La hausse brutale des coûts de l’énergie, voire les risques de coupure ou de délestage d’alimentation, le besoin d’adapter la gestion des locaux à de nouveaux besoins (occupation partielle, télétravail, nouveaux horaires), mais aussi le respect ou l’anticipation de nouvelles réglementations environnementales poussent les propriétaires et exploitants de bâtiments tertiaires ou commerciaux à mettre en place rapidement de nouveaux outils pour s’adapter à ces contraintes, et notamment des objets connectés.
Olivier Delepine, vice-président Buildings & Channels de Schneider Electric France, le confirme : « En France, le secteur du bâtiment représente 44 % de l’énergie consommée avec plus de 123 millions de tonnes de C02 émises annuellement, ce qui en fait l’un des secteurs stratégiques dans la lutte contre le réchauffement climatique. Réduire l’impact carbone des bâtiments existants comme construire des bâtiments neufs beaucoup moins énergivores est donc indispensable. Notre système énergétique est à ce jour extrêmement inefficace, puisque 60 % de l’énergie est gaspillée. C’est là que la technologie entre en scène : connecter nos installations, collecter les données au cœur du bâtiment nous permet d’agir à la source et de gérer intelligemment ses consommations. L’électricité 4.0 rend visible l’invisible pour nous permettre de faire état sur la situation de notre bâtiment et de prendre des décisions en temps réel au travers de logiciels. Le cadre réglementaire se durcit en matière de décarbonation. Le report à fin 2022 de l’obligation d’information du décret tertiaire ne doit absolument pas sous-entendre que nous pouvons être attentistes !
Avec un taux de renouvellement des bâtiments anciens par des bâtiments neufs inférieur à 1 % par an, c’est bien la rénovation du parc existant (résidentiels, tertiaires publics) qui doit nous animer et accélérer massivement. »
De nouvelles réglementations poussent à agir rapidement
Deux décrets concernent particulièrement les bâtiments tertiaires pour diminuer fortement leur consommation d’énergie tout en garantissant le confort des usagers : le décret Tertiaire et le décret BACS.
Le décret Tertiaire précise les modalités d’application de l’article 175 de la loi ELAN concernant la réduction des consommations des bâtiments tertiaires d’une surface supérieure à 1 000 m2 pour lesquels les assujettis devront réduire leur consommation d’énergie de 40 % en 2030 à 60 % en 2050 par rapport à une année de référence postérieure à 2010. Parmi les actions à mettre en place, les exploitants devront installer des équipements CVC performants, mais aussi des dispositifs de contrôle et d’automatisation performants. Cette installation doit suivre les préconisations du décret BACS 2020-887 de juillet 2020. Ce décret prévoit pour tous les bâtiments dont la puissance nominale dépasse 290 kW l’installation de systèmes d’automatisation et de contrôle (GTB) efficaces. Olivier Delepine explique : « Seulement 6 % du parc tertiaire en France est équipé d’un système de GTB (gestion technique du bâtiment). Dont 70 % ne sont pas en état de fonctionnement ! Or on sait que ces “sortes de cerveaux informatiques gérant les consommations d’énergie d’un bâtiment” permettraient de diminuer ces consommations de 120 kWh par mètre carré et par an pour un bâtiment équipé. Ces solutions existent : nous devons œuvrer pour un déploiement massif en France, un pays très tertiaire qui a énormément de bureaux, afin de répondre aux crises énergétiques et climatiques ».
L’IoT, pilier de la digitalisation des bâtiments
L’IoT, véritable écosystème d’appareils connectés, de capteurs, va permettre de créer des réseaux interopérables et intelligents en connectant des systèmes électriques, électromécaniques ou mécaniques. Les données générées par ces produits connectés seront analysées, traitées et combinées pour fournir des données, des analyses et mettre en réseau le chauffage-ventilation-climatisation (CVC), l’éclairage, la sécurité et le contrôle d’accès ou des dispositifs de commande (capteurs, compteurs, actionneurs). Cela permettra de contrôler les équipements, de détecter une panne ou un fonctionnement anormal, de contrôler la qualité de l’air ou encore d’optimiser les contrats avec les fournisseurs d’énergie.
