui rigidifie tout l’espace. La lumière, qui construit tout l’environnement scénique, se fige également. À l’acte III, au moment où le rossignol revient et sauve l’empereur, la lumière rayonne sur toute la scène. Elle met des accents sur l’architecture et l’élément aquatique sur lequel elle se reflète et offre cette atmosphère douce qui illustre le retour à l’équilibre à la fin de l’acte III.
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Nature et culture, par Léa Bay – Le rossignol comme métaphore du conflit entre nature et culture
J’ai voulu interpréter le « Rossignol » avec une vision contemporaine en disposant des faits de notre société actuelle dans l’opéra. À l’acte I, je me suis inspirée de Tchernobyl et de la nature qui a repris ses droits, invitant le rossignol à voler librement. Pour le palais de l’empereur, acte II, j’ai fait référence aux villes chinoises et à l’architecture de Shanghai, en montrant que l’architecture est étouffée par notre société. À l’acte III, revirement de situation : l’empereur se rend compte qu’il a besoin du vrai rossignol pour reprendre vie. J’ai donc retourné les blocs d’architecture et la nature se libère. J’ai fait appel à des effets lumineux pour concrétiser la pollution tandis qu’une lumière blanche représente l’apaisement et les deux mondes réconciliés.