Le palais du Luxembourg, situé dans le 6e arrondissement de Paris, accueille le Sénat depuis 1799. En 1836, la salle sénatoriale, devenue trop petite, fut redessinée par l’architecte Alphonse de Gisors qui avança la façade du bâtiment de 31 m sur le jardin et aménagea ainsi un nouvel hémicycle, reconstruit après un incendie en 1859. La salle des séances a subi bien des transformations en ce qui concerne l’éclairage : sous le Second Empire, les lampes à gaz viennent remplacer, sous la forme de bras de lumière en bronze doré, les lampes à mouvements qui fonctionnaient avec de l’huile. En 1888, l’éclairage électrique succède aux lampes à gaz. Il est régulièrement amélioré au fil des progrès technologiques, mais les changements de lampes sont rendus compliqués par la hauteur de la salle, et les travaux d’entretien s’effectuent de façon aléatoire. Depuis quelques années, les sénateurs se plaignent de cette lumière blafarde issue des lampes aux iodures métalliques situées derrière la verrière au-dessus du grand hémicycle.
Ambiance chaude et température de couleur froide : des exigences contradictoires
En plus des iodures métalliques, l’éclairage du Sénat se composait de lampes fluorescentes sous la coupole et de projecteurs halogènes à découpe, installés on ne sait plus quand, pour révéler les détails architecturaux…
Le grand hémicycle offre des dimensions impressionnantes : 28 m de diamètre, 17 m de profondeur, et une vingtaine de mètres de hauteur tandis que le petit hémicycle, sous la coupole, a un diamètre de 9 m.
L’ensemble que constituent les tribunes du président et de l’orateur est en bois d’acajou habillé de bronze doré. Derrière, face aux sénateurs, se dressent sept statues de marbre monumentales, de gauche à droite quand on regarde le président : Turgot, contrôleur général des finances de Louis XVI, par Jean-François Legendre-Héral ; Aguesseau, chancelier de France, par Hippolyte Maindron ; L’Hôpital, surintendant des finances puis chancelier de France, par Achille Valois ; Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV, par Jean Baptiste Joseph De Bay ; Molé, président du parlement de Paris puis garde des Sceaux à l’époque de la Fronde ; Malesherbes, soutien de l’Encyclopédie et défenseur de Louis XVI lors de son procès ; Portalis, l’un des rédacteurs du Code civil, par Joseph Marius Ramus.
« Dans ce contexte, explique Christophe Luquet, concepteur lumière, Ombrages, nous devions répondre à plusieurs exigences, parfois antinomiques : assurer à la fois un bon confort visuel dans tout l’hémicycle du Sénat et apporter une ambiance générale plus chaude ; répondre à la demande du directeur de la photographie de la Chaîne parlementaire qui souhaitait bénéficier d’une température de couleur plus froide pour les prises de vue vidéo ainsi qu’un éclairage renforcé pour le président. Ajouté à cela, un niveau d’éclairement de 400 lux moyens était requis partout dans l’hémicycle avec une bonne uniformité et des éclairages horizontaux et verticaux cohérents. »
Là ne s’arrêtait pas le cahier des charges : il fallait aussi revoir complètement la mise en lumière, soit disparue, soit inexistante, des détails architecturaux tels que les peintures de Blondel de chaque côté de la voûte du petit hémicycle, les statues de Saint-Louis (par Augustin Dumont) et de Charlemagne (par Antoine Étex) de part et d’autre du grand hémicycle, les bustes en marbre de quatre maréchaux d’Empire disposés dans la partie supérieure de l’hémicycle, les quatre camaïeux au-dessus de l’entablement du grand hémicycle, et les trois médaillons peints par Théophile-Auguste Vauchelet. « Nous avons travaillé sur des technologies qui permettent de bénéficier de consommations plus faibles, poursuit Christophe Luquet, d’une durabilité plus importante car le facteur accessibilité constitue un élément important du projet, compte tenu de la hauteur à laquelle sont positionnés les luminaires. Et nous avons eu recours à des systèmes ajustables afin de pouvoir régler in situ les intensités et la température de couleur. »
Un état des lieux exhaustif
Compte tenu du fait que plusieurs décennies s’étaient écoulées sans que l’éclairage du Sénat ait connu de rénovation en profondeur, les concepteurs lumière ont procédé à un état des lieux précis afin de déterminer quels systèmes allaient être remplacés, améliorés ou ajoutés. L’analyse de l’existant a également répertorié les consommations et les puissances installées.
« Notre idée était de sublimer l’ambiance générale sans la dénaturer, précise Christophe Luquet, en faisant appel à des technologies récentes, mais en conservant les effets lumineux ; par exemple, nous avons repensé en détail l’éclairage de la coupole en agissant sur la température de couleur et les contrastes avec de nouvelles optiques. Cela a permis notamment de révéler les fresques de Vauchelet que l’on voyait à peine avec l’ancien éclairage. » Outre le recensement de tous les appareils et de leur positionnement ainsi que le relevé des consommations, les éclairagistes ont mesuré les éclairements horizontaux et verticaux, colorimétriques et de luminance de la verrière.
Cette analyse a conduit à définir un éclairage variable et modulable afin d’ajuster au mieux les effets au moment de l’installation des luminaires et de tenir compte à la fois des préférences des sénateurs et des exigences de captation des caméras.
Faire varier pour figer l’éclairage
« Il était indispensable, ajoute Christophe Luquet, de pouvoir jouer avec cette variation, notamment de température de couleur, et cette modularité afin de pouvoir choisir la meilleure réponse au moment des réglages. Les effets ne sont pas dynamiques, au contraire, l’ambiance lumineuse est figée. » Comme la maîtrise d’ouvrage imposait de conserver le réseau existant, le concepteur lumière a proposé de passer tous les luminaires en gestion Casambi. Les luminaires disposent chacun de son propre module relais qui les rend indépendants les uns des autres, tout en leur permettant de communiquer entre eux. L’emplacement des projecteurs, sur les grandes corniches, a été conservé, même si quelques adaptations se sont avérées nécessaires, notamment pour la coupole du Sénat : la ligne de luminaires, avec des modules de 300 mm, a été doublée, et la deuxième rangée s’allume en cas de panne, assurant ainsi la continuité de l’éclairage.
Des projecteurs cadreurs à gobos anamorphosés positionnés sur les corniches éclairent les statues, ainsi que les horloges avec baigneurs au-dessus des portes d’entrée et les médaillons. Deux types de projecteurs ont été utilisés pour les voûtes : avec une ouverture de 29° pour la naissance du médaillon et 49° en arrière-plan afin de créer une luminance de voile.
« De plus, nous avons renforcé l’éclairage du pupitre du président et de l’orateur à l’aide de quatre cadreurs supplémentaires, détaille Christophe Luquet, et avons opté pour des systèmes de filtre qui cassent la luminance tout en conservant l’éclairage vertical. »
L’ensemble de l’hémicycle du Sénat a été modélisé afin de déterminer le positionnement des 24 projecteurs placés derrière la verrière qui procurent l’éclairage général de la salle, et de trouver le juste équilibre entre les niveaux d’éclairement de 400 lux et les températures de couleur (3 000 K et 5 700 K dans chaque module).
La modélisation a permis de définir les faisceaux en fonction de la surface à éclairer (allant du plus intensif, soit 7°, au plus extensif, 49°). « Cet ajustement à la mise en service des intensités, des couleurs de lumière et des contrastes a pu se faire avec un arbitrage de toutes les parties présentes », conclut Christophe Luquet.
Isabelle Arnaud