Gilles Mailet est au conseil d’administration de la Capeb, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Électricien à Doué-en-Anjou, où il emploie 14 personnes, il a été élu en avril 2022 président de l’UNA3E de la Capeb (Union nationale artisanale de l’équipement électrique et électro-domotique), dont il était conseiller depuis 2014. Cet ambassadeur des métiers de l’électricité commente pour notre magazine les combats et les atouts d’une organisation qui se veut de proximité, motivée pour défendre ses adhérents et les accompagner face aux grands défis du moment.
« Les jeunes générations veulent donner du sens à leur activité. Ça tombe bien, dans le bâtiment, nos métiers ont du sens ! »
Quelles sont les grandes tendances annoncées lors des dernières Rencontres de la Capeb, organisées en février dernier ?
Gilles Mailet – Parmi les grandes tendances, il y a assurément les nouvelles générations qui arrivent, notamment la génération Z. Nous allons avoir besoin de ces jeunes demain dans nos entreprises, il nous faut donc comprendre leur fonctionnement. Quand on analyse un peu leurs besoins, on se rend compte que ces générations veulent donner du sens à leur activité. Et cela tombe bien parce que nous, dans le bâtiment, on a des métiers qui ont du sens ! D’abord, dans les travaux que l’on mène. Quand on parle d’économie d’énergie, d’écologie. De bien-être en entreprise, aussi. Donner du sens, c’est ce que l’on fait déjà plus ou moins naturellement dans nos entreprises. Aujourd’hui, on met des mots dessus.
Mais il faut peut-être valoriser ces métiers autrement, les expliquer…
G. M. – Tout à fait. Et c’est pour cela que ces rencontres ont été importantes. C’était d’ailleurs aussi un sujet lors de nos Journées professionnelles de la construction, qui ont eu lieu en septembre dernier à Toulouse. L’une de nos conférences était consacrée aux nouvelles générations et aux démarches que nos entreprises doivent s’approprier pour mieux accueillir les jeunes. Aussi bien les jeunes en stage et les intérimaires que les nouveaux collaborateurs qui intègrent l’entreprise. On a toute une démarche d’accueil et de valorisation. Ce n’est pas juste le métier, l’environnement aussi est important.
On connaît la difficulté des entreprises à recruter. Comment la Capeb agit-elle pour rendre plus attractifs les métiers, attirer les jeunes et les reconversions ?
G. M. – Sur les chiffres de 2020 que j’ai sous les yeux, par exemple, 557 000 entreprises sont des entreprises du bâtiment, et 99 % comptent moins de 20 personnes. Sur ces 99 % d’entreprises, nos métiers formaient, en 2020, 77 % des apprentis. Ce n’est pas une nouveauté. Dans le bâtiment, on a toujours été dans cette démarche d’apprentissage. Parce qu’on a des métiers qui nécessitent forcément de la technique et de la manipulation, donc cela passe par la maîtrise des gestes. Ce qu’il faut aussi, c’est rappeler dans les collèges, les lycées du bâtiment qu’on peut commencer peut-être en apprentissage, en CAP, et finir avec un BTS. Parmi les démarches au sein de la Capeb, dans la plupart des départements, on a nos fameux ambassadeurs, notamment des chefs d’entreprise. Des rencontres sont organisées dans les collèges pour venir expliquer nos métiers, nos activités. On se rend compte que ça intéresse et que, bien souvent, les jeunes sont motivés pour aller dans nos métiers.
La Capeb multiplie les actions pour féminiser les métiers ou au moins sensibiliser les femmes au bâtiment. Est-ce que vous voyez déjà des évolutions ?
G. M. – L’évolution n’est pas négligeable. Nous avons un groupe au sein de la Capeb nationale sur la féminisation des instances. On a beaucoup de femmes cheffes d’entreprise et de femmes dans les instances. De plus en plus de femmes sont aujourd’hui impliquées. Ça évolue, mais ce n’est pas encore la parité !
Passons à un sujet d’inquiétude : la pénurie de matériaux et les prix qui augmentent. On résume. Il y a eu le Covid, maintenant le conflit en Ukraine… Nos entreprises souffrent énormément.
Quand on a des contrats qui stipulent que les prix ne doivent être ni revus ni renégociés, qu’est-ce que la Capeb peut faire pour ses adhérents ?
