Reconduit en octobre dernier à la tête de la Fédération française des intégrateurs électriciens, Emmanuel Gravier représente et défend les intérêts des 6 800 entreprises adhérentes, soit la moitié des salariés et 50 % du chiffre d’affaires généré par le secteur. Le président de la FFIE commente pour Électricien+ les bons résultats 2021 de la filière, portée par un contexte législatif favorable, et les efforts nécessaires pour intégrer dans son offre les dernières innovations technologiques.
Les Rencontres FFIE qui devaient avoir lieu en janvier ont été reportées au 15 juin 2022 pour raisons sanitaires. Quels seront les thèmes phares de ces rencontres ?
Emmanuel Gravier – Nous avons effectivement été obligés de décaler nos rencontres, qui ont lieu tous les deux ans, car nous préférons les tenir en présentiel. Nous nous sommes interrogés pour la visio, et finalement, s’agissant d’un moment fort sur le plan prospectif et de l’animation de toute la fédération, nous avons préféré réunir environ 200 personnes, à la fois des adhérents et des personnes de la filière, qui ne se voient pas très souvent. C’est là que les intégrateurs apportent leur pierre à l’édifice et à la réflexion générale. Nous sommes fiers, les électriciens, les intégrateurs d’être à l’initiative de ces rencontres et de ce carrefour de réflexion, avec une projection sur l’avenir.
Les titres de ces rencontres sont Électricité et Digital, c’est-à-dire l’alliance entre l’électrification, qui contribue beaucoup à la décarbonation, et le digital, qui contribue à l’efficacité opérationnelle des entreprises et qui apporte plus d’intelligence dans l’énergie consommée. Il y a en permanence deux aspects concernant les innovations technologiques numériques : d’une part, le digital en tant que moyen d’être plus efficace avec les portables et autres technologies connectées, et d’autre part son intégration dans les installations électriques modernes, dans les bâtiments tertiaires ou les industries.
Or, aujourd’hui, le numérique est partout, ce n’est même plus un débat ou une tête de chapitre. L’idée de notre colloque, c’est l’électricité intelligente. Nous voulons surtout aborder l’installation intelligente, et insister auprès des adhérents sur le fait que nous avons de plus en plus d’enjeux télécoms de connectivité, d’interopérabilité, en dehors même d’apporter de l’énergie. Évidemment, derrière, il y a de la donnée, donc une transmission d’informations par rapport à l’énergie et la consommation énergétique classique. Découlant de cela, l’intégrateur d’aujourd’hui s’occupe de produire de l’énergie, avec du solaire, il s’occupe éventuellement de la stocker, avec l’hydrogène. Et il y a toujours besoin d’électricité, en dehors de tout autre aspect. Nous sommes au cœur de ce qui va se passer dans les années qui viennent.
Avant d’aborder l’avenir, parlons du présent : comment se porte économiquement le métier d’électricien ? Quels problèmes rencontrent vos entreprises adhérentes ?
Emmanuel Gravier – Le métier se porte bien, notamment parce qu’il y a cette « ambiance » de décarbonation – la RE2020, le décret tertiaire, le décret BACS… –, l’aspect décarbonation qui implique l’électrification de tous les procédés et processus. Nous avons des carnets de commandes qui se maintiennent, l’année 2021 a été bonne. Il y a bien sûr des problèmes d’approvisionnement qui commencent à peser un peu, y compris sur notre capacité à tenir les délais. Le problème n’est pas tant le prix que la disponibilité des produits, il commence à y avoir de vraies pénuries. Il y a aussi une tension sur le recrutement de personnel, notamment les études, et sur les personnes Bac+3, Bac+4.
L’application de la RE2020 a, selon vous, un effet positif sur les carnets de commandes. Le constat vaut-il pour toutes les régions ?
Emmanuel Gravier – Comme je l’ai dit, l’ambiance créée par la décarbonation, la RE2020, les décrets tertiaires et BACS nous portent beaucoup. Maintenant, il faut bien prendre la vague.
Il y a des territoires qui en profitent davantage que d’autres. Les grandes villes se portent bien, les périphéries des villes très agréables à vivre sur la façade ouest se portent bien aussi. Et il y a des territoires, par exemple en Bourgogne et dans le centre de la France, qui sont un peu moins en croissance.
La filière ne risque-t-elle pas de rencontrer des difficultés à répondre aux besoins du marché, faute de disposer parfois des bonnes compétences ?
Emmanuel Gravier – C’est un enjeu majeur qui va sans doute perturber certaines entreprises. On a un problème de « digestion » de toute cette formation et de toute cette technologie nouvelle, qu’il faut s’approprier. Certaines entreprises vont devoir faire une pause pour se réorienter, alors qu’elles ont de gros carnets de commandes. Elles ralentiront leur croissance, forcément. Je sens ce moment venir très vite.
