Le Plan de sobriété énergétique et son impact sur l’éclairage, expliqué et commenté par Bruno Lafitte, expert éclairage, Technologie de l’information et de la communication, ADEME,
et Lionel Brunet, délégué général du Syndicat de l’éclairage .
– Le Syndicat de l’éclairage est la première organisation professionnelle représentant les industriels, et a pour vocation d’affirmer la réalité et le dynamisme du marché français tant en éclairage intérieur qu’extérieur et dans toutes ses composantes : sources, luminaires, systèmes de gestion de l’éclairage. Il défend les intérêts des fabricants à un niveau national et européen auprès de l’administration, des organismes de la filière, des bureaux d’études, des concepteurs et noue des partenariats avec ces mêmes institutions.
Le Syndicat de l’éclairage représente 7 000 emplois en France. Il accompagne ses adhérents (plus de 50) dans leurs démarches de progrès et d’innovation. L’un de ses principaux axes de communication repose sur l’édition de brochures ou de guides, comme celui sur les espaces extérieurs ou encore celui sur les bâtiments tertiaires publiés avec l’ADEME.
– L’ADEME (agence de la transition écologique) participe à la construction de politiques nationales et locales de transition écologique. Pour cela, elle s’appuie sur des équipes présentes sur tout le territoire français et sur un budget dédié à ses moyens d’intervention. Ses missions, son organisation et son fonctionnement sont fixés par le Code de l’environnement. L’ADEME a pour vocation d’accélérer le passage vers une société plus sobre et solidaire, créatrice d’emplois, plus humaine et harmonieuse. Son siège social se trouve à Angers et elle comprend 3 sites pour les services centraux, à Angers, Paris et Valbonne ; 17 directions régionales (13 en métropole et 4 en outre-mer) ainsi que 3 représentations dans les territoires d’outre-mer (Polynésie, Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon).
Quels points du plan sobriété énergétique concernent l’éclairage ?
Lionel Brunet – Nous sommes tous très attentifs à ce plan, car le mot sobriété, dans son usage récent, revêt une dimension nationale et incitative. Nous pouvons nous réjouir de trouver dans ce plan de sobriété énergétique une référence à l’éclairage dans une page sur trois. Il présente deux ambitions : d’une part, une baisse de la consommation énergétique de 10 % dans les deux ans à venir – avec des mesures qui concernent la manière d’utiliser l’énergie – qui relève plus du comportemental qu’un recours à des investissements ; et d’autre part, on note la volonté d’écrêter, à court terme, les pics de consommation journaliers – dans la semaine et en hiver – qui sont, pour l’électricité, de 8 h à midi et de 18 h à 20 h. Dans la déclinaison de ce plan de sobriété, nous avons retenu trois mesures qui s’appliquent à l’éclairage. La mesure 8 s’adresse aux collectivités territoriales à qui il est demandé de réduire la consommation d’électricité liée à l’éclairage public (soit 30 % de la consommation totale électrique). La deuxième mesure (no 11) est relative aux entreprises, et plus particulièrement à la diminution de l’éclairage intérieur, notamment s’il n’y a personne, avec rappels du cadre réglementaire qui existait déjà.
La troisième mesure (no 12) vise les installations sportives, notamment les temps et durées d’éclairage, avant ou après les compétitions, qu’elles soient ou non télévisées avec un appel aux acteurs dans ce domaine. Ce plan de sobriété énergétique nous permet de gagner en visibilité lors de cette recherche d’efforts collectifs de toutes les parties prenantes. Encourageant : la Première ministre a même repris une des phrases du guide ADEME sur la rénovation de l’éclairage des bâtiments tertiaires : « Dans les bureaux, moderniser l’éclairage, l’associer à des automatismes de détection de présence et d’asservissement à la lumière du jour, c’est réduire immédiatement de 10 % la facture électrique globale. »
Bruno Lafitte – Du côté de l’ADEME, nous sommes également ravis que ce plan de sobriété soit porté – cela fait dix ans qu’on en parle ! –, mais attention, il faut que cette sobriété s’inscrive dans la durabilité. Ces bons gestes appris, ces bons comportements doivent perdurer au-delà de cet hiver, et de la crise énergétique. Les engagements vont assez loin, par exemple, le contrôle de l’éclairage arrive au premier plan (en intérieur comme en extérieur) et vise tous les secteurs : les bureaux ne sont pas les seuls concernés, puisque dans les commerces, le pilotage de l’éclairage en fonction de la fréquentation permettrait de réduire les consommations de 30 %. Dans l’industrie, il est préconisé de « généraliser l’usage des leds, parfois avec détection de présence et réduire, voire éteindre la nuit, l’éclairage des enseignes lumineuses et, sous réserve des contraintes de sécurité, celui des bâtiments ». Mentionnons aussi « l’État exemplaire », avec le déploiement de travaux à gains rapides sur les bâtiments de l’État et de ses opérateurs. Par exemple, le Louvre s’est engagé à éteindre la Pyramide à 23 h au lieu de 1 h du matin, et la façade du château de Versailles sera plongée dans la pénombre dès 22 h au lieu de 23 h. Par ailleurs, depuis le 7 octobre 2022, les publicités lumineuses sont interdites entre 1 h et 6 h du matin en France, à l’exception de celles du mobilier urbain affecté aux services de transport public, soit aéroports, gares, stations de métro ou de bus. L’obligation d’extinction de l’ensemble des publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain entrera en vigueur le 1er juin 2023. Enfin, je voudrais citer l’exemple de la Fédération nationale des cinémas français qui a annoncé un vaste plan de sobriété avec, entre autres, la diminution de l’éclairage en éteignant des enseignes des cinémas lorsqu’ils ne sont pas ouverts, et des salles d’un complexe lorsqu’elles ne sont pas occupées par des spectateurs, l’utilisation raisonnée de l’affichage dynamique.
