Comment jugez-vous les ambitions de la France en matière de décarbonation ? Vous semblent-elles réalisables ?
Éric Baudry – Les consommateurs français sont de plus en plus sensibles à la dimension carbone de par ses conséquences sur le Climat et la Santé. Et il y a une volonté gouvernementale affichée, qui a d’ailleurs démarré avant même les Accords de Paris de la COP 21, d’en tenir compte. En France, il était juste impensable que les travaux réglementaires portant sur la construction des futurs bâtiments auxquels nous avons contribué dans le cadre de l’expérimentation E+C- n’aboutissent pas à une évolution réglementaire qui prenne en compte la dimension environnementale, et non seulement comme jusqu’à présent la consommation énergétique.
Les engagements figurant dans la Stratégie nationale bas carbone, ont un sens fort. Cette stratégie est bien plus plus qu’une intention ou une simple ambition, elle constitue un ensemble de jalons à l’horizon 2030, puis en 2050, pour aboutir à ce que le Batiment, dont les logements, n’émette plus de carbone.
Et le logement n’est pas le seul concerné…
É. B. – En effet. Si on regarde l’ambition bas carbone, elle repose sur trois piliers : l’industrie, le transport et le logement. L’industrie, depuis une dizaine d’années, a amorcé le virage au travers des évolutions qui ont trait à l’industrie 4.0. Dans les transports, aujourd’hui, on ne peut pas battre des cils sans voir ou entendre parler des véhicules électriques pour les particuliers. Et le transport en commun électrique (les trams, les bus) a connu une avancée phénoménale depuis ces derniers mois. Le transport routier électrique se développe plus lentement, c’est une question de puissance et de capacité de stockage, mais l’objectif est tout tracé…
Le troisième pilier est donc celui du logement. Nous nous préparons à passer à une réglementation environnementale, ce qui change complètement les tendances. Quand on regarde aujourd’hui les grandes avancées du projet RE2020, il y a trois seuils majeurs : l’intégration de la dimension carbone à la construction, aux équipements, et aux énergies utilisées dans le bâtiment. Ce à quoi s’est attaquée la filière de la construction concerne l’impact du carbone lors de la construction du bâtiment. Tout n’est pas forcément évident aujourd’hui, cependant il est possible d’avancer et les technologies existent.
Dans votre lettre ouverte à Barbara Pompili et Emmanuelle Wargon, vous pointez pourtant des éléments que vous jugez incohérents dans la future RE2020. Techniquement, pour vous, qu’est-ce qui cloche ?
É. B. – Dans les logements, sur la question de l’énergie, plusieurs niveaux deviennent extrêmement contraignants. Le premier est le Bbio qui optimise la conception du bâtiment pour réduire de manière significative ses besoins en énergie. Ainsi, avec un Bbio revu à la hausse, de +30 % par rapport à la RT2012, cela apparaît favorable aux solutions bas carbone.
Le deuxième niveau est l’indice carbone de l’énergie, le point sensible. En RT2012, les calculs performenciels étaient etablis avec un CEP, donc un droit à consommer exprimé en énergie primaire, et des seuils en fonction du type de logement. Dans la RE2020, le CEP devient le coefficient d’énergie primaire qui couvre la consommation des énergies, et on a vu apparaître – assez tardivement d’ailleurs, courant novembre – le CEP-nr, le coefficient d’énergie primaire non renouvelable. Ce dernier couvre toutes les consommations liées à des produits qui n’utilisent pas d’énergies renouvelables, c’est-à-dire l’électricité et le gaz.
Au sein du GIFAM, nous recherchons à voir dans quelle mesure les solutions de chauffage électrique à effet Joule peuvent trouver une place dans ce nouveau contexte réglementaire, parce qu’il existe un point d’achoppement sur les valeurs du CEP-nr qui limitent le chauffage électrique à une seule technologie, la Pompe à chaleur. C’est sur ce point que nous travaillons et que nous avons pris la parole et lancé quelques alertes auprès du ministère de mesdames Pompili et Wargon.
Par ailleurs, dans le mem temps avec un seuil carbone qui est fixé à 4 kg de CO2/an/m² en maison individuelle, cela veut dire que, de facto, les ministères affichent une volonté de sortir les solutions gaz de la maison individuelle dès 2021.
Pourquoi ce seuil de 4 kg ? Et, selon vous, y a-t-il un réel intérêt à « sortir » le gaz du logement individuel ?
