Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2016, 3 % de l’électricité mondiale sont consommés par les datacenters et les estimations prévoient une part de 13 % d’ici à 2030. De plus en plus de datacenters se construisent aux quatre coins de la planète pour traiter, stocker, échanger de plus en plus de données. Selon le cabinet IDC qui étudie le marché des technologies de l’information, ils seront plus de 8 millions dans le monde en 2017, hébergeant plus de 45 millions de serveurs. Des serveurs qu’il faut alimenter en électricité avec des transformateurs, onduleurs, des groupes électrogènes de secours, mais surtout des serveurs qu’il faut refroidir. Et ce refroidissement consomme souvent 30 à 60 % de l’électricité entrant dans le centre suivant son âge et les technologies utilisées pour son refroidissement.
De l’utilisation des ressources naturelles pour le refroidissement à la récupération de chaleur
La première étape sera de moins consommer au niveau des applications, cela peut aller de l’utilisation de serveurs plus performants et moins énergivores, mais aussi d’arrêter certains équipements la nuit ou de faire la chasse aux serveurs « comateux » qui utilisent de l’énergie sans apporter de services. Des outils permettent de plus en plus d’identifier ces serveurs non utiles pour arriver à une utilisation efficace des ressources.
La deuxième étape pourra être d’utiliser des équipements et solutions d’alimentation sécurisée, de distribution électrique et de refroidissement plus performants et moins gourmands en énergie : onduleurs et transformateurs avec des rendements élevés sur toute la courbe de charge, équipements modulaires pour suivre la montée en charge du datacenter, et, pour le refroidissement, des solutions comme le free cooling ou l’utilisation d’une nappe phréatique.
Quand toutes ces solutions auront été envisagées ou mises en œuvre, la question pourra se poser de la récupération de la chaleur générée par le fonctionnement du datacenter. On parle alors de chaleur « fatale » rejetée dans l’air ou plus rarement dans l’eau (nappe ou rivière). La récupération/réutilisation de cette chaleur peut conduire à deux axes de valorisation qui peuvent être complémentaires : une valorisation interne pour répondre aux besoins de chaleur du site et/ou une valorisation externe pour répondre aux besoins d’autres entreprises, équipements collectifs (piscine, gymnase), zone industrielle ou commerciale.
Dans le premier cas, cela devra être pris en compte dans la conception du bâtiment ou de sa rénovation alors que pour une valorisation externe le passage par un réseau de chaleur sera probablement nécessaire.
Des réseaux de chaleur qui retrouvent leur intérêt
Ces réseaux créés pour produire et distribuer de la chaleur pour le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire à un ensemble de bâtiments s’étaient beaucoup développés dans les grandes agglomérations dans les années 1950 à 1970 avec l’installation de réseaux de chauffage urbains avant d’être concurrencés par des productions locales à partir des énergies fossiles ou d’électricité. Mais ces réseaux retrouvent un intérêt et se développent depuis quelques années avec la production de chaleur renouvelable (biomasse, géothermie, bois) et la récupération de chaleur fatale de process industriels ou numériques. Des solutions qui, avec l’envolée des prix des énergies fossiles et de l’électricité, deviennent compétitives. Et ces réseaux deviennent plus « intelligents » et communicants pour optimiser leur fonctionnement et gérer les fluctuations de la demande et plus verts en s’alimentant à partir de ces productions renouvelables ou en récupérant cette chaleur perdue des process. Des solutions qui vont dans le sens de la « Transition énergétique pour la croissance verte » et des actions engagées dans les territoires pour atteindre ses objectifs. Un fonds chaleur soutient depuis 2015 la récupération de la chaleur fatale : en 2015, 20 installations de récupération de chaleur fatale ont été soutenues par l’ADEME pour un montant de 7 M€ (les chiffres de 2016 ne sont pas connus). Les projets peuvent également être aidés par le dispositif des CEE – Certificats d’économies d’énergie.
Une des premières réalisations sur une grande échelle en France a été celle du Val d’Europe à Bailly-Romainvilliers (77), près de Disneyland Paris. La chaleur, issue du refroidissement d’un datacenter de 8 000 m2 situé à quelques centaines de mètres d’une centrale d’énergie et d’un réseau de chaleur exploité par Dalkia, est récupérée par deux échangeurs. Ces échangeurs fournissent une eau à 48 °C injectées dans le réseau. Une puissance maximale de 7,8 MW thermique peut être extraite du datacenter, avec au besoin l’apport d’une centrale au gaz naturel. Ce datacenter chauffe ainsi un centre aquatique et les bâtiments d’un parc d’entreprises. Ce centre aquatique a été implanté en face de la centrale d’énergie pour réduire les pertes. Cette récupération est rentable grâce à l’adéquation entre la chaleur récupérable dans le datacenter et la demande thermique de la ZAC.
