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Patrick Nossent, président de Certivea : « Les enjeux liés au climat, à l’environnement, au développement durable, à l’évolution des modes de travail ou aux émissions de CO2 sont des menaces, mais aussi des opportunités. »

Quels sont les principaux thèmes traités par Certivea pour améliorer le caractère durable des bâtiments ?
Patrick Nossent – Certivea est un certificateur engagé pour des cadres de vie durables, ce qui englobe quatre domaines d’actions principaux. Le premier, qui vise à assurer une bonne qualité de vie au sein des bâtiments, englobe notamment des enjeux liés à la santé, au confort, aux services. Le deuxième concerne le respect de l’environnement, et intègre des notions de gestion de l’énergie, de réduction des émissions de CO2 et des consommations d’eau, mais aussi l’économie circulaire et la biodiversité. Le troisième vise à garantir la performance économique, notamment avec des économies de charges ou la préservation de la valeur patrimoniale des bâtiments. Enfin, le dernier concerne la réalisation et l’usage responsables, avec la mise en œuvre d’un management responsable, rendu possible par un certain nombre de bonnes pratiques. Nos actions visent à améliorer l’impact des bâtiments sur les territoires.

Pouvez-vous nous présenter le champ de certifications proposé par Certivea selon vos différents domaines d’actions ?
P. N. – Nous appliquons une grille d’analyse des bâtiments durables à tous les types de bâtiments : bureaux, enseignement, sport, santé… Et ce, en construction, en exploitation ou en rénovation. Nous travaillons à l’échelle des infrastructures et des territoires, un quartier par exemple, en intégrant les caractéristiques du bâtiment à son environnement et aux infrastructures disponibles.

En décembre 2022, Certivea est devenu le premier organisme certificateur à obtenir le statut d’« entreprise à mission ». Pouvez-vous nous expliquer les implications directes de ce nouveau statut sur votre activité ?
P. N. – La qualité d’entreprise à mission a été créée par la loi PACTE, qui prévoit, au premier niveau, que toute entreprise doit se préoccuper de ses impacts environnementaux et sociétaux. Au deuxième niveau, qu’une entreprise peut clarifier sa mission. Au troisième niveau, celui d’« entreprise à mission » à proprement parler, qui doit fixer dans ses statuts des objectifs environnementaux, sociétaux et de gouvernance. Par exemple, dans le cas de Certivea, toutes nos certifications sont en lien avec le développement durable et doivent être élaborées avec l’ensemble des parties prenantes concernées. Un Comité de mission est mis en place pour suivre la déclinaison opérationnelle de ces objectifs et un rapport annuel est publié sur l’atteinte de ces objectifs. Tous les deux ans, nous sommes audités sur nos engagements par un organisme indépendant. Les objectifs fixés doivent être publics, opposables et reportables.

ICADE – BATIMENT ORIGINE, certifié HQE BD et labellisé RS2, BBCA, EFFINERGIE RENO. © CERTIVEA

Nous vivons aujourd’hui des changements très importants dans le bâtiment, avec une volonté des pouvoirs publics d’accélérer la transition énergétique et numérique, de réduire l’impact carbone, d’améliorer le confort de vie, avec une trajectoire de neutralité carbone fixée à 2050… Quel est le rôle de la certification pour atteindre ces objectifs ?
P. N. – Dans la définition de notre mission, nous nous sommes donné plusieurs objectifs. Le premier est d’aider les acteurs de l’immobilier à améliorer leurs projets dans le sens du développement durable. Le deuxième est d’attester de manière indépendante de la performance atteinte. Les certifications permettent de rassurer les différentes parties prenantes d’un projet immobilier, de sécuriser les investissements en garantissant l’atteinte des objectifs fixés et de lutter contre les allégations environnementales trompeuses ou Green Washing, par l’intermédiaire d’audits par un organisme tiers indépendant crédible.

Les labels et certifications pour le bâtiment ont fleuri il y a une quinzaine d’années, avec une offre très large concernant de nombreux aspects du bâtiment et des résultats parfois en décalage avec la réalité. Pensez-vous que le marché de la certification a atteint une période de maturité aujourd’hui, avec une plus grande fiabilité des évaluations ?
P. N. – Oui, sans le moindre doute ! Nous sommes parmi ceux qui ont publié des rapports pour mettre en lumière et corriger les dysfonctionnements de certains référentiels, ce qui nous a permis d’amener la certification de la construction vers l’exploitation. Aujourd’hui, nos certifications couvrent les phases de conception, de construction, d’exploitation et de rénovation. Les critères et indicateurs qui servent de base à l’élaboration de la certification sont plus performanciels et plus proches de la réalité, grâce aux retours d’expériences documentés.

