Julien Arnal, président du Syndicat de l’éclairage, et Gaël Obein, président de l’Association française de l’éclairage (AFE), nous confient leurs ambitions pour la filière, leurs priorités pour les années à venir et l’importance de se rassembler dès maintenant autour d’une feuille de route commune. Interview croisée.
L’Association française de l’éclairage (AFE), créée en 1930, constitue le point de rencontre de l’ensemble des acteurs de la filière éclairage. Elle accueille une grande diversité de membres : des collectivités locales, des maîtres d’œuvre, des concepteurs lumière, des syndicats, des fabricants de matériel d’éclairage, des chercheurs, des médecins… Son objectif est de promouvoir les meilleures pratiques de l’éclairage aussi bien auprès des spécialistes que du grand public, au travers de formations, de communiqués, de conférences, de comités scientifiques ou de guides techniques.
Le Syndicat de l’éclairage est le représentant et l’avocat des industriels, et a pour vocation d’affirmer clairement la réalité et le dynamisme du marché français. Il défend les intérêts des fabricants à un niveau national et européen auprès de l’administration, des organismes de la filière, des bureaux d’études, des concepteurs et noue des partenariats avec ces mêmes institutions sous l’égide de la FIEEC (Fédération des industries électriques, électroniques et de communication). Le Syndicat de l’éclairage représente 7 000 emplois en France. Il accompagne ses adhérents dans leurs démarches de progrès et d’innovation. Un de ses principaux axes de communication repose sur l’édition de brochures comme celle sur les luminaires UV-C, ou de guides comme celui sur les espaces extérieurs publié par l’ADEME et en partenariat avec huit organismes, dont l’Association française de l’éclairage.
L’éclairage a connu de formidables avancées ces dernières années. Quelles conséquences ont-elles eues sur l’ensemble de la filière ?
Julien Arnal – La technologie LED a fragmenté le marché en même temps que l’approche du projet d’éclairage a énormément changé, tandis que les produits se sont miniaturisés, le design a été repensé aussi bien en intérieur qu’en extérieur. Toutes ces avancées ont permis d’éclairer différemment, par exemple de jouer avec les vraies valeurs de l’optique, sans être bloqué sur une dimension de lampe et un réflecteur autour, ou avec les éclairages horizontaux et verticaux, les contrastes, ouvrant de nouvelles perspectives. Ainsi, le rôle du concepteur lumière a pris de plus en plus d’importance, apportant une autre dimension aux projets d’éclairage : en intérieur, les luminaires peuvent se fondre dans l’architecture ; en extérieur, l’ombre apporte autant que la lumière. Cette fragmentation, la rapidité des évolutions ces dernières années et cette complexification ont un peu fait perdre au marché la bonne compréhension et les bonnes pratiques. Il y a 15 ans, comprendre le fonctionnement des sources fluorescentes, au sodium, aux iodures, respecter les niveaux d’éclairement était relativement simple. Aujourd’hui, il faut continuer à éduquer le marché, l’ensemble des acteurs, sur le bon éclairage, la bonne technologie, afin que tout le monde comprenne les tenants et les aboutissants qui se démultiplient. Le travail au jour le jour pour maîtriser les bonnes pratiques, les bons usages et les bonnes technologies devient plus compliqué qu’avant et ne passe plus forcément au premier plan. Il faut pouvoir expliquer ce qu’il y a derrière chaque budget, sans faire d’élitisme, et justifier les choix technologiques tout en essayant de maintenir le niveau le plus haut possible. En effet, tandis que la technologie se complexifiait, la connaissance s’est dégradée. Charge à nous de repositionner le barycentre au bon endroit.
Ce sont des hommes et des femmes de la filière qui écrivent l’histoire de l’éclairage en partageant leur expertise” Gaël Obein, Association française de l’éclairage
Gaël Obein – La LED a en effet déferlé comme un tsunami. Nous traversons une période incroyable en termes d’ouverture des champs des possibles. On a tendance à penser qu’avec la LED, on a atteint des plafonds en matière d’efficacité énergétique, ce qui sans doute n’est pas loin de la réalité car on n’ira pas beaucoup plus haut que 200 lm/W. Du coup, nous pouvons nous focaliser sur la qualité d’éclairage. Aujourd’hui, des développements apparaissent dans des domaines comme la création d’ambiances, de scénarios, la modulation temporelle des flux et/ou des spectres, en intérieur comme en extérieur. Les scientifiques, les ingénieurs d’industrie, les concepteurs lumière, les designers avancent dans la recherche, innovent, définissent de nouvelles manières d’éclairer. Pour tirer un bénéfice de ce travail, il faudrait que tous les acteurs de la filière aient connaissance de ces avancées tout en maîtrisant parfaitement les bases de l’éclairage. L’amplitude de connaissances nécessaire pour éclairer juste s’est donc accentuée et il y a moins de monde à tous les étages à former. Il nous faut repenser la formation et toucher l’ensemble des électriciens pour leur donner des bases solides en photométrie, en vision, en culture générale sur les nouvelles possibilités en éclairage, et ainsi étoffer la base de la pyramide. Dans le même temps, nous devons mettre en place des formations spécialisées pour les ingénieurs en éclairage qui intègrent les dernières avancées théoriques et technologiques pour tirer la pyramide vers le haut. La tâche s’avère difficile car il faut de nouveaux enseignants, de nouveaux programmes, et ce, à tous les niveaux.
On a beaucoup parlé de l’impact de l’éclairage sur la santé. Que savons-nous aujourd’hui de ses effets sur notre moral (seasonal affective disorder ou troubles affectifs saisonniers) ou notre physiologie ?
Gaël Obein – Nous passons environ 80 % de notre temps à l’intérieur, c’est dire si l’éclairage joue un rôle important à chaque étape de la vie. Prenons les choses chronologiquement. Les nourrissons ont, naturellement, une faible acuité visuelle. On a commencé à établir le lien entre vision et motricité qui montre que, s’ils sont mal éclairés, les enfants risquent de prendre du retard. Par ailleurs, le cristallin des enfants est très transparent. Il faut porter une attention particulière aux spectres des LED utilisées dans les objets qu’ils manipulent, comme les jouets à LED bleue, par exemple. Et puis, des études sont en cours sur la prévalence de la myopie qui ne cesse d’augmenter, notamment chez les enfants et les adolescents. Le manque de lumière naturelle serait un des facteurs aggravants. Chez l’adulte, les risques relèvent de l’ergonomie : une personne mal éclairée va prendre une mauvaise posture, se sentir fatiguée. Un mauvais éclairage peut avoir des effets sur le rythme circadien et le perturber. Un mauvais IRC placé dans une salle de bains peut littéralement miner le moral. C’est quand même dommage quand on sait que des solutions faciles et bon marché existent.
Les conséquences d’un éclairage de mauvaise qualité chez les personnes âgées sont plus graves car elles voient moins bien. Leur acuité et leur vision des couleurs baissent à cause de la cataracte ou de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge). Un mauvais éclairage peut être à l’origine de chutes ou d’erreurs dans la prise des médicaments. À l’heure où la population vieillit et que le maintien des personnes âgées à domicile est un enjeu de société, il faut absolument anticiper. Il existe des solutions simples pour éviter les accidents et améliorer le bien-être. La lumière en fait partie. Les fabricants ont des solutions.
Notre priorité est de partager une feuille de route autour de laquelle nous serions tous rassemblés” Julien Arnal, Syndicat de l’éclairage
Julien Arnal – Gaël Obein l’a très bien expliqué : la rénovation de l’éclairage scolaire ne se résume pas uniquement à la rénovation énergétique. Il est essentiel en effet que, dès le plus jeune âge, l’enfant ait un accès à une lumière de qualité. La miniaturisation des produits doit pouvoir nous permettre d’accompagner l’enfant avec un éclairage adapté. De même, au bureau, le monde du travail a changé: il y a 30 ans, nos supports de travail étaient de plus grandes dimensions (documents papier, ordinateurs fixes imposants…) ; aujourd’hui, nos habitudes sont davantage à l’utilisation de petits écrans (portables ou smartphones), il est impératif que l’éclairage apporte du contraste autour de ces points de fixation. Nous devons travailler à la fois sur la santé et le bien-être, car la lumière artificielle, lorsqu’elle est bien étudiée, peut améliorer le bien-être, via la luminothérapie et l’utilisation de spectres spécifiques, par exemple. L’éclairage peut donc accompagner le cycle de la journée, aussi bien au bureau qu’à la maison à condition de faire appel à un spectre de qualité. Mais attention, le Human Centric Lighting ne se limite pas au simple changement de températures de couleur. Il s’agit aussi de fournir la juste lumière, d’utiliser les éclairages verticaux, d’étudier la façon dont la lumière va faciliter la compréhension des volumes, de jouer sur les intensités, les contrastes afin de créer des ambiances dynamiques, ou à l’inverse apaisantes.
