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Agence Rich : raconter des histoires lumière

Isabelle ROLLAND et Christophe HASCOËT, agence Rich – © Denis Esnault

De la scénographie au design, l’expression de l’agence Rich, au verbe sensible et poétique, raconte des histoires lumière. Le parcours de ses deux fondateurs ? Isabelle Rolland, architecte DPLG, et Christophe Hascoët, designer, croisent leurs expériences en architecture, graphisme, design et éclairage. Ils développent depuis plus de 20 ans l’exploration de la lumière sous toutes ses formes : de la dimension « objetéclairant » à celle du « territoire éclairé ». Leur collaboration commence alors qu’Isabelle Rolland est assistante d’édition chez Sens & Tonka éditeurs et que Christophe Hascoët, designer indépendant à Paris, collabore avec Yann Kersalé. De 2003 à 2013, ils s’installent à Beyrouth au Liban et créent Caï-Light, agence de conception lumière et de design d’objets-éclairants, avec un passage de trois ans à Dubaï, de 2006 à 2009. En 2013, de retour en France, ils créent Rich Designers à Nantes et poursuivent leur écriture transversale. Leur démarche consiste à faire avec les contingences, à examiner les lieux, à s’interroger sur les modèles et leur histoire propre dans la volonté de produire une vue juste, poétique, résonnante, intégrant ou rejetant les particularités relevées, évitant les concepts trop déterminés au profit d’un ensemble de touches successives.

Qu’est-ce qui vous a conduits à travailler la lumière ?
Christophe Hascoët – J’ai suivi une formation en construction mécanique et à ce titre j’ai appris à développer des objets ou dispositifs, ce qui m’a rapproché du design. Isabelle et moi venons de Douarnenez, qui est aussi la ville de Yann Kersalé. J’ai été marqué par son projet Le Songe est de Rigueur, dont il a fait un film avec Henri Alekan comme directeur de la photographie. C’était la première fois qu’on voyait un éclairage artistique dans un site naturel (à la pointe de la Torche, dans le Finistère). Yann m’a ensuite proposé de rejoindre son agence où je suis resté de 1990 à 1994. Je me suis ensuite installé à Paris en indépendant et j’ai travaillé sur des projets d’éclairage extérieur. La première collaboration avec Isabelle Rolland date de 1997 : il s’agit de la mise en lumière du phare d’Eckmühl à la pointe de Saint-Pierre, à Penmarc’h en Bretagne, qui célébrait les cent ans de la tour. Nous avions un peu détourné le projet et proposé, plutôt que de n’éclairer que le phare, de scénographier la chaussée rocheuse.

Isabelle Rolland – Malheureusement, seule la première phase du projet a été réalisée ! Avant de rejoindre Christophe dans la conception lumière, j’ai fait des études d’architecture à Nantes, puis suis devenue assistante d’édition chez Sens & Tonka éditeurs jusqu’en 2001. Je ne me sentais pas prête à aborder l’architecture par sa matérialité et je me suis rendu compte que c’était par la lumière que j’allais pouvoir travailler l’espace, qu’elle offrait quelque chose de moins prégnant que l’architecture. C’est la rencontre avec Annabel Karim Kassar, architecte, en 1998 qui nous a mis le pied à l’étrier. Depuis, nous concevons des objets éclairants ou travaillons sur des mises en lumière architecturales intérieures, extérieures, et dans toutes sortes d’environnement, sans domaine prédéfini.

Inspirations Îlot B Muse, île de Nantes. Architectes Barre-Lambot. Prix ACEtylene 2020 ≪ Coup de coeur ≫ categorie petit budget. © Agence Rich

Vous vous définissez donc autant comme designers que concepteurs lumière ?
Christophe Hascoët – Oui, dès le début. Notre première collaboration avec Annabel concernait l’éclairage intérieur d’un petit palais ottoman à Beyrouth. Le projet était tellement spécifique que nous avons dessiné une dizaine d’objets lumineux que nous avons fait fabriquer en petite quantité en France. Publiés dans de nombreuses revues de design et d’architecture, ils ont remporté un certain suffrage de la part des professionnels. Ainsi encouragés, nous avons créé, en 2003, au Liban, une société d’édition d’objets de design et de conception lumière, Caï (initiales de Christophe, Annabel et Isabelle) Light, qui nous a fait connaître à l’international. En 2006, la guerre au Liban nous oblige à quitter Beyrouth et on s’installe à Dubaï alors en pleine construction.