Mais Frank Fischer, PDG d’Adeunis, une société spécialiste des capteurs et solutions connectées d’IoT, souligne : « La première chose à faire avant de piloter ses consommations, c’est de comprendre comment fonctionne le bâtiment. Il faut analyser les consommations en fonction de l’usage du bâtiment. C’est le point de départ. L’IoT permet ainsi de déployer une solution complète, rapide à mettre en place et peu onéreuse pour analyser ce fonctionnement. Pour donner quelques exemples, l’IoT va permettre de suivre les consommations d’énergie (gaz, électricité, eau, thermique), d’analyser la température, l’humidité, le CO2, la luminosité présents dans une pièce ou encore de suivre le bon fonctionnement d’un système de ventilation. Ces données sont collectées par les capteurs IoT puis analysées. Dans un premier temps, un système d’alertes va permettre d’agir rapidement en cas de surconsommations (souvent synonyme de fuite) ou de consommations dites anormales (exemple : bâtiment fermé pendant les vacances où l’on détecte des lumières allumées). Dans un second temps, l’analyse et l’agrégation des données remontées permettront de mettre en évidence les postes de consommation les plus importants et de définir des plans d’action, qui peuvent être de différentes natures, comme :
- la sensibilisation des usagers du bâtiment pour un meilleur usage des équipements,
- le pilotage des équipements, notamment au travers d’une GTB.
Les capteurs sont déclarés et associés à un réseau IoT public ou privé. Ils émettent, de façon périodique ou sur dépassements de seuils, des informations et/ou des alertes. Ces données transitent à travers les réseaux sans fil IoT et sont mises à disposition, après décodage, sur les plateformes de nos clients (visualisation, GTB, supervision, ERP) ou de nos partenaires éditeurs de solutions métier.
Pour simplifier l’intégration de ces données, Adeunis met également à disposition de ses clients des plateformes intermédiaires (middleware) permettant la gestion du patrimoine de capteurs, leur mise à jour et le décodage des données. »
Le Smart Metering pour collecter toutes ces données à distance
La télérelève ou Smart Metering désigne un dispositif de collecte à distance de données recueillies via des capteurs IoT ou des compteurs intelligents.
« Avoir une parfaite maîtrise de ses consommations (gaz, électricité, chauffage, etc.) et évaluer le potentiel d’économies à réaliser n’est pas une mince affaire. Si les entreprises du tertiaire et collectivités ont l’ambition de mettre en place un système leur permettant d’atteindre leurs objectifs en matière d’efficacité énergétique, certaines ne savent pas comment s’y prendre. Et l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation du décret Tertiaire – imposant aux bâtiments de plus de 1 000 m2 de réduire leur consommation énergétique de plus de 40 % d’ici à 2030 a clairement accéléré le processus ! Désormais, avec le dispositif de “smart metering” plus communément appelé télérelève, nous facilitons la collecte de données à distance et permettons une gestion énergétique plus vertueuse, explique Julien Meriaudeau, cofondateur d’Ubigreen. Que ce soit pour des bureaux, un hôpital ou une université, la télérelève permet d’éviter un déplacement physique d’un technicien et d’effectuer à distance un relevé des consommations des usages à intervalles réguliers, voire en temps réel. Pour le gestionnaire de réseau, elle permet une gestion à distance (réduction de la puissance, coupure, gestion de la demande, gestion des structures tarifaires). »
Des capteurs IoT et des solutions GTB pour tous les besoins du bâtiment
La réduction de la consommation énergétique des bâtiments va donc être un objectif prioritaire pour tous les investisseurs et propriétaires de bâtiments pour les années qui viennent. Les solutions de capteurs et de systèmes GTB performants et adaptés pour ces nouveaux besoins et contraintes se développent pour répondre aux exigences de tous les types de bâtiments : bureaux, hôpitaux, universités, bâtiments administratifs…
Pour le contrôle des CVCA, de l’éclairage ou des stores, Distech Controls propose une approche unifiée avec les contrôleurs de la série ECLYPSE, associés à ECLYPSE Designer, interface web HTML de conception et de visualisation graphique. Ces contrôleurs ECLYPSE proposent une interface API RESTful pour faciliter l’échange et l’exploitation des données.