Pouvez-vous rapidement revenir sur le fonctionnement d’un processus de certification et sur les points clés de cette démarche ?
P. N. – En amont, le référentiel est élaboré avec l’ensemble des parties prenantes et les retours d’expérience dont nous disposons, pour apprécier au mieux les performances du bâtiment. Les acteurs intéressés doivent donc prendre connaissance de ce référentiel et trouver des équipes compétentes capables de répondre aux besoins, qu’il s’agisse d’architectes, d’ingénieurs… L’objectif est d’obtenir une performance élevée à coût acceptable. Il s’agit d’une démarche volontaire. Lorsque les décideurs se sentent prêts à la mettre en œuvre, ils peuvent prendre contact avec le certificateur. Nous déclenchons alors des audits lors des phases clés du projet. En exploitation, l’auditeur se base sur les mesures et des relevés de consommation. En cas d’écarts avec les performances attendues, des actions correctives doivent être mises en œuvre. Enfin, la certification est attribuée ou non selon les résultats obtenus.

Y a-t-il des domaines où la certification est incontournable ou plus pertinente que d’autres ?
P. N. – Partout, la certification aide les acteurs de l’immobilier à aller plus loin dans leurs actions de développement durable. Il s’agit d’un outil très utile. Dans certains domaines, comme les bureaux, les certifications et labels sont devenus des outils de place indispensable pour valoriser la performance auprès des investisseurs et des utilisateurs. Les certifications sont ainsi très utiles pour vendre et louer des actifs immobiliers, mais aussi pour prouver leur valeur patrimoniale. La certification HQE rassemble également toutes les preuves pour démontrer l’alignement des performances du bâtiment avec la taxonomie européenne, qui donne accès à des financements par l’intermédiaire du Green Deal.

« La transition des compétences est un immense chantier qui concerne tous les métiers du bâtiment et de l’immobilier ! »

L’ensemble des secteurs du bâtiment gagne en valeur ajoutée depuis quelques années, avec des offres de plus en plus performantes, servicielles, durables… Comment faire en sorte que les entreprises du bâtiment suivent ces changements rapides et profonds de leurs métiers ?
P. N. – Les enjeux liés au climat, à l’environnement, au développement durable, à l’évolution des modes de travail ou aux émissions de CO2 sont des menaces, mais aussi des opportunités. Il faut accompagner les transformations par la formation, d’une part avec des compétences nouvelles à acquérir, mais aussi grâce à l’utilisation de nouveaux outils qui permettent de tirer le meilleur parti de ces transformations. Les référentiels proposés par Certivea sont des outils pédagogiques forts. Nous organisons des retours d’expérience d’opérations réussies. Nous proposons également des formations pour les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre et les assistants à maîtrise d’ouvrage, et nous leur donnons accès à des outils et des plateformes en ligne. La transition des compétences est un immense chantier qui concerne tous les métiers du bâtiment et de l’immobilier !

ECO CAMPUS PAULIANE 5 certifié HQE Aménagement Durable. © CERTIVEA

Quel est selon vous le rôle du bâtiment dans le contexte de transitions profondes que nous vivons, avec toujours en vue un objectif de neutralité carbone à court terme ?
P. N. – Le bâtiment représente 40 % des consommations énergétiques, 25 % des émissions de gaz à effet de serre, 40 % des déchets et 16 % des consommations d’eau. Les impacts environnementaux sont considérables. Si nous souhaitons minimiser ces impacts, nous devons prendre de nouveaux chemins, à l’image de l’économie circulaire, de la performance énergétique, du bas carbone… L’éco-conception doit être mise en œuvre. La deuxième dimension est de rendre plus durables les activités au sein des bâtiments. Les bâtiments, les quartiers et les infrastructures doivent accompagner nos changements de modes de vie. Par exemple, un bâtiment de bureaux est utilisé 30 % du temps. Une des pistes pour réduire l’impact de l’immobilier est d’augmenter son intensité d’usage en en faisant des bureaux partagés, par exemple. La localisation du bâtiment est également très importante, car cela détermine le mode de transport utilisé par les usagers pour s’y rendre. La conception des bâtiments, des quartiers et des villes est absolument déterminante. La troisième dimension est liée à la résilience des bâtiments : sont-ils utilisables en cas d’événements climatiques extrêmes ? La résilience et l’adaptation au changement climatique n’est pas un impératif de 2050. C’est un impératif immédiat !

Constatez-vous que l’augmentation des prix de l’énergie est un catalyseur pour la prise en compte des enjeux environnementaux par les acteurs de l’immobilier ?
P. N. – La conjoncture a remis sur le devant de la scène les aspects énergétiques, avec, parfois, une vision court-termiste. Aujourd’hui, il est impératif de travailler sur le long terme et il ne faut pas traiter une thématique en oubliant les autres. Il est bien plus efficace de traiter tous les enjeux dans leur globalité.

Chez Certivea, avez-vous davantage de demandes d’informations ou sentez-vous un intérêt croissant des maîtres d’ouvrage ou des décideurs sur les enjeux de consommations énergétiques, de durabilité et de confort ?
P. N. – En 2022, nous avons eu 30 % de demandes de certifications en plus par rapport à 2021. Voilà une preuve très nette de l’engouement pour ces sujets. Cette explosion des demandes est non seulement le résultat de la crise énergétique, mais aussi de la crise sanitaire, de la crise climatique, de l’évolution des modes de travail et de l’utilisation croissante du numérique.

CAMPUS NUMERIQUE REGION AURA, labellisée R2S. (c)AURA_D.R

Comment les accompagnez-vous dans leurs démarches ?
P. N. – Nous aidons les clients à choisir celle qui correspond le mieux à leur demande, car les besoins peuvent être très divers. D’autre part, nous les encourageons à s’entourer de compétences pour les accompagner. Nous leur mettons à disposition des outils et nous les guidons tout au long de l’opération.

Pensez-vous que le Smart Building est une réponse pertinente à ces enjeux et pour quelles raisons ?
P. N. – Dans notre poursuite des objectifs environnementaux et sociétaux, nous avons constaté que le numérique responsable peut être une réponse pertinente à ces enjeux. Si la digitalisation du bâtiment permet d’améliorer la performance énergétique, le confort, de réduire les émissions de CO2, de mutualiser les usages, et qu’il compense ses impacts, alors c’est un outil très intéressant. Pour nous, un Smart Building implique avant tout un réseau interopérable, ce qui permet de brancher n’importe quel équipement pour accéder à un ensemble de services. Nous favorisons également les services à impact positif, comme la performance énergétique ou la flexibilité.

Le label R2S et sa version 2, entrée en vigueur depuis le 1er janvier, fixent un cadre de référence admis par la grande majorité des acteurs du Smart Building, pour faire du bâtiment une plateforme de services. Quels en sont les points clés ?
P. N. – R2S V2 reprend le même cadre de référence que la première version du label, avec une définition du réseau en trois parties : la couche matérielle, qui assure la connectivité du bâtiment, l’architecture réseau, et les équipements et interfaces qui favorisent l’interopérabilité. Le label R2S V2 est plus adaptable à la rénovation des bâtiments, en conservant la même base technique. Il apporte une deuxième série d’exigences, notamment le management responsable et la protection des données, avec la mise en conformité du bâtiment à la RGPD (Réglementation générale sur la protection des données). Le thème de la cybersécurité a également été renforcé, et la V2 inclut des aspects techniques et matériels et des aspects codage. Cette nouvelle version du label vient également étoffer la palette de services disponibles.

Pouvez-vous nous en présenter les principales déclinaisons ?
P. N. – Pour le moment, la seule déclinaison dévoilée est le R2S-4GRIDS. Ce label a pour objectif l’analyse des données énergétiques, le pilotage, voire la flexibilité des bâtiments en fonction de la maturité du projet, grâce à la mise en œuvre d’un numérique responsable. L’extension 4GRIDS donne concrètement accès à des services énergétiques, basés sur le socle technique du Label R2S.

Quels seront les nouveautés et les travaux pour faire évoluer le label dans les mois à venir ?
P. N. – Les différents groupes de travail de la Smart Building Alliance (SBA) vont aboutir dans les prochains mois à la définition d’un ensemble de services. R2S-4 Mobility fait le lien entre immobilier et mobilité, avec des convergences liées à l’énergie, notamment les infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE) intégrées aux bâtiments. R2S-4 Care fixe le cadre de référence du Smart Hôpital, en mettant le numérique au service du bâtiment hospitalier et de ses usagers. R2S-4 Space vise à identifier, caractériser et promouvoir les services de gestion et optimisation des espaces, tirant parti de systèmes mutualisés et interopérables. Enfin, R2S-4 WellBeing s’emploie à faire du numérique un levier de bien-être au sein des espaces de travail.

La question de la confiance des acteurs de l’immobilier est au centre du sujet. Ce label est-il une condition pour créer de la confiance et engager de plus en plus d’acteurs dans des projets dits « Smart » ?
P. N. – C’est en cours et nous constatons une réelle demande. Sur le label R2S, la croissance a été de 100 % entre 2021 et 2022. Nous pouvons donc maintenant viser la massification. L’an dernier, nous avons décerné des trophées à certains projets vertueux en nous appuyant sur des retours d’expérience étayés. Je pense que la deuxième version du R2S va considérablement faire accélérer le mouvement.

Campus Early Makers Hub_(C)PCA Stream

Quelle est votre vision du bâtiment de 2050 ?
P. N. – Les sujets environnementaux et sociétaux doivent être pris à bras le corps. Une immense majorité des bâtiments de 2050 existe déjà, ce qui souligne encore une fois l’importance de la rénovation du parc. Les bâtiments qui vont être adaptés aux changements climatiques, minimiser leurs impacts et qui autorisent des modes de vie durables, répondront aux principaux enjeux.

Quels sont les principaux chantiers qui attendent Certivea cette année ?
P. N. – Le premier est la version HQE Bâtiment Durable pour les hôpitaux et établissements de santé. La version antérieure date de 2009. Le deuxième est la publication du référentiel HQE en anglais sur notre plateforme. Par ailleurs, nous adaptons les labels de performance énergétique et carbone, Effinergie et BBCA, pour suivre les dispositions prévues par la RE2020. Concernant le numérique, nous attendons les conclusions des différents groupes de travail liés à R2S, 4 Mobility, 4 Care, 4 Spaces et 4 WellBeing. Ces travaux touchent à leur fin. Enfin, nous continuons à faire connaître les certifications et labels et nous organisons pour cela des événements dans les six capitales régionales.

Propos recueillis par Alexandre Arène

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