En charge de l’allongement de la durée de vie et du recyclage des équipements électriques et électroniques (DEEE), ecosystem est le principal éco-organisme de la filière électrique. Avec 42 000 tonnes de DEEE professionnels collectés en 2020, l’objectif affiché par la nouvelle dirigeante d’ecosystem est d’accélérer le mouvement. Nathalie Yserd, qui succède à Christian Brabant, revient sur les enjeux du recyclage des DEEE professionnels en France et sur les initiatives d’ecosystem en faveur de l’écoconception et de la réutilisation des matériaux.
Quels sont les enjeux du recyclage des DEEE professionnels en France ?
Nathalie Yserd – Il faut distinguer plusieurs enjeux. Il faut savoir que la filière des DEEE professionnels est récente, car les premières initiatives et la prise en main de la filière par les éco-organismes remontent à 2010. Au départ, il s’agissait d’un travail d’identification des produits et de mise en place d’une organisation, en développant la collecte des équipements, pour gérer leur fin de vie et en contribuant à l’allongement de leur durée de vie. Les DEEE professionnels sont spécifiques : ils sont extrêmement variés à la fois en taille, en composition, en usage et en localisation. On trouve des équipements professionnels dans tous types de bâtiments, d’une grande variété et avec des durées de vie très différentes. Les équipements de pilotage, plus petits, n’ont pas du tout les mêmes enjeux de dépollution que les unités de traitement d’eau ou les systèmes de réfrigération. Selon la présence de liquides frigorigènes, de carburants, ou leur composition, les contraintes sont très différentes. L’un des grands enjeux de cette filière des DEEE professionnels est de pouvoir identifier la richesse et la variété des équipements détenus par les professionnels, qu’ils soient industriels, acteurs du tertiaire, centres commerciaux, ou du résidentiel, et de toutes tailles. Une autre spécificité des équipements professionnels est la simultanéité dans le remplacement d’un équipement, qui nécessite de trouver une solution rapide à l’équipement désinstallé et pris en charge pour sa fin de vie. Nous sommes dans des logiques d’activité professionnelle pour lesquelles il ne peut pas y avoir de ruptures ou de temps long entre le moment où l’équipement est désinstallé pour être remplacé et le moment où il est collecté. Pour que cette filière de recyclage des DEEE professionnels fonctionne bien, il est nécessaire de prendre en compte ces notions de services, qu’il faut apporter pour assurer à la fois la collecte des équipements et leur fin de vie. De plus, il nous faut connaître la composition de ces équipements pour pouvoir identifier ce qu’il faut dépolluer et les matières que nous allons pouvoir recycler et réutiliser, pour les proposer à la fabrication de nouveaux équipements. Nous travaillons sur des échantillonnages et des caractérisations pour trouver la solution de collecte et de recyclage la plus adaptée. Pour vous donner quelques chiffres, ecosystem a collecté 42 000 tonnes de DEEE professionnels en 2020. Les enjeux n’ont rien à voir avec ceux de sa filière grande sœur des DEEE ménagers. Nous sommes dans des rapports de 1 à 15 entre ces filières, en raison des fréquences de renouvellement très différentes entre les équipements professionnels, conçus pour durer plusieurs dizaines d’années, et ménagers et le nombre de foyers. Nous sommes dans une dynamique de collecte soutenue, avec des progressions régulières et nous envisageons de multiplier par trois la collecte d’ici à dix ans. Le recyclage des équipements est réalisé par le biais des éco-organismes, ou directement par des entreprises qui ont fait le choix de gérer elles-mêmes la fin de vie des équipements qu’elles mettent sur le marché, dans une logique d’économie de la fonctionnalité. C’est notamment le cas sur les marchés où les fabricants assurent un contrat de service à leur utilisateur dans la durée : les équipements sont toujours détenus par les fabricants et sont simplement mis à disposition de l’utilisateur. Cela permet au fabricant de récupérer l’équipement, de le réparer, de le reconditionner ou de gérer sa fin de vie. Certains fabricants professionnels veulent avoir une parfaite maîtrise des capacités d’upgrading de leurs équipements, en les reproposant à d’autres détenteurs dans l’optique de répondre à des besoins d’utilisation spécifiques.
La transition énergétique implique l’usage de DEEE intégrant des métaux rares, notamment pour les solutions digitales. Quelles sont vos actions pour réduire l’impact de ces équipements ?