É. B. – L’intérêt, c’est l’impact carbone des différentes solutions. Si l’on prend le kilowattheure destiné au chauffage des locaux, l’électricité émet 79 grammes de carbone par kilowattheure, contre 210 grammes pour le gaz. Les pouvoirs publics cherchent donc à réduire le plus rapidement possible les solutions les plus émettrices de CO2 par cohérence avec la Stratégie Nationale Bas Carbone. C’est ce qui est envisagé pour la Maison individuelle avec l’interdiction du recours au gaz pour le chauffage. Là où ça se corse, c’est en logement collectif car la trajectoire carbone n’est pas du tout la même en fixant un objectif à 14 kg/an/m² de CO2 en 2021, pour arriver à 6 kg en 2024. Ce qui veut dire que d’un point de vue technique, avec un seuil carbone à 14, et même jusqu’à 10 kg, les solutions gaz respecteraient les seuils réglementaires.
On laisserait ainsi à la filière gaz un droit de déployer en collectif des solutions très émettrice de carbone sur la période 2021-2024. Ce qui veut dire, que dans le cadre de la mise en place d’une réglementation environnementale qui s’appuie prioritairement sur une stratégie carbone, les ministères autoriseraient à construire sur les 6 ou 7 prochaines années des bâtiments qui seront fortement émetteurs de CO2, et ce pendant 50 ans soit la durée de vie conventionnelle d’un bâtiment. Dans le même temps, par le coefficient CEPnr, le recours au chauffage électrique à effet Joule, solution décarbonée, ne serait pas possible dans le Logement collectif.
Pourquoi parlez-vous de 6 ou 7 ans ?
É. B. – Si l’on s’en tient au calendrier, avec une entrée en application au 1er juillet 2021, ce qui n’est pas improbable : pour tous les permis de construire qui seront déposés à partir de 2021 et jusqu’en 2024 pour le collectif, avec un délai de construction de 24 à 36 mois en moyenne, cela nous emmène jusqu’en 2026. Donc pour les six prochaines années, les constructions collectives auront une empreinte carbone relativement importante et avec des solutions gaz fortement carbonées qui seront résolument durables, et ce a minima pour les 50 prochaines années. C’est l’incohérence que l’on pointe au Gifam.
Pourquoi, selon vous, exclure le chauffage électrique, à effet joule y a-t-il une raison écologique ou technologique ?
É. B. – Sur la prise en compte de la dimension carbone, le projet RE 2020 est cohérent avec ce que nous souhaitions et que nous avions déjà demandé avant même la RT2012. On demandait également que le Bbio soit amélioré pour réduire les besoions de consommation d’énergie. À la vue des premiers éléments communiqués début 2020 par le Ministère de la Transition Energétique, cette orientation nous paraissait satisfaisante. Cependant, bien que la préférence soit donnée à la pompe à chaleur, nous ne comprenons pas pourquoi les pouvoirs publics semblent ne pas vouooir reconnaître la pertinence et la performance des solutions de chauffage électrique à effet joule.
Nous intervenons aujourd’hui sur ce point pour faire reconnaître que le chauffage électrique à effet Joule de dernière génération, performant et connecté, économiquement accessible, aux coûts d’utilisation réduits, dès lors que le bâtiment présente un Bbio optimisé, constitue une solution qui répond à l’équation réglementaire.
Mais concernant le stockage thermique de l’électricité, y a-t-il des solutions ?
É. B. – En matière de stockage d’énergie thermique pour le chauffage des logements, le radiateur électrique à accumulation de dernière génération apparaît comme une solution performante qui apporte confort, consommation d’énergie réduite et un coût d’exploitation faible, l’électricité étant stockée la nuit, période durant laquelle l’utilisateur bénéficie d’une tafication avantageuse. (Tarif heures creuses d’EDF ou d’autres distributeurs d’électricité).
Concrètement, que demandez-vous ?
É. B. – Nous avons interpellé sur tous ces éléments les ministres de tutelle, et dans le même temps, nous avons alerté un certain nombre d’élus – mairies, sénateurs, députés, présidents de région… Nous observons aujourd’hui une prise de conscience des élus, certains départements étant très soucieux de la réduction des émissions de carbone des logements de leurs communes.
Nous demandons que la valeur du coefficient CEP-nr soit révisée avec une hausse de 8%.
L’excellence de l’industrie française du Chauffage électrique depuis plus de 5 decennies, nous semble un gage sérieux de savoir-faire, d’innovations et de qualité de nos appareils.
Extrait de la lettre ouverte du Gifam à Madame la ministre de la Transition écologique
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À l’heure où la France s’engage de manière volontariste vers la neutralité carbone, certaines orientations envisagées pour l’habