Les projets des architectes Valode et Pistre sont toujours guidés par une approche centrée sur l’humain – qu’il soit habitant, travailleur, visiteur ou passant –, par la fonctionnalité quotidienne et la qualité de confort et de
vie en général. L’architecture des projets a pour objectif de donner à chacun un sentiment de bien-être et de plaisir partagé dont la lumière est toujours complice.
Valode et Pistre intervient sur des immeubles de bureaux, des usines, des logements, des hôtels, des commerces, des universités, des hôpitaux, des parcs d’exposition… L’approche pluridisciplinaire de l’architecture est donc essentielle ?
Nous considérons que l’architecture se nourrit de tous les champs d’expertise, qu’il s’agisse d’ingénieurs de structures, de façades, de fluides, de stratégies environnementales, ou de questions historiques, culturelles. Le rôle de l’architecte est de proposer une création artistique qui intègre toutes ces données, y compris celles liées à la qualité de construction et au respect des budgets. Dans nos bureaux à Paris sont regroupées toutes les disciplines qui forment une sorte de ruche au sein de laquelle tout le monde échange en permanence pour la conception des projets. La lumière constitue bien évidemment un des éléments qui rentre dans cette synthèse. Dans certains pays, d’ailleurs, l’éclairage architectural peut même revêtir un caractère inattendu, social, voire politique, et surprenant. En Russie, par exemple, le permis de construire comprend un volet « lumière » très officiel : en effet, pour les fêtes nationales, le bâtiment doit être éclairé selon les couleurs du drapeau. En Chine, les bâtiments publics doivent quant à eux bénéficier d’un éclairage spécifique aux cérémonies officielles, en particulier aux inaugurations ! En France, la place de la lumière est plus subtile, mais non moins importante : au sein de notre agence, les chefs de projets définissent la stratégie générale du programme architectural, et à partir de là, chacun développe sa discipline. Ainsi, l’architecte impulse le concept lumière au travers de sa propre sensibilité, puis la partage avec les éclairagistes…
C’est-à-dire que vous faites systématiquement appel à des concepteurs lumière ?
En effet, nos architectes agissent comme des chefs d’orchestre et deviennent les interlocuteurs privilégiés des concepteurs lumière qui vont apporter leur expertise, comme Yann Kersalé, François Gaunand (Seulsoleil), Georges Berne, avec lesquels nous avons travaillé. Par exemple, en 1983, nous avons réhabilité l’Entrepôt Lainé à Bordeaux, édifié en 1824 pour protéger les denrées venant des colonies, et l’avons transformé en musée d’art contemporain. Nous avions pris le parti de rester dans l’ombre avec quelques balisages au sol et des gamelles industrielles inversées que nous avions créées avec Andrée Putman. Ce parti pris de l’ombre venait en contre-pied de toutes les théories de l’éclairage de l’époque en termes de scénographie des œuvres.
C’est à partir d’une stratégie architecturale globale que la lumière met en exergue la démarche d’origine ?
Oui, c’est dans ce sens qu’a été réalisée la mise en lumière de l’université d’Airbus à Toulouse. Airbus souhaitait que le bâtiment, destiné à la formation des cadres dirigeants du groupe, ait une identité très forte. Ainsi, les façades en aluminium matérialisent la représentation 3D des flux d’air des réacteurs en fonctionnement. Une multitude de points de lumière s’inscrivent dans ces grandes torsades d’aluminium, créant un effet complètement irréel. Ce concept lumineux, signé Yann Kersalé, met en scène l’identité même d’Airbus. Parti de notre modélisation, Yann a esquissé des croquis qui ont nourri nos échanges et ont conduit au projet définitif. Pour la tour Saint-Gobain, c’est le bâtiment lui-même qui apparaît comme un luminaire. Le travail sur l’éclairage intérieur, réalisé par l’agence 8’18’’, fait ici partie du geste architectural. La maîtrise d’ouvrage souhaitait un symbole fort pour son siège parisien. Nous avons donc créé une serre, dédiée aux réunions avec les clients, posée sur le corps du bâtiment ; de jour, le soleil joue sur les faces de verre haute performance tandis que de nuit, ce rhomboèdre rayonne comme une lanterne, transformant le bâtiment en objet lumineux.
Et en intérieur, comment abordez-vous le projet d’éclairage ?
Prenons l’exemple de nos propres bureaux situés au centre de Paris dans un bâtiment aux murs très épais. Souhaitant apporter un peu de légèreté à cette épaisseur, nous avions effectué plusieurs tentatives d’éclairage au fil des années. Puis, en réfléchissant avec Yann Kersalé, nous avons pensé à une solution qui donne l’impression que le soleil vient de partout ! Ainsi, Yann a imaginé un plafond lumineux constitué de morceaux de voiles de bateaux au travers desquels des rayons de lumière (issus de barrettes LED) partent dans tous les sens. C’est très réussi et spectaculaire ! Dans notre galerie des maquettes, d’une trentaine de mètres de long, nous ne souhaitions pas recréer une scénographie muséographique, car il s’agit plutôt d’un espace de rencontres de nos collaborateurs, de nos clients, où de nombreuses personnes se croisent, discutent, échangent ; un lieu de dialogues permanents et non un sujet d’extase. Nous avons insufflé l’idée de douceur qui enveloppe la galerie, et Yann a conçu cette lumière dorée, qui effleure les parois et les maquettes en laissant dans l’ombre les fauteuils sombres, et confère à cet immense espace une ambiance presque intimiste.
Les architectes doivent partager et expliquer leur vision du projet, et travailler ensuite avec les spécialistes : les éclairagistes ne sont pas que des metteurs en lumière, il faut les laisser jouer pleinement leur rôle de créateurs et de concepteurs.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud
Parcours…Jean Pistre obtient son diplôme d’architecte à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts en 1976. Il rencontre à cette occasion Denis Valode qui est enseignant depuis 1971. En 1974, il est lauréat du Programme Architecture Nouvelle. La même approche centrée sur l’humain et les conditions de vie guide les premiers projets réalisés en commun par Jean Pistre et Denis Valode, comme la rénovation de l’Entrepôt Lainé à Bordeaux pour installer le CAPC musée d’art contemporain. Il sera récompensé par la médaille d’argent de l’Académie d’architecture.Les lieux d’habitation et les espaces de travail sont les thèmes principaux des débuts de l’agence Valode et Pistre créée en 1980. L’agence est régulièrement récompensée : Quaternario Award, International Award for Innovative Technology in Architecture, Singapour ; médaille d’Architecture, Fondation Le Soufaché 1874 ; prix du Plus Bel Ouvrage de la Construction métallique. Valode et Pistre dispose de deux agences d’architecture, en Chine et en Russie, et compte plus de 200 collaborateurs. Jean Pistre est membre de l’Académie d’architecture depuis 2001 et chevalier des Arts et des Lettres. |