Des universités chauffées par leurs centres informatiques
En 2015, l’Université de Bourgogne-UB a inauguré un datacenter de 675 m2 centralisant toutes les infrastructures informatiques du campus bourguignon. Anne-Laure Gremaud, responsable marketing de Jerlaure, concepteur du datacenter, explique : « Le besoin maximal de cette université pour chauffer ses bâtiments répartis sur 115 hectares atteint 12 MW. Le centre de données lui fournit toute l’année 0,5 à 0,8 MW. » Le datacenter a été installé près d’une chaufferie au gaz.
« L’ensemble de l’installation a duré une année, précise Anne-Laure Gremaud, et le retour sur investissement pour l’UB est rapide avec un amortissement au bout de 2 ans. »
Un exemple que devrait suivre l’Université de Strasbourg qui a confié à Jerlaure la conception et le suivi de la réalisation de son futur datacenter qui devrait ouvrir à mi-2018. Ce datacenter de 400 m2 va allier « geocooling » et récupération de chaleur : refroidissement par géothermie sur nappe avec deux puits de pompage et valorisation de la chaleur fatale dans un réseau de chauffage à haute température. Deux types de température sont distribués pour permettre l’utilisation de tous types d’équipements de refroidissement terminaux.
Des réalisations existent aussi à l’étranger telles que le datacenter d’Atos installé à Helsinki et qui, par son raccordement par PAC au réseau de chaleur de la ville, chauffe 4 500 logements. Apple, de son côté, investit dans la construction d’un méga-datacenter au Danemark (un investissement de 950 M$), alimenté intégralement en énergies renouvelables et dont la chaleur fatale sera récupérée pour être injectée dans un réseau de chaleur local.
Des opportunités mais aussi des freins et des réticences
Les réalisations restent peu nombreuses car, pour que le projet reste rentable alors que la mise en œuvre de cette récupération de chaleur va augmenter les investissements (CAPEX), il faut plusieurs conditions techniques qui ne sont pas toujours réunies :
- Consommateurs ayant des besoins de calories tout au long de l’année.
- Contrat à mettre en place avec les utilisateurs ou passage par l’exploitant d’un réseau de chaleur.
- Avoir un système de refroidissement compatible avec la solution de récupération, en particulier les réseaux à haute température.
Cette récupération devrait donc rester minoritaire, les exploitants préférant se concentrer sur l’utilisation d’énergies renouvelables ou la recherche d’une consommation minimale de leurs équipements (PUE le plus bas possible).
AVIS D’EXPERT
Matthieu Calès, directeur de l’activité Datacenter de Cap Ingelec
« Pour cette récupération, il n’y a pas de solution préconçue qui serait la meilleure, il faut étudier les possibilités techniques sans a priori. »
La plupart des clients nous demandent d’envisager une solution de récupération de chaleur lors des études d’un nouveau datacenter. Nous les prévenons alors que cela demande des solutions techniques spécifiques comme un récupérateur de chaleur, et nous ne proposons spontanément cette récupération que si, dans son environnement, il y a des utilisateurs potentiels (piscine, serres agricoles, réseau de chaleur…). Pour l’utilisation du chauffage de bureaux voisins, il y a une problématique d’échelle avec les bâtiments modernes qui consomment peu et de saisonnalité avec une utilisation de cette chaleur 6 mois par an alors que l’on fait des investissements techniques importants qui doivent être rentabilisés. Une étude de faisabilité va être faite pour comparer avec des solutions de forte réduction de cette chaleur fatale comme le free cooling.
Si l’on veut récupérer ces calories, il y a des solutions techniques au niveau d’un groupe de production d’eau glacée : on peut envoyer de l’eau à moins de 50° dans le réseau de chaleur. Mais, du fait des surcoûts, il faut vérifier qu’ils sont compensés par la vente de cette énergie. Cette eau à moins de 50° peut être utilisée dans des bâtiments bien isolés, sinon il faut remonter la température par des pompes à chaleur (PAC).
Parmi les freins, le free cooling tue souvent la récupération sur eau. Et les exploitants n’aiment pas toujours être liés par des contrats de revente et préfèrent avoir un bon PUE plutôt que d’investir davantage pour revendre de l’énergie. Une autre solution est de récupérer l’air chaud qui sort du datacenter pour des utilisations proches, éventuellement en ajoutant une PAC air/eau : cas d’un petit datacenter chauffant des bureaux voisins importants.
Ainsi les freins à la récupération sont économiques du fait du surcoût des installations de climatisation (groupes froid plus chers) qui consomment plus, ce qui nécessite une source de revenus constante. Les pouvoirs publics peuvent aussi inciter des services publics, universités, centres de recherche, à faire cette récupération.
Jean-Paul Beaudet