Quelle est la situation de la filière dans cette après-crise sanitaire ?
Julien Arnal – Le Covid a eu pour conséquence de tout mettre à l’arrêt : mars, avril, mai 2020, le marché était à – 50 % en moyenne pour finir à – 25 % sur l’année. Les projets neufs ont de facto connu un fort ralentissement. Toutefois, nous avons réussi à œuvrer avec les pouvoirs publics afin que, dans le cadre du plan de relance, les actions dites à gains rapides, à savoir l’éclairage et la gestion, soient traitées en priorité car le temps de retour sur investissement est très court. Je pense que l’on s’est fait entendre pour que la rénovation compense a minima. Nous militons pour que l’éclairage soit considéré comme une valeur indépendante tant les technologies à disposition offrent des économies d’énergie importantes et des retours sur investissement courts, permettant même de financer d’autres postes aux budgets plus conséquents tels que la thermique par exemple. Le marché a donc redémarré depuis fin 2020 mais l’industrie peine encore à repartir. En effet, nous subissons de plein fouet les conséquences à retardement de cette pandémie, eu égard aux difficultés d’approvisionnement en matières premières au premier semestre 2021 et depuis cet été, du fait de la forte pénurie, durable de surcroît, des composants électroniques. Le retour à la normale ne pourrait se faire que fin 2023. Les 6 milliards d’euros alloués à l’électronique et à la robotique dans le plan France 2030 ne sont pas du tout anodins et sont surtout totalement nécessaires. En attendant, il est primordial que l’État nous accompagne dans cette crise industrielle. On parle d’un marché encore une fois extrêmement morcelé et varié, avec des entreprises qui ont eu recours aux prêts garantis par l’État pendant la pandémie et qui doivent faire face désormais à des difficultés inédites d’approvisionnement, et donc de facturation. La situation devient très préoccupante pour les petites et moyennes structures. La réindustrialisation de notre filière en France et la sauvegarde des emplois sont essentielles et doivent contribuer aux enjeux climatiques et donc à la rénovation énergétique, aussi bien des bâtiments que de l’éclairage public.
Gaël Obein – Je pense que la crise a rebattu les cartes dans l’industrie. Notre dépendance à l’Asie nous a sauté à la figure et la relocalisation sera une des conséquences de la crise sanitaire. L’Association française de l’éclairage s’en remet au Syndicat de l’éclairage, qui détient les réponses à ces questions.
Nous partageons les mêmes objectifs pour faire évoluer la lumière”
Gaël Obein, Association française de l’éclairage
Quels sont, aujourd’hui les enjeux de l’éclairage ? En intérieur et en extérieur.
Gaël Obein – En intérieur, l’objectif consiste à faire prendre conscience au public et aux travailleurs du tertiaire que l’éclairage est important pour leur confort, leur santé, au même titre que le maintien de la température, la propreté. Un problème de chauffage survient, c’est la catastrophe ! Un éclairage défectueux, ce n’est pas grave ! Pourtant, ça l’est sur le long terme. On dispose de solutions qui permettent de mieux éclairer, d’améliorer le confort, d’apporter du bien-être, les technologies sont disponibles.
Pour l’extérieur, c’est différent, car je ne pense pas que les réponses soient aussi claires. Il faut trouver le bon équilibre entre le sentiment de sécurité lié à l’éclairage public, les économies d’énergie et les effets délétères de l’éclairage sur la biodiversité. L’enjeu se situe au cœur de ce triptyque : sécurité, énergie, environnement. L’équilibre est difficile à atteindre parce que les débats sont passionnels, conflictuels et souvent peu étayés scientifiquement. Je pense qu’il faut agir différemment. Bien sûr, il y a une urgence. Mais avant de prendre des décisions à l’emporte-pièce, il faut donner aux chercheurs les moyens de conduire des études pour comprendre les attentes de la population en termes de sentiment de sécurité, pour mesurer l’effet de la lumière sur la biodiversité, pour tracer le chemin vers les objectifs de sobriété et de réduction du réchauffement climatique. C’est le chemin préalable à emprunter afin de réviser les textes normatifs qui sont datés et écrire des recommandations qui seront solides, consensuelles et adaptées aux objectifs. Alors, nous pourrons laisser les industriels faire évoluer ou développer leur production afin de respecter ce nouveau point d’équilibre. Ils ont l’inventivité, la technologie et la motivation. Ils proposent déjà des outils – abaissement du niveau de l’éclairage, allumage et extinction automatiques, détection de présence –, utilisons-les !