Le pilotage de la led par le luminaire lui-même, c’est déjà une notion de sobriété automatique !” Lionel Brunet, Syndicat de l’éclairage
Ces mesures bénéficient-elles de plans de financement ?
Bruno Lafitte – Oui, l’État accompagne les collectivités en prolongeant notamment le programme Actee2 qui sera doté de 220 M€ afin de les aider à bâtir des projets sur l’éclairage public (Lum’acte). La création d’un fonds vert dédié à la transition écologique dans les territoires propose un soutien financier à hauteur de 3,2 Md€ pour les projets portés par les collectivités, dont 160 M€ pour la rénovation énergétique. Ce qui devrait faciliter le passage à l’éclairage led. Le plan de sobriété énergétique rappelle par ailleurs les aides déjà mises en place, dont le prêt vert économie d’énergie de l’ADEME et Bpifrance qui a pour objectif de cofinancer des programmes d’investissement de TPE, PME et d’entreprises de taille intermédiaire visant à maîtriser et diminuer leur impact environnemental.
Lionel Brunet – Malheureusement, la situation d’urgence a fait disparaître le contenu du plan de sobriété énergétique aux yeux du public. Ce dispositif très important a entraîné la mobilisation des acteurs concernés et permis de mettre en avant tous les aspects réglementaires existants, en les vulgarisant. C’est un rappel à l’ordre sur les priorités : notons qu’à peine 20 % du parc installé tant intérieur qu’extérieur mettent en œuvre des leds. Même si on se précipite sur des mesures du type extinction, il ne faut pas oublier le problème de fond : à savoir la rénovation de toutes les infrastructures de l’éclairage qui permet des gains immédiats, au moins 25 TWh. Pour sensibiliser les communes et les aider à trouver des réponses rationnelles, le Syndicat de l’éclairage, en partenariat avec l’association Les Eco Maires, a d’ailleurs publié un guide : 8 fausses idées sur l’éclairage. L’ouvrage fait la chasse aux idées reçues, dénonce les clichés et fait des propositions en matière de rénovation de l’éclairage public et privé conformes à l’objectif du gouvernement de réduire nos consommations d’énergie de 40 % d’ici à 2050.
N’est-ce pas là le lien avec la disparition annoncée des sources fluorescentes ?
Lionel Brunet – La fin de la fluorescence prévue en 2023 (février 2023 pour les fluocompactes, et août 2023 pour les T5 et T8) va toucher surtout les secteurs de l’éducation et de la santé. Je rappelle qu’il s’agit d’une interdiction de première mise sur le marché (et non d’usage) de ces produits car ils contiennent du mercure. Cela dit, l’impact d’une rénovation en led avec gestion de l’éclairage peut être significatif, car on diviserait par trois la puissance installée, les consommations, mais aussi la facture d’électricité, avec un éclairage très qualitatif. Autant le plan de sobriété vise le quantitatif, autant cette mesure revêt un enjeu de santé publique, de confort, de bien-être, de conditions de travail également, qui ne doit pas être oublié dans la recherche d’efficacité énergétique. L’éclairage s’adresse à des êtres humains qui ont des besoins différents, une sensibilité plus ou moins grande à la lumière, il faut donc garder à l’esprit cette diversité dans toute installation d’éclairage. La variété des offres des industriels permet de couvrir le spectre de la demande. De plus, le plan France Relance, qui permet d’accélérer les transformations écologique, industrielle et sociale du pays, propose des mesures concrètes à destination notamment des établissements de santé et d’enseignement (écoles, collèges et lycées). Le mouvement, déjà commencé, va sans doute connaître une accélération. Il faut faire comprendre à tous les décideurs que c’est une règle de bonne gestion que de choisir ces investissements.
