Charles Vicarini a très vite compris le potentiel de la lumière-matière, non pour offrir des mises en valeur tapageuses, mais au contraire pour accompagner le noctambule dans une transition lumineuse douce et attractive, qui est depuis longtemps à l’origine de tous ses projets.
Charles Vicarini, concepteur lumière, est diplômé de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg et de l’École nationale supérieure d’arts et métiers de Paris, spécialité arts et sciences. C’est à l’issue de ces formations et de ses rencontres avec d’autres étudiants ingénieurs et plasticiens qu’il s’intéresse à la lumière. Il arrive à l’éclairage au fur et à mesure de ses expérimentations et de ses échanges avec des enseignants et des intervenants. La formation aux Arts Décoratifs, pluridisciplinaire et transversale, lui permet de découvrir divers ateliers, céramique, verre, métal, bois, gravure, vidéo, sérigraphie, informatique, accédant ainsi à la connaissance de métiers et de savoir-faire très variés, mais c’est l’éclairage qui retient surtout son attention. Il décide alors de devenir concepteur lumière et fonde en 1997 le Studio Vicarini.
Vous êtes plasticien de formation, quel a été l’élément déclencheur qui a suscité votre intérêt pour la lumière en tant que matière ?
Charles Vicarini – À la fin de mes études d’arts appliqués, j’ai découvert par hasard la Cathédrale d’images des Baux-de-Provence – qu’on appelle aujourd’hui les Carrières de Lumières – où l’on peut admirer des projections d’images sur les parois d’anciennes carrières, synchronisées avec de la musique. C’est un lieu où s’exprime une matière assez brute, très blanche, et dans lequel on est également précipité dans le sombre et dans le noir. La découverte de cet espace animé de projections d’images, de couleurs et de sons m’avait complètement bouleversé. Alors que j’ignorais l’existence du métier de concepteur lumière, j’ai réalisé que l’on pouvait réinventer l’espace avec la lumière, le modifier sans que l’on ait besoin de l’aménager. Je me suis donc intéressé aux métiers de la lumière, notamment via l’ouvrage d’Henri Alekan Des lumières et des ombres, et j’ai adhéré rapidement à l’ACE (Association des concepteurs lumière et éclairagistes), ce qui me permet de rencontrer de nombreux professionnels. Mon premier projet était un travail de lumière et de signalétique pour le cinéma Pathé de la ville de Strasbourg. Il s’agissait déjà de se poser des questions de design et d’intégration des éclairages. Les aspects techniques sont venus dans un deuxième temps à la faveur du projet que Michel Chevallier, architecte à Strasbourg, m’a confié : qu’est-ce que je montre, quel sens je donne à ce qui est proposé et comment la conception lumière s’intègre-telle à l’aménagement des espaces publics ? Il s’agissait de la cité médiévale fortifiée de La Petite-Pierre, village du Bas-Rhin, construite sur un éperon rocheux. L’enjeu consistait à éclairer les circulations uniquement piétonnes dédiées à la promenade des touristes et habitants, c’est-à-dire les remparts, la place du château, le chemin de ronde. C’était une expérience très intéressante… qui a mis 10 ans à voir le jour ! En parallèle, j’ai suivi un stage de six mois à l’Opéra du Rhin au sein de l’équipe lumière qui m’a permis de compléter ma formation technique. C’est au cours de ce stage que j’ai réellement compris comment je souhaitais travailler la lumière, et que j’étais lié à la question de l’espace en tant qu’acteur, par opposition au « spectateur ».
Ensuite, j’ai réalisé un parcours nocturne « Au clair de vigne » qui conduisait d’un village jusqu’à une table d’orientation en pleine campagne. Je souhaitais aider les habitants à entrer doucement dans la nuit tout en les guidant dans l’obscurité pour qu’ils contemplent le paysage nocturne.
C’est donc sur le terrain que vous avez appris votre métier ?
Charles Vicarini – Au début, ce sont les rencontres autour de la lumière qui m’ont façonné : je pense en particulier à Yann Kersalé qui prônait une pratique plastique artistique ; je pense également aux Fêtes des Lumières à Lyon qui proposaient des expériences exploratoires, des interactions avec les habitants. J’ai en effet appris sur le tas : par le biais de la maîtrise d’œuvre et de la sous-traitance, par exemple avec Hervé Audibert, Atelier H.Audibert, qui venait du théâtre et dont la manière de travailler m’a mis à l’aise immédiatement. C’est avec lui que j’ai abordé les projets d’éclairage intérieur. L’approche est différente : on peut passer d’un travail d’intégration des appareils dans l’architecture à, au contraire, la mise en avant du luminaire avec la création d’un design spécifique, d’un objet lumineux qui crée une présence. Yves Adrien, de Coup d’Éclat, m’a également fait confiance en m’associant au chantier des berges du Rhône à Lyon. Il m’a offert l’opportunité d’aller jusqu’au bout d’un projet et de poser les bases solides de mon métier de concepteur lumière. En parallèle, j’ai collaboré avec la paysagiste Marion Talagrand, l’architecte Han Tümertekin, les agences de paysagistes DIGITALEpaysage, Phytolab.
Quelle est la singularité de Studio Vicarini aujourd’hui ?
Charles Vicarini – La question de la transition est notre ADN : comment passer de la lumière à l’obscurité. C’est plus compliqué qu’il n’y paraît car l’oeil doit s’adapter à la pénombre. Le pont de la Loire à Beaugency est sans doute le projet fondateur de cette démarche. Il n’a jamais été terminé, à mon grand regret, car j’aurais bien aimé l’inaugurer avec Pierre Bideau qui m’avait fait confiance sur ce chantier. Pour la première fois, un maître d’ouvrage croyait à la transition nocturne. J’ai concrétisé le passage de la lumière à l’obscurité dans l’espace public par la couleur, la gradation, le graphisme. Plus tard, la place du Commando à Saint-Nazaire s’est aussi inscrite dans cette réflexion ; là, un dégradé chromatique permet de rentrer dans la nuit avec beaucoup d’attrait et de douceur. Encore une fois, je me laisse guider par la question « qu’est-ce que je vois et qu’est-ce que je donne à voir ? ».
Comment décririez-vous le métier de concepteur lumière en 2022 ?
Charles Vicarini – Il s’agit de concevoir la lumière dans notre environnement architectural, urbain. C’est un travail qui est toujours transversal et pluridisciplinaire, qui a besoin encore d’acquérir une certaine autonomie. Aujourd’hui, les concepteurs lumière apportent une compétence dans un domaine précis au sein de projets pluridisciplinaires et sont de plus en plus souvent sous-traitants, co-traitants et moins mandataires. Nous nous efforçons d’expliquer et de développer le concept de trame noire, tout en gardant à l’esprit les besoins des élus, le confort des usagers, la nécessité de faire des économies, et en tenant compte de la faune et de la flore. Nous travaillons en ce moment pour la ville de Dunkerque sur le schéma de cohérence d’aménagement nocturne. Nous avons sensibilisé les élus à un certain nombre de choses : moins éclairer les circulations automobiles, offrir une lumière plus apaisée, créer du bien-être pour les piétons. Nous devons continuer à mettre les villes en scène et saisir l’occasion, lors de rénovations de l’éclairage, de faire autrement, d’en profiter pour renouveler la fonction de la lumière. Par exemple à Dunkerque, aujourd’hui, la voiture n’est plus intégrée de la même façon dans les projets urbains, ce qui nous a conduits à supprimer pas mal d’éclairage sur la voirie au profit des abords. La conception lumière constitue un medium très créatif : profitons de ce paradigme pour inventer d’autres paysages.