« Avec l’interface API RESTful documentée de Distech Controls, l’utilisateur peut accéder efficacement aux données du contrôleur pour créer des applications personnalisées ou améliorer les applications existantes, tableaux de bord et outils d’analyse pour offrir des services adaptés à l’utilisation du bâtiment. L’interface web de conception et de visualisation graphique intégrée dans les contrôleurs ECLYPSE permet de proposer de manière simple et rapide des interfaces personnalisées, ergonomiques et esthétiques, pour avoir une vue d’ensemble des systèmes de contrôle de pièce, de locaux technique ou d’équipement. Les pages ainsi créées sont accessibles sur site ou à distance, à partir de n’importe quel appareil connecté (browser web HTML5) », explique Sarah-Jane Demolliere, Marketing Solutions Manager chez Distech Controls.
Phoenix Contact offre aujourd’hui une large gamme d’outils pour mesurer et suivre les consommations d’énergie avec des centrales de mesure offrant des interfaces de communication modernes telles que Profinet et EtherNet/IP, pour un raccordement direct à l’automate ou à un logiciel de bureautique comme Excel via une API REST, des compteurs d’énergie homologués MID pour la refacturation d’électricité ainsi que des convertisseurs de tension lorsque celle-ci est supérieure à 690 V. Une offre qui vient d’être complétée pour le tertiaire par deux nouveaux compteurs d’énergie homologués MID. Ces nouveaux compteurs EEM-DM357-70 et EEM-AM157-70 permettent une mesure de l’énergie dans les environnements les plus exigeants avec une température de service allant jusqu’à 70 °C, idéale pour la chaufferie ou la borne de recharge pour véhicule électrique. Le premier permet un suivi sur les réseaux triphasés tandis que le second est adapté aux réseaux monophasés. L’ensemble de ces outils est complété par un logiciel de gestion de l’énergie EMMA hébergé dans le Cloud.
Schneider Electric a développé un écosystème complet, EcoStruxure Building, composé de produits connectés, de logiciels, d’applications et de services. Trois nouvelles offres sont proposées en 2022 : EcoStruxure Building Operation 2022 ; les capteurs SpaceLogic Insight-Sensor, un capteur avancé six-en-un pour le comptage des personnes, la détection de l’occupation, la luminosité, le niveau de bruit, la température et l’hygrométrie et la suite de services de gestion des bâtiments ; EcoStruxure Building Advisor avec de nouvelles fonctionnalités.
« Le logiciel EcoStruxure Building Operation intègre de manière transparente les systèmes natifs et tiers de gestion de l’énergie, de l’éclairage, du CVC, de la sécurité incendie, de la sécurité et du lieu de travail, tout en tirant parti de la numérisation et du big data. Idéal pour les petits bâtiments ou les grandes entreprises complexes multisites, EcoStruxure Building Operation est à la pointe du secteur en matière de technologie et de capacités avancées de GTB. La version de nouvelle génération offre des performances encore plus rapides, avec une sécurité et une facilité d’entretien accrues. Vous pouvez effectuer une mise à niveau à partir de versions antérieures ou effectuer une transition en douceur à partir d’autres produits de GTB », explique Nathalie Champeaux, directrice marketing Digital Building de Schneider Electric France.
Schneider Electric donne l’exemple du site IntenCity, le nouveau siège grenoblois de la Direction de l’innovation de Schneider Electric depuis fin 2020. Sa conception permet de réduire les besoins énergétiques du site à seulement 37 kWh/m²/an, tous usages confondus, quand la moyenne européenne est de 330 kWh/m² par an dans les bâtiments tertiaires, soit neuf fois moins.
Des solutions pour l’amélioration du confort et de la satisfaction des occupants
Si l’objectif de réduction des consommations énergétiques des bâtiments reste prioritaire, celui-ci peut se conjuguer avec des objectifs d’amélioration du confort et de la qualité de vie au travail. Cela peut passer alors par le contrôle de l’éclairage, de la qualité de l’air ou de l’humidité associés à des capteurs de présence.
Ainsi, Adeunis a développé la solution IAMo, une agrégation de plusieurs types de capteurs (CO2, PM, COVT, température, humidité, luminosité, présence, suivi des systèmes de ventilation) permettant de déterminer de façon très précise la qualité de l’air dans un bâtiment. Ces capteurs sont associés à une plateforme dédiée qui permet d’agréger et d’enrichir les données relevées.