G. M. – Il y a différents aspects. Aux hausses découlant de la crise sanitaire se sont ajoutées les hausses des coûts de l’énergie et des matières premières liées au conflit en Ukraine, sans oublier le coût de certains composants électroniques et le coût de la décarbonation des process de production et de fabrication, dont les justifications mériteraient souvent d’être plus transparentes. En conséquence, les entreprises sont pénalisées entre le moment où elles font le chiffrage et le moment où le client signe. Quand on commande le matériel, il peut s’être passé plusieurs mois ! Le premier conseil à nos adhérents, c’est de réduire les délais de validité des chiffrages. La Capeb s’est ainsi mobilisée auprès d’une quarantaine de partenaires (industriels et distributeurs de matériaux et d’équipements) qui ont accepté d’être signataires d’une déclaration commune dont l’objectif est de faire front ensemble dans ce contexte de hausses des prix pour préserver le niveau d’activité du secteur du bâtiment. Maintenir les mêmes prix sur une durée minimale, ne pas appliquer de hausses sur les stocks ou encore prévenir ses clients dans un délai convenu de toute future hausse des prix sont notamment des engagements forts de ces partenaires qui permettent aux entreprises artisanales de mieux anticiper les crises successives et de s’interdire de travailler à perte.
Justement, des contrats sont parfois signés pour une réalisation dans six mois, parfois un an sur certains chantiers.
Apportez-vous un soutien, par exemple juridique, aux entreprises qui souffrent d’une contractualisation non modifiable ?
G. M. – C’est une vraie difficulté, surtout sur des délais aussi longs. Il n’est pas facile pour nous d’intervenir juridiquement. Mais la Capeb met notamment à disposition des entreprises artisanales l’outil Calculab, qui permet de mieux maîtriser ses prix de revient et surtout d’anticiper en permanence, avec une solution plutôt simple à renseigner. Et on peut jouer sur le curseur très facilement. Cela permet déjà de mieux maîtriser ses coûts, car il y a le prix des matériaux et des équipements, effectivement, mais pas que… On a aussi le coût de l’énergie, du carburant et des salaires. Tous les postes d’une entreprise ont évolué en termes de prix. D’où l’importance de bien maîtriser son prix de revient. Calculab est une application développée par la Capeb vraiment incontournable pour toutes nos entreprises du bâtiment. À côté de cela, on bénéficie de certaines structures qui peuvent devenir partenaires ou qui se rapprochent de la Capeb. Je pense à un éditeur de solutions qui nous permet d’avoir toujours nos prix à jour lorsqu’on fait un chiffrage.
Vous parlez des différentes plateformes de chiffrage ?
G. M. – Là, c’est un peu différent. Il existe une solution proposée par Tarifeo, accessible sur plusieurs types de logiciels, en lien avec les différents sites des distributeurs ou fabricants. Un article recherché sur cette base sera en permanence à jour. Dès l’instant où il y a une augmentation de tarif chez le fabricant, automatiquement, le prix d’achat net est tout de suite réactualisé. Ça, c’est pour moi vraiment un atout, et une maîtrise du prix parce qu’entre le moment où on demande les nouveaux prix et le moment où on « renseigne » nos bases de chiffrage, on l’a dit, il peut se passer des mois.
La Capeb a par ailleurs une vraie logique de partenariat. Comment ces partenariats se traduisent-ils au quotidien pour les installateurs et les électriciens ?
G. M. – Les besoins sont communs. L’idée, c’est vraiment de rapprocher les offres les plus pertinentes aux besoins et attentes de nos entreprises pour que l’on puisse apporter des solutions dans tous les domaines : la gestion de l’entreprise, la maîtrise du chiffrage, le dimensionnement des équipements, les outils qui vont faciliter et automatiser le travail de nos chefs d’entreprise, les référentiels pour nous former dans les nouveaux usages, qui ne touchent pas forcément tous les électriciens. Je pense au photovoltaïque et à l’IRVE. Tout ce qui est gestion de l’énergie, aussi, est devenu un sujet important aujourd’hui, autant pour l’habitat domestique que pour les bâtiments tertiaires et industriels. On a besoin de faire évoluer l’appétence pour les nouveaux marchés, de sensibiliser les entreprises pour leur dire : ce sont des marchés qui nous appartiennent.
Concrètement, cela ne peut se faire qu’avec nos partenaires fabricants, avec la distribution, avec des éditeurs de logiciels, avec des startups qui vont nous faciliter la vie… Je pense que c’est comme ça qu’on va pouvoir passer les périodes difficiles tout en poursuivant la nécessaire transition numérique. Certains peuvent avoir une image du bâtiment un peu vieillotte : ça fait pourtant longtemps qu’on est passé au numérique.
Très souvent, les petites entreprises restent la variable d’ajustement. La Capeb a-t-elle une action auprès des gros donneurs d’ordre ?
G. M. – Il y a des choses à faire, pas forcément très connues. Je pense par exemple aux travaux dans les collectivités. Aujourd’hui, elles ont une latitude jusqu’à 100 000 € de chiffre d’affaires, sans passer par un appel d’offres et une étude comparative. C’est bien de le rappeler à nos collectivités. Nos entreprises sont locales, elles ont un rôle économique important. La Capeb est présente à tous les niveaux : que ce soit auprès de nos maires, de nos conseillers départementaux et régionaux, de nos députés, de nos sénateurs, nous avons des ambassadeurs qui ont pour mission d’exprimer les différentes revendications que nous portons au sein de nos activités. La Capeb est également amenée à rencontrer les membres du gouvernement et à participer à de nombreux travaux engagés par les ministères afin de défendre les intérêts de nos entreprises artisanales et de mettre en lumière les valeurs de l’artisanat français.
Côté formation, au-delà de l’obligation légale de former les individus, y a-t-il une sensibilisation particulière de la Capeb ?
G. M. – Cela a toujours été le cas. Bien entendu, cela relève de la volonté de toute entreprise de former ses salariés ou pas. Il faut bien comprendre que quand on est en activité, il est parfois compliqué d’envoyer ses salariés en formation. Or, la formation doit faire partie intégrante de la vie de l’entreprise et de ses évolutions. Si on prend par exemple le photovoltaïque ou encore l’IRVE, beaucoup d’entreprises se sont formées bien avant d’y être obligées. Les formations permettent d’accompagner la montée en compétences des salariés pour permettre à l’entreprise de s’adapter à l’évolution des marchés. C’est pour cette raison que le réseau de la Capeb est à la disposition des entreprises artisanales pour analyser leurs besoins et leur proposer des plans de formations adaptées. Il y a aussi des formations qui sont spécifiques pour accompagner les dirigeants. Et des formations pour devenir dirigeant, que ce soit dans le cadre de la reprise ou de la création d’une entreprise. Différentes solutions de formation existent avec de la gestion, du management, de la technique. Il y a également des formations au sein même de la Capeb, par exemple pour les ambassadeurs qui ont vocation d’être en relation avec les élus locaux.
Au-delà de l’électricité, il faut maintenant avoir des compétences en réseau, en logiciel, avec la supervision. Cela touche un peu le métier de l’élec, celui du chauffagiste, ça amène du Smart… C’est presque un nouveau métier qui se réinvente, non ?
G. M. – Le métier de base, c’est bien celui d’électricien. Pour installer une borne de recharge, par exemple, il y a un certain nombre de règles spécifiques à respecter (procédures, dimensionnement…). Mais cela reste avant tout un équipement électrique que l’on met en œuvre ! Si je vulgarise un peu, c’est comme le photovoltaïque : ce n’est pas un nouveau métier, c’est une compétence supplémentaire à acquérir.
En un mot, comment la digitalisation du bâtiment s’intègre-t-elle dans vos métiers ?
G. M. – En un mot, je dirais l’interopérabilité. Un moment, j’ai eu l’impression de revivre l’époque des premiers chauffages électriques, où aucun fabricant n’avait le même protocole de communication pour la gestion. Aujourd’hui, les solutions interopérables arrivent. Quelles que soient les marques, les produits vont pouvoir parler entre eux, ce qui va aussi nous permettre de faire du préventif.
L’application de la RE2020 implique une meilleure maîtrise de l’énergie, et l’électricien a évidemment un rôle à jouer dans la transition énergétique. Comment envisagez-vous ces opportunités ?
G. M. – On a un marché devant nous, et la Capeb accompagne bien sûr les entreprises. Dans chaque département, il y a des ateliers sur les différents sujets, pour expliquer aux entreprises adhérentes les nouveautés et l’orientation des métiers. Apporter des solutions implique pour nous de bien les comprendre, les maîtriser, les utiliser, et d’éduquer nos clients à bien « gérer », de façon à réduire leur facture énergétique. Cela nécessite forcément une maîtrise des compétences, une parfaite connaissance des équipements à installer, une bonne compréhension de l’environnement. Les nouveaux usages et les opportunités dont vous parlez couvrent la production, la consommation, le stockage, la mobilité… Il y a aussi le maintien à domicile, qui n’est d’ailleurs pas qu’une question d’âge ; on doit prendre en compte également les accidents de la vie. Sur ce point, la Capeb a initié la démarche Handibat, qui facilite le maintien à domicile avec un habitat connecté.
Le mot de la fin ?
G. M. – Notre slogan, c’est « Plus fort ensemble ». Je dirais que toute entreprise des métiers de l’électricité qui a envie de rejoindre une organisation forte et vraiment « terrain », d’être informée, accompagnée et défendue, cette entreprise-là est la bienvenue à la Capeb.