Julien Arnal – Nous devons effectivement trouver un compromis entre la sécurité, les économies d’énergie mais aussi l’environnement et la biodiversité. Aujourd’hui, en termes d’économies d’énergie, les dispositifs existants permettent de diviser la facture par 5 lors de rénovations. En remplaçant tout l’éclairage public actuel par un dispositif LED moderne, on pourrait économiser Fessenheim ! Pour les projets de mise en lumière ou les schémas directeurs, nous avons la chance d’avoir les concepteurs lumière impliqués. Dans leurs projets, ils font autant appel aux ombres qu’à la lumière, ils savent utiliser les spectres adéquats pour respecter la biodiversité, ils créent des ambiances, font appel à des systèmes de pilotage, etc. La technologie des industriels à disposition, des acteurs engagés et compétents, une connaissance tout à fait claire des enjeux (réduction de la pollution lumineuse, respect de la biodiversité, maintien de la sécurité et économies d’énergie) nous permettent donc de pouvoir rendre vertueux l’éclairage public, mais certains tentent encore de nous faire passer pour de mauvais élèves. En quoi se targuer d’avoir éteint l’éclairage public peut-il être constructif ? Ce n’est vraiment pas une solution ni à court ni à moyen terme et cela ne résout pas les problèmes de sécurité. Les collectivités doivent mettre au cœur de leurs débats la rénovation de leur parc tout en maîtrisant le triptyque évoqué par Gaël Obein. Les détracteurs sont plus audibles que les acteurs et pourtant nous disposons des ingrédients, charge à nous de flécher la rénovation du parc extérieur. Attention toutefois aux propositions que l’on voit fleurir de changer son éclairage public pour 1 euro… fuyez-les !
En intérieur, le Syndicat a alerté les pouvoirs publics sur la RE2020 dans le cadre des projets neufs : c’est d’une obsolescence absolue ! Il est regrettable que ni l’Association française de l’éclairage ni le Syndicat n’aient été consultés de manière proactive. Les ébauches de textes sont des copiés/collés de ce qui était prescrit il y a 10 ou 15 ans. Les projets neufs sont moins bien encadrés que la rénovation ! Je pense aussi que les missions des comités SSCT(1) et de la médecine du travail devraient se pencher sur l’éclairage au même titre que la sécurité. Imaginons que l’éclairage soit traité de la même manière que le chauffage, le commun des mortels prendrait conscience de son importance : si l’éclairage est considéré comme un point essentiel au travail, alors il l’est également à la maison et dans tous les espaces de vie.
Nous travaillons d’ores et déjà à créer une certaine unité au sein de la filière”
Julien Arnal, Syndicat de l’éclairage
Outre les guides comme celui qui vient de paraître sur l’éclairage extérieur et publié avec l’ADEME, avez-vous prévu d’autres actions collaboratives entre vos deux organismes ou d’autres ?
Julien Arnal – Nous travaillons d’ores et déjà à créer une certaine unité au sein de la filière. Il est évident que fragmentés, nous sommes toujours moins forts qu’unis et surtout finalement pas suffisamment audibles. La priorité est véritablement d’arriver à partager une feuille de route autour de laquelle nous serions rassemblés. Nous sommes en train de créer un espace collaboratif qui regroupe les président(e)s et directeur(trice)s de l’Association française de l’éclairage, du Syndicat de l’éclairage, du Cluster Lumière, du GIL et de l’Association des concepteurs lumière et éclairagistes (ACE). Cet espace nous permettra de débattre de sujets qui nous touchent tous et de bénéficier d’une vision commune et complémentaire. Ensemble, nous pouvons œuvrer pour une lumière équitable pour tous avec une dimension environnementale, sociétale, éducative et pédagogique. Toutes ces réflexions contribuent à l’essor de la filière, à développer les bonnes pratiques et nous pourrons, ainsi, mieux nous faire entendre et être dans l’action plutôt que dans la proactivité.
Gaël Obein – Nous avons sans aucun doute beaucoup de points communs, et cette interview croisée montre bien que nous partageons les mêmes objectifs pour faire évoluer la lumière et soutenir des actions tant au niveau sociétal que réglementaire. Notre complémentarité nous permet d’exploiter les compétences de chacun. Ce sont des hommes et des femmes de la filière qui écrivent l’histoire de l’éclairage en partageant leur expertise.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud
(1) Santé, sécurité et conditions de travail.