Quels sont les points clés pour la conception d’un datacenter performant ?
Marc Troulier – La conception d’un datacenter performant s’articule autour de trois axes. Le premier consiste à dimensionner l’installation. En partant du nombre de mètres carrés d’IT ou du nombre de baies voulu, on réalise un plan de l’installation. Puis il faut déterminer les bons équipements techniques, dont les systèmes de froid et d’électricité. En positionnant les équipements au plus proche des baies, on évite les déperditions liées au transport et on optimise les quantités de matériaux nécessaires. Deuxième axe : créer une symbiose entre la technique et l’architecture, en jouant notamment sur la forme du bâtiment, qui influe sur l’efficacité énergétique et les matières nécessaires. Enfin, le troisième axe concerne les équipements techniques, selon l’environnement du datacenter et les besoins des clients. Pour le refroidissement des baies, différentes solutions existent : l’air froid soufflé, le rafraîchissement à eau ou les baies immergées. Les choix sont plus restreints pour l’alimentation électrique : l’électricité provenant du réseau doit être transformée pour passer de la haute tension à la moyenne, puis à la basse tension. Les onduleurs transforment le courant continu en courant alternatif. Enfin, des groupes électrogènes assurent la continuité d’alimentation en cas de coupure. Plusieurs solutions sont étudiées selon des critères de performance technique et financière sur la durée de vie du projet (une solution perd son intérêt si la maintenance est trop importante).
Quels sont les enjeux de performance énergétique des datacenters ?
M. T. – Le nombre de datacenters augmente, tout comme la puissance de l’IT. Aujourd’hui, peu d’études disponibles font la corrélation entre le nombre de datacenters et la puissance électrique globale utilisée. Entre 2010 et 2018, la part des datacenters dans la consommation globale d’électricité est passée de 8 à 10 %, mais la puissance nécessaire pour traiter 1 To de données a été divisée par 9. Ces chiffres sont assez parlants. Plusieurs avancées technologiques expliquent ce résultat. Les outils informatiques et les serveurs ont considérablement gagné en efficacité, ils traitent plus de données avec moins d’énergie. Et l’efficacité énergétique des datacenters eux-mêmes a considérablement augmenté, avec des PUE (rapport entre la consommation du datacenter et la consommation de l’IT) divisés par deux entre 2010 et 2018. Pour les bâtiments plus anciens et moins fiables, la tendance est au déclassement, c’est-à-dire de les proposer aux clients qui ont besoin de moins de fiabilité et souhaitent payer moins cher. Les anciens datacenters ne sont ainsi pas toujours rénovés, c’est assez regrettable.
Qu’en est-il de l’évolution du poids carbone et de l’analyse de cycle de vie (ACV) des datacenters ?
M. T. – Chez ENGIE Solutions, nous avons mené, à titre expérimental, une ACV globale fictive d’un datacenter sur 10 ans. Cet exercice théorique a livré des conclusions très intéressantes. En moyenne, de sa construction à son exploitation, un datacenter rejette entre 7 et 13 tonnes d’équivalent CO2 au mètre carré sur 10 ans. La consommation électrique d’un datacenter avec un PUE performant ne représente que 42 % des rejets de CO2, contre 15 % pour sa construction (technique comprise) et 43 % pour les serveurs et matériels IT. La conclusion est donc que sur 10 ans, l’énergie n’est pas le « gros pollueur » qu’on imagine et que la fabrication des serveurs, très manufacturés et remplacés tous les 10 ans, sont coûteux en CO2. À titre de comparaison, en Allemagne, où l’électricité est bien plus carbonée qu’en France, un datacenter rejette sur 10 ans entre 45 et 50 tonnes de CO2/m², faisant de notre pays une terre d’accueil pour les gros datacenters. En Allemagne, la consommation électrique représente 85 % des rejets de CO2 des datacenters. Cela met donc en perspective l’intérêt d’utiliser des énergies renouvelables, ou faiblement carbonées.
Propos recueillis par Alexandre Arène