N. Y. – Cet enjeu concerne tous les équipements électriques et électroniques professionnels. La mise en place de la collecte et du recyclage doit permettre de reconcentrer tous ces matériaux : métaux ferreux, non ferreux, rares ou précieux, qui ont été extraits en tant que matières premières et utilisés dans les équipements. L’histoire a fait qu’au départ, les équipements étaient plutôt riches en métaux précieux, je pense notamment aux cartes électroniques. Avec l’évolution des cours des matières de certains métaux stratégiques, les fabricants ont travaillé sur des solutions pour diminuer la part de ces matières premières très coûteuses. Dans ce que nous collectons aujourd’hui, beaucoup d’équipements sont riches. Il s’agit d’une véritable opportunité et c’est le rôle de l’éco-organisme de reconcentrer ces matières. Cette « mine urbaine », dispersée dans la fabrication de dizaines de milliers d’équipements, doit être reconcentrée pour être extraite et remise à disposition du marché pour la fabrication de nouveaux produits. L’idée est de proposer des solutions pour diminuer l’impact de la fabrication de ces équipements sur les ressources naturelles, notamment minérales ou fossiles. Nous animons une chaire intitulée « Mines urbaines » avec trois écoles du réseau ParisTech. Nous travaillons avec des universités pour trouver des solutions concrètes et innovantes pour optimiser l’extraction de tous ces matériaux lors du processus de recyclage. D’autre part, nous menons des actions de sensibilisation, au travers de supports pédagogiques, sur l’utilisation de matières. Nous proposons également des outils, à disposition des metteurs sur le marché. Le premier, baptisé « REEECY’LAB », est destiné aux bureaux d’études ou aux chefs de produit concepteurs. Il permet de renseigner le bilan matière de l’équipement en conception, qui précise les matériaux utilisés, leur nature, leur proportion, les techniques d’assemblage… Cet outil calcule un indice de recyclabilité des équipements à partir de la nomenclature « Bill of Materials » (BOM). Avec ces informations, le concepteur peut faire varier les types de matériaux pour faire varier son indice de recyclabilité. L’outil donne aussi des conseils pour augmenter cette valeur. D’autre part, nous mettons à disposition 950 inventaires de cycles de vie des produits, gratuitement en ligne, via une base de données. Ils permettent de calculer l’impact de la fin de vie dans le cadre de l’analyse de cycle de vie en fonction de la composition des produits. La mise à disposition de ces données était devenue indispensable pour permettre aux industriels d’initier des démarches d’écoconception de leurs équipements. Enfin, nous sommes en train de développer le bilan environnemental de nos activités liées aux DEEE professionnels, qui quantifie les bénéfices environnementaux de la filière pour lutter contre l’épuisement des ressources fossiles et minérales et le réchauffement climatique.
Quels sont les premiers grands chantiers de votre mandat ?
N. Y. – Nous avons un gros chantier, directement lié au bâtiment. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), publiée en février 2020, a fait évoluer un certain nombre de modalités et créé une filière REP (Responsabilité élargie du producteur) du bâtiment. Beaucoup de nos équipements électriques et électroniques sont attachés au bâtiment. L’une de nos priorités est de travailler en articulation avec cette nouvelle filière REP du bâtiment, baptisée REP PMCB (Produits et matériaux de construction du bâtiment). L’action d’ecosystem s’inscrit dans ce dispositif à travers deux actions : lancement avec l’Ademe d’une cinquantaine d’appels à projets pour des maîtres d’ouvrages exemplaires, et la mise en place d’une plateforme de traçabilité. L’objectif est de donner aux acteurs une vision claire et globale et de garantir la traçabilité des déchets issus du bâtiment au sens large. Baptisé EMAT (Entité multiacteurs pour la traçabilité des déchets), ce projet est à l’initiative d’ecosystem, qui anime un collectif d’acteurs. Ce projet prendra toute sa dimension avec la REP du bâtiment. Nous avons identifié un besoin de traçabilité très fort de la part des acteurs et il nous revient de donner une information fiable sur les flux de déchets. Concernant les déchets du bâtiment, on parle potentiellement de 45 millions de tonnes, ce qui est absolument considérable.
Comment évolue la réglementation pour les fabricants de matériel électrique ?
N. Y. – Ils doivent répondre à l’obligation de prendre en charge la fin de vie des équipements, en proposant une solution de collecte et de recyclage, comme le prévoit la directive européenne de 2002, révisée en 2012. Depuis la loi AGEC, ces obligations doivent être associées à des actions visant à la prévention des déchets, notamment avec l’allongement de la durée de vie des équipements par la réparation, le réemploi ou la réutilisation.
Propos recueillis par Alexandre Arène