Vous définissez-vous comme un concepteur lumière qui porte un regard particulier sur l’architecture ou un architecte qui façonne la lumière ?
Vincent Thiesson – Lorsque j’ai créé mon agence ON en 2003, je n’étais pas obnubilé par la lumière et aujourd’hui, je déteste parler lumière quand j’aborde un projet ! Je m’intéresse en premier lieu à la problématique du projet architectural, paysager ou urbain. Je demande aux architectes, paysagistes et urbanistes quels sont les besoins et les contraintes. Et à partir de ce cahier des charges, je vois comment nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice. Le premier appel d’offres que j’ai gagné en tant qu’indépendant concernait le quartier Sainte- Catherine au Havre : j’ai tout de suite pensé à apporter un élément identitaire lumineux qui puisse faire référence auprès de tous les habitants. Lorsque nous avons travaillé sur les espaces extérieurs de la Part-Dieu à Lyon, l’AUC, urbaniste, architecte et mandataire de l’équipe, nous a demandé de définir la notion de sols faciles, un des fondamentaux de ce projet, afin de rendre plus aisés les déplacements. Au coeur du dialogue, nous parlions la même langue avec le même vocabulaire et les mêmes objectifs. La réflexion sur la lumière est venue dans un second temps. Nous sommes partis de l’usage du parvis : les voyageurs viennent de passer du temps dans le train et en sortant de la gare, ils ont envie de prendre l’air, de faire une pause. De là est née l’idée d’accessoiriser les mâts avec des tablettes, des miroirs, des porte-manteaux, etc., ce qui a permis de transformer le mât en véritable mobilier urbain adapté à d’autres usages que celui d’éclairage.
En quoi votre « signature lumière » est-elle reconnaissable ?
Vincent Thiesson – Ma formation à l’Ensa de Paris-Belleville a laissé son empreinte, j’en suis convaincu, notamment cet apprentissage de la spatialité qui constitue sans doute le marqueur de mon travail avec ce côté fonctionnalisme. Je ne me préoccupe pas de la notion de « beau », ou « pas beau », je crée des espaces avec la lumière et surtout je me mets à la place de l’usager. Viennent ensuite se greffer ce que j’appellerais des obsessions. C’est la technique qui vient me nourrir : par exemple, je ne voulais plus voir des taches lumineuses au sol, donc j’ai essayé de texturer la lumière comme sur les boulevards de l’Écusson à Nîmes.
Au début de la led, les produits, au lieu de se renouveler, recopiaient les designs d’anciennes technologies. Pour nous démarquer de ce processus, nous avons développé le « cactus », un mât qui peut recevoir jusqu’à 60 petits projecteurs ; résultat, de mât il est devenu objet lumineux. Nous l’avons décliné sur plusieurs projets, entre autres au pied de la tour Eiffel et récemment à Calais. Autre particularité de notre façon de travailler : nos conceptions lumière anticipent le devenir des projets afin de faciliter l’adaptation de la lumière aux futurs usages. C’est ce que nous faisons notamment pour les Jeux olympiques 2024. C’est tout l’enjeu de notre démarche : créer un environnement nocturne modulable et savoir rester frugal.
Peut-on considérer que cette lumière frugale participe à la préservation de l’obscurité ?
Vincent Thiesson – Collectivement, nous abordons tous depuis longtemps la notion d’obscurité, de pénombre et de ciels étoilés avant même que les termes de trame noire ne soient apparus. Pour ma part, je préfère parler de trame évolutive. Il s’agit d’éclairer des espaces qui ont besoin de lumière et présentent aussi d’importants enjeux environnementaux. Les leds nous ont permis de relever ces défis et de créer une lumière évolutive qui peut s’adapter aux usages, à la temporalité de la ville et à la biodiversité. Nous pouvons intervenir dans une finesse extrême, grâce à la télégestion, en préservant les ciels nocturnes, en maîtrisant les consommations, et répondre en même temps aux préoccupations des écologues et à celles des usagers. Tous les ans, j’organise une promenade nocturne dans le quartier de la Part-Dieu pour la Fête des lumières, et cette année, toute une zone était éteinte. Cela a été perçu comme quelque chose de très anxiogène par certains participants. Je pense que tout est question de nuance et fonction de l’usage. On pourrait imaginer que, dans certains contextes, les promeneurs décident eux-mêmes d’allumer au moment où ils passent, grâce à des boutons-poussoirs… Aujourd’hui, les concepteurs lumière sont plus écoutés et l’éclairage urbain est en pleine évolution.
Cela signifie que les différents acteurs portent un autre regard sur l’éclairage urbain ?
Vincent Thiesson – Oui, désormais, tout le monde est en ordre de bataille, même si ce n’est pas au même niveau : concepteurs lumière, industriels et même les politiques commencent à prendre conscience de l’importance de la biodiversité et du ciel nocturne. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services techniques, ce sont nos premiers interlocuteurs.
Le projet de Calais en est une parfaite illustration : c’est ensemble que nous avons pris le parti de laisser la mer et la plage dans l’obscurité, tandis que nous avons éclairé les promenades, les aires de jeu, les espaces récréatifs. Nous avons fait évoluer l’étude d’éclairage initiale afin d’intégrer de nouveaux critères pour préserver le ciel nocturne. Globalement, les mentalités évoluent : éteindre dans certains espaces pour préserver la biodiversité, alors qu’ailleurs on se concentre sur l’éclairage selon les usages, est quelque chose d’admis, comme le rôle que le concepteur lumière doit jouer dans l’aménagement nocturne des espaces extérieurs.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud
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