C’est à sa création, en 1825, que la Maison Joseph Perrier s’installe dans les galeries gallo-romaines de Châlons-en-Champagne. À l’époque, elles étaient éclairées à la bougie, puis différents dispositifs d’éclairage se sont succédé. En 2005, Emeric Thiénot, concepteur lumière, Lumesens, réalise une première étude pour rénover l’installation. Mais ce n’est qu’en 2019 que la Maison Joseph Perrier donne carte blanche, ou plutôt « carte noire » à l’éclairagiste, qui a reçu pour cette réalisation le prix de l’ACEtylène de la conception lumière intérieure 2020.
Les caves de la Maison Joseph Perrier sont creusées dans les anciennes crayères galloromaines à flanc de la colline, elles ont la particularité d’être de plain-pied. Leur nature calcaire des caves permet de créer la température modérée nécessaire à une conservation optimale, renforcée par la ventilation naturelle des essorts. En 2018, la Maison Joseph Perrier décide de réhabiliter l’ensemble de son circuit visite des caves, et de créer des salles d’exposition, une boutique, une réception, des bureaux, et de rénover l’aménagement de la cour agrémentée de jardins. La mise en lumière invite le visiteur à déambuler à travers le dédale des galeries. Sa vision doit d’abord s’adapter au très faible niveau d’éclairement pour pouvoir les parcourir et se laisser surprendre par les jeux d’ombres et de lumière. « Dans ce lieu, symbole du temps arrêté, nous revivons les mystères du feu des cavernes ancestrales inscrits en chacun de nous, raconte Emeric Thiénot, concepteur lumière, Lumesens. Le projet a consisté à éclairer les caves en tenant compte de la problématique de la lumière blanche qui gâte le vin en lui donnant un goût de lumière. »
Le « goût de lumière »
Ce goût de lumière n’est pas une fantaisie de l’esprit et fait l’objet de la plus grande attention dans toutes les grandes Maisons de renom. Due à l’oxydoréduction de la riboflavine et d’acides aminés soufrés, cette anomalie touche les vins exposés à la lumière naturelle ou artificielle en leur donnant un goût de chou-fleur ou de caoutchouc particulièrement désagréable. Ce phénomène peut se produire très rapidement, en quelques heures seulement. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) a d’ailleurs fait des recherches pendant des années afin de trouver la juste lumière avec une longueur d’onde de ±590 nm. « Nous avons donc travaillé, explique Emeric Thiénot, avec un éclairage monochrome de 595 nm, très orangé, pour l’éclairage en direct sur le vin, et avec un niveau lumineux excessivement faible. Nous avons pu utiliser de temps à autre et toujours en indirect, une lumière plus blanche, de 2400 K. »
Des mouvements d’air aux reflets changeants…
À de très faibles niveaux d’éclairement, l’œil du visiteur venant de l’extérieur a besoin de plus de temps pour s’accommoder, et si le passage de la lumière du jour à la pénombre des caves se fait sans transition, il est difficile de percevoir quoi que ce soit pendant plusieurs minutes. « Pour éviter ce phénomène, précise Emeric Thiénot, le passage entre l’accueil et les caves proprement dites bénéficie d’un éclairage dont l’intensité décroît progressivement jusqu’à l’entrée des caves. »
Pour l’éclairage des galeries Joseph Perrier, Emeric Thiénot a beaucoup utilisé les essorts qui ponctuent l’ensemble du parcours. Ces essorts, d’environ 80 cm, constituent des puits d’entrée verticaux qui peuvent aller jusqu’à 20 m de profondeur et permettaient d’accéder rapidement à la craie saine exploitable dans laquelle la cavité s’évase, formant à la base une chambre de section carrée. Ils sont utilisés aujourd’hui pour apporter l’humidité nécessaire aux caves par des dispositifs contrôlés par l’exploitant.
« Je me suis servi de ces essorts, poursuit Emeric Thiénot, pour projeter, dans ces ouvertures, des vitraux de lumière réalisés à l’aide de filtres dichroïques collés sur des petits spots. L’idée était de créer un lien avec l’extérieur en laissant croire que seules certaines fréquences avaient pu atteindre la galerie. »
Dans certains essorts, le concepteur lumière a placé de la tôle pliée, travaillée comme une sculpture, devant les projecteurs dotés de lentille Sharp, créant des éclats de lumière blanche sur le sol. Cette étape a été réalisée en parfait binôme avec l’installateur qui est intervenu avec tout son savoir-faire pour positionner les « miroirs » sur des fils de nylon. Les mouvements d’air font vibrer ces miroirs, faisant bouger les taches de lumière au sol comme des reflets dans l’eau.
Ambiances feutrées et ambrées
Le parcours entraîne les visiteurs jusque dans les galeries-caves où les bouteilles sont disposées sur des pupitres inclinés (chevalets en chêne) pour la deuxième fermentation qui transforme le vin tranquille en vin effervescent. Le dépôt descend lentement vers le col, suivant l’inclinaison des bouteilles jusqu’à ce qu’elles soient amenées à la verticale par le remueur. De petits spots, fixés au sol, projettent une lumière orangée (longueur d’onde de 590 nm) sur les pupitres et les voûtes, tandis que des réglettes en sous-faces des pupitres tracent des bandes régulières perpendiculairement au cheminement. Dans l’allée principale, le concepteur lumière a créé deux saillies de chaque côté pour encastrer des appareils au sol, ponctuant, comme des bougies, la déambulation de lumières plus blanches.
« Tous ces éclairages ne fonctionnent que lors des visites, souligne Emeric Thiénot. Le reste du temps, les galeries sont plongées dans le noir, sauf lors du passage des employés. »
Un projet complet et durable
Le concepteur lumière a également redéfini le projet d’éclairage de l’ensemble du site Joseph Perrier, comprenant l’accueil, la boutique et l’espace dégustation, tous les bureaux, mais aussi la mise en lumière de la cour et des jardins.
« Lumesens travaille dans l’objectif d’une conception lumière durable, explique Emeric Thiénot. Nous abordons le projet dans une compréhension globale des problématiques du point de vue des usages, du patrimoine, des contraintes techniques, de la qualité de l’architecture, du paysage, des conditions économiques et environnementales… Nous nous sommes efforcés d’équilibrer le rapport entre l’esthétique du projet (concept, effet, IRC…) et les économies de matériel (nombre de points lumineux, type d’accroche, appareillage…), la consommation et les différents objectifs définis précédemment. Notre travail est donc le résultat de la conception associée à la prise en compte des usages, des conditions de fonctionnement, des objectifs de développement et de cohérence in situ, des contraintes économiques et environnementales. »
Emeric Thiénot a reçu, pour cette réalisation, le prix de l’ACEtylène de la conception lumière intérieure 2020.