D’autre part, la démographie de nos entreprises fait que beaucoup de collaborateurs partent à la retraite. Le remplacement n’est pas si simple, à la fois pour remplacer des personnes vraiment très compétentes sur l’électricité traditionnelle, et pour l’intégration de nouvelles technologies. Cela fait deux enjeux très forts pour ceux qui remplacent les équipes en train de partir. C’est compliqué… Mais la seule chose qui n’est pas compliquée, c’est que nous savons qu’il y a du boulot !
Cela pourrait d’ailleurs inciter des jeunes à venir dans le métier plutôt que de rester sur des filières saturées…
Emmanuel Gravier – Oui, chez nous, c’est sûr qu’il y a du potentiel ! À la fois pour entrer dans la filière, quel que soit le niveau, et pour évoluer. Il y a même de réelles possibilités d’évoluer assez vite, tant sur le plan compétence que salarial. C’est intéressant pour les jeunes.
Quelles sont les grandes tendances du métier que la FFIE voit comme des opportunités ?
Emmanuel Gravier – Nous sommes vraiment au cœur des évolutions sociétales. Il y a toujours besoin de spécialistes de l’électrification, tant pour apporter le courant que pour gérer la sécurité des installations. Mais à la FFIE, nos entreprises sont aussi à fond, par exemple, sur les bornes de recharge pour véhicules électriques, sur l’autoconsommation et sur tous les aspects énergétiques au sens global, bien sûr. Elles travaillent aussi sur la gestion technique du bâtiment intelligent : nous sommes concentrés sur l’utilisation et la gestion logicielle des capteurs, et sur la gestion logicielle du bâtiment au-delà de la GTB. Il y a un certain nombre d’aspects technologiques qui nous préoccupent fortement aujourd’hui, compte tenu des installations que nous réalisons.
Avec le stockage, la gestion technique des bâtiments, le smart building et le bâtiment intelligent connecté, le bâtiment qui parle… beaucoup de sujets sont couverts par les intégrateurs électriciens. Nous les traitons à travers des groupes de travail ou des commissions. Puis nous faisons un point régulier avec nos adhérents, via le conseil d’administration et les travaux qui sont faits par les commissions, et nous diffusons, ensuite, auprès de nos adhérents.
Comme beaucoup de métiers du bâtiment, les électriciens sont débordés. Comment faites-vous pour garder le lien et les sortir de leur quotidien pour les projeter dans l’avenir ?
Emmanuel Gravier – Durant toute l’année 2021, nous avons abordé les thèmes classiques. Sur la gestion technique du bâtiment, le PoE (Power over Ethernet) pour passer à la fois de l’énergie et de l’information par le même câble avec toute une installation haut de gamme, les bornes de recharge, l’autoconsommation… tous ces sujets-là, nous les abordons à distance. L’information est disponible sur notre site internet, les personnes qui veulent s’informer avec le site de la FFIE sont super bien informées ! C’est pour cela, d’ailleurs, que les rencontres physiques attirent actuellement moins de monde. La pandémie est passée par là. Avec les visios en 15 ou 30 minutes, il est vrai que vous appréhendez un sujet en évitant de prendre un train ou un avion.
À Paris par exemple, la FFIE a mis en place son Lab by FFIE, qui montre sur notre site les nouvelles techniques et nouvelles technologies d’installation. C’est vraiment intéressant. Pour les visites, nous accueillons de petits groupes venant de toute la France : ils viennent visiter ce Lab, cela nous permet de leur parler directement, de créer un moment de convivialité, et c’est surtout pour eux l’occasion de découvrir des sujets qui peuvent les intéresser. Nous créons ainsi de l’animation. C’est un enjeu majeur pour les années qui viennent de faire revenir les gens physiquement, alors que nous avons pris un certain confort à nous informer et à échanger à distance.
La FFIE pousse ses adhérents à avoir une véritable démarche marketing de l’offre, en s’appuyant notamment sur les apports du numérique. Vos initiatives sont-elles suivies d’effets ?
Emmanuel Gravier – C’est tout le problème de l’innovation technologique. C’est d’abord au chef d’entreprise de s’y intéresser, car il est aussi responsable du développement commercial. Nous pensons qu’il y a une opportunité pour l’intégrateur électricien à aller chercher de nouveaux marchés, en tout cas d’adapter son offre aux évolutions du marché. Sinon, ça se fera sans lui, et il aura un problème de chiffre d’affaires.
Suscitons le besoin, l’offre crée la demande. Si nous savons bien vendre nos capacités à faire mieux et à utiliser les nouvelles technologies dans nos installations (même lorsqu’elles sont simples…), nous gardons alors une valeur ajoutée et le client sera content de voir que nous avons apporté une solution à ses problèmes, sur une installation qui dure. Il y a l’installation, la maintenance, peut-être du service avec les capacités de traitement de données pour certaines installations…
Propos recueillis par David Le Souder