Isabelle Rolland – Cela n’a pas été facile de nous imposer car plusieurs agences anglosaxonnes, d’architectes ou de concepteurs lumière, étaient déjà bien implantées. Nous intervenions surtout en architecture intérieure, en particulier dans l’hôtellerie et la restauration, ce qui nous définissait surtout comme des designers, même si, dans l’émirat voisin Ajman, nous avons travaillé sur les espaces extérieurs. Puis la crise financière de Dubaï en 2009 nous a contraints à repartir à Beyrouth. Nous y avons réalisé un projet assez emblématique de notre démarche lumière : il s’agit du Souk Entertainment Center conçu par les architectes Valode et Pistre. Cette installation de 1 600 m², entre média-façade et modénature lumineuse, est résolument orientée vers l’espace public. Nous avons dessiné une modénature cristalline visible de jour, avec un pixel qui scintille naturellement sous l’effet du soleil et s’anime de vibrations lumineuses du crépuscule à l’aube, utilisant la vidéo comme source lumineuse.

Quels projets vous définissent le mieux ?
Christophe Hascoët – Les bureaux du « Voyage à Nantes » illustrent bien notre approche. Ces bureaux occupent un ancien bâtiment de l’usine LU, dont la rénovation a été confiée à l’agence d’architecture Block. L’éclairage était très mal ressenti par les usagers. Nous sommes intervenus en site occupé et avons décidé de ne pas démonter ce qui avait été fait deux ans auparavant mais de juste l’adapter. On a créé un filtre qu’on a greffé sur les appareils existants afin de réduire l’éblouissement et d’améliorer le confort des usagers. On a aussi changé les tubes fluorescents tout en conservant les réglettes afin de proposer un IRC plus élevé et une température de couleur homogène. Enfin, nous avons complété cet éclairage par des lampadaires que les occupants pouvaient gérer eux-mêmes.

Isabelle Rolland – Une autre réalisation me tient à coeur : l’oeuvre lumière sur l’unité d’habitation de Le Corbusier à Firminy que nous venons de livrer. Nous avons travaillé avec l’artiste plasticien Bruno Peinado pour créer « De deux choses lune, l’autre c’est le soleil ». Comme nous n’étions pas autorisés à percer la façade, nous avons créé des accessoires afin d’installer les appareils sur le toit-terrasse. Toute notre conception est synchronisée avec les quatre phases de la lune et se fonde sur les réflexions de Le Corbusier sur le soleil, la nature, les habitants, la matière et les couleurs.

Avez-vous des domaines de prédilection dans lesquels vous intervenez ?
Christophe Hascoët – Nous n’avons pas à proprement parler une « identité lumière », mais nous souhaitons étendre notre champ d’application à l’éclairage urbain. De façon générale, il faudrait que les concepteurs lumière soient systématiquement impliqués et associés aux architectes, dans toutes les typologies d’espaces, que ce soit en intérieur ou en extérieur… qu’il y ait plus de visibilité sur la discipline. Bien entendu, nous continuons à créer des objets éclairants, la dimension domestique nous intéresse, et bénéficions de savoir-faire et de compétences techniques artisanales incroyables qui sont propres à la France.

Isabelle Rolland – On commence à être appelés sur des projets extérieurs et nous apprécions cette façon de porter une attention particulière à ces espaces partagés, ces espaces collectifs dans les lieux publics. Nous développons notre approche écologique, en considérant « le milieu » et les relations intérieuresextérieures/ publiques-privées. Nous devons cultiver notre rapport sensible à la lumière tout en entretenant nos connaissances techniques.

L’approche se complexifie et c’est là tout notre rôle. Un travail collaboratif avec les architectes, les urbanistes se généralise de plus en plus et permet d’enrichir notre façon de raconter la lumière.

Propos recueillis par Isabelle Arnaud

Les Inséparables, 2018, Agence Rich – © Denis Esnault
Isabelle ARNAUD: Rédactrice en chef de la revue Lumières
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