Frank Fischer confie : « Le résultat est une vision globale de l’ensemble des paramètres influant sur la qualité de l’air. Cela permet à nos clients d’alerter et surtout d’analyser et prévoir (affluence plus importante, forte occupation des salles, données météo…) des dégradations potentielles de la qualité de l’air. En fonction de ces éléments, ils vont pouvoir anticiper l’ajustement de la ventilation et du renouvellement de l’air, tout en limitant les consommations d’énergie.
Quand on sait que les équipements de climatisation-ventilation-chauffage et réfrigération sont les systèmes techniques les plus énergivores du bâtiment et représentent 30 à 40 % des consommations, on comprend aisément l’importance à donner au suivi de ces équipements et à l’optimisation de leur utilisation. Les principaux utilisateurs de IAMo sont les propriétaires et gestionnaires d’ERP (établissements recevant du public) qui sont dans l’obligation légale de suivre la qualité de l’air dans leurs bâtiments, et de mettre en œuvre des plans d’action permettant de conserver un niveau normatif. IAMo se déploie également dans les bâtiments tertiaires (bureaux) dans la mesure où, depuis la crise sanitaire, le suivi de la qualité de l’air est devenu un élément important pour le bien-être et la santé des salariés. Plusieurs études ont en effet montré qu’une mauvaise qualité de l’air était notamment synonyme de baisse de la concentration et donc de la productivité. »
B.E.G. a développé des détecteurs de présence, détecteurs de mouvement, capteurs et actionneurs pour contrôler l’éclairage, la température ambiante, la qualité de l’air, la ventilation et les volets roulants de manière entièrement automatique. « Ils peuvent ainsi contribuer à d’importantes économies d’énergie et à la sécurité lors de l’utilisation des bâtiments – sans que les utilisateurs aient à y penser dans la vie quotidienne, rappelle Benoît Henneton, responsable marketing et communication de B.E.G. France. Pour des pièces multiples, nous pouvons proposer d’utiliser un réseau DALI-LINK pour la gestion de l’éclairage en fonction de l’occupation et de l’apport de lumière naturelle. Cette installation sera contrôlable depuis n’importe quel smartphone, avec un paramétrage rapide de la ligne DALI et des possibilités simples d’extension de la zone de couverture. Le client final peut ensuite activer des scénarios standards et à tout moment en créer, en nommer et en sauvegarder de nouveaux. »
L’équipement des bâtiments anciens fait partie des priorités
Environ 85 % des bâtiments existants aujourd’hui existeront encore en 2050 et avec un taux de renouvellement de 1 % par an, il est donc important d’appliquer rapidement à ce parc immobilier les solutions et systèmes basés sur l’IoT en utilisant des capteurs et appareils connectés déjà largement disponibles. Contrairement aux systèmes plus anciens qui devaient être intégrés lors de la construction du bâtiment, la technologie « intelligente » permet d’ajouter de nouvelles solutions aux solutions de base avec une grande flexibilité.
Car pour Frank Fischer, « les solutions IoT sont particulièrement bien adaptées aux sites anciens ou aux bâtis existants, dans la mesure où elles ne nécessitent aucune installation d’infrastructures lourdes (type filaire, réseau Ethernet…). Il suffit de positionner les capteurs dans les pièces ou sur les équipements que l’on souhaite analyser, puis de les connecter au réseau.
Pour cela, on réalise une étude de couverture par les réseaux IoT, puis en fonction des résultats obtenus (et du cas d’usage traité), on définit le type de connexion à utiliser : un réseau public IoT existant (LoRa/Sigfox), un réseau privé ou un mixte des deux. Une fois les capteurs connectés, les données sont alors directement transmises. Pour exemple, sur le CHU de Grenoble, le déploiement d’une infrastructure en réseau privé avec des capteurs de température et de suivi des consommations d’eau a été réalisé en 48 heures ».
Le bâtiment, qu’il soit ancien ou nouveau, doit être intelligent et communicant afin de réduire ses empreintes carbone et énergétique. Il va devoir également s’adapter à l’offre de fourniture d’énergie en ajustant sa consommation (Smart Grid), à l’évolution rapide des besoins de ses utilisateurs et aux contraintes de sécurité.
Jean-Paul Beaudet