Bruno Lafitte – Lionel Brunet a raison : le temps de retour sur investissement est très court dans les hôpitaux, sans commune mesure avec les bureaux car les durées d’allumage atteignent au moins 8 000 heures par an. Le gain énergétique sera d’autant plus sensible que le temps de retour sur investissement sera rapide. Un tel constat peut inciter les hôpitaux à rénover plus rapidement, encore faut-il qu’ils sachent quelles solutions mettre en œuvre et qu’ils aient confiance dans les produits afin d’offrir une qualité d’éclairage à la hauteur de leurs exigences. En ce qui concerne les établissements scolaires et les universités, plusieurs mesures ont été prises, notamment par la Caisse des dépôts et l’ADEME qui encourage, par exemple, l’intracting, dispositif de financement mis en place par un gestionnaire de patrimoine immobilier destiné à financer des actions d’efficacité énergétique, permettant ainsi de réduire les consommations de fluides. Tous ces indicateurs peuvent laisser penser que la rénovation en led ira plus vite que dans les bureaux ou qu’en éclairage extérieur.
Dans les nuisances lumineuses, la pollution n’est pas durable, elle est réversible” Bruno Lafitte, ADEME
Dans ce contexte, que répondez-vous aux collectivités qui, au nom de la sobriété énergétique, éteignent l’éclairage public ?
Lionel Brunet – Je réponds « pilotage » ! Quand nous avons présenté nos activités à RTE et CRE sur la capacité de pilotage des installations d’éclairage public, nous étions fort démunis pour donner des exemples, car seulement 1 ou 2 % d’entre elles sont pilotées à distance. Pourtant, la gestion constitue une garantie d’un comportement vertueux, en particulier si elle est réalisée à partir d’informations locales. Aujourd’hui, l’extinction des sources d’ancienne technologie (très énergivores) impacte leur durée de vie et finit par coûter plus cher à long terme que d’investir dans du matériel led, gradable et pilotable.
Peut-on dire que les trames noires s’inscrivent dans une démarche de sobriété énergétique ?
Bruno Lafitte – Je préfère parler de leur impact sur la pollution lumineuse, la faune, la flore et l’être humain. Il faut en effet essayer d’adopter un usage plus sobre de l’éclairage public pour répondre aux enjeux de préservation de la biodiversité. Les trames noires traduisent vraiment une démarche de sobriété lumineuse en s’interrogeant sur les usages de l’éclairage public.
Lionel Brunet – Le point de départ est effectivement un angle écologique : des corridors caractérisés par une obscurité, même si l’éclairage n’est qu’une des composantes des perturbations anthropiques. La réflexion des usages doit être faite localement, et les concepteurs lumière l’ont bien mise en oeuvre dans leurs études, en se posant la question de la nécessité et du comment. Aujourd’hui, on a la capacité technologique de répondre avec les solutions led pertinentes et adaptées à chaque usage. On a pu, concomitamment avec une demande sociétale, se poser les bonnes questions : comment produire mieux de la lumière pour s’en servir mieux, en passant par une analyse fine des usages. Il faut que les donneurs d’ordre nous demandent ces solutions : les industriels y sont favorables.
Bruno Lafitte – Le fournisseur de matériel doit être force de prescription et travailler avec les concepteurs lumière afin de proposer des trames noires, qui traduisent un usage raisonné et sobre de la lumière en extérieur.
Lionel Brunet – À ce propos, je voudrais apporter une précision : l’éclairage extérieur ne se limite pas, bien entendu, à l’éclairage public ; il ne faut pas oublier l’éclairage des entreprises ou des particuliers qui appartient au domaine privé. Ces derniers doivent également prendre conscience d’une réflexion d’un bon usage.
Cette réflexion sur les usages est donc un passage obligé pour moderniser l’éclairage ?
Lionel Brunet – Absolument, c’est sur la base du volontarisme que nous pourrons faire évoluer les pratiques, il n’est pas toujours nécessaire de légiférer pour avancer. Nous travaillons avec plusieurs organismes, comme l’ADEME, l’OFB (Organisme français de la biodiversité), l’AFE, etc., qui participent à ces réflexions. Et quand on se trouve dans un écosystème où l’on échange, il est plus facile de modifier les comportements, d’atteindre de nouveaux objectifs, de prendre en considération des problématiques d’autres parties prenantes. Et notre rôle à nous, industriels, c’est d’apporter des solutions.
Bruno Lafitte – Il est certain que tout ce travail de concertation que nous avons réussi à mettre en place avec autant d’associations professionnelles qui participent aux guides que nous publions depuis de nombreuses années, toute cette communication permet à la filière d’avancer vers des objectifs communs : lancer des opérations d’envergure, influer sur les textes réglementaires, mettre en avant la possibilité de faire des économies d’énergie avec une meilleure qualité d’éclairage tout en respectant l’environnement. Nous devons poursuivre cette coopération pour aller vers la mise en oeuvre concrète et effective de la rénovation de l’éclairage.
Lionel Brunet – Les utilisateurs, du secteur public ou privé, doivent y trouver leur compte sous les angles à la fois écologique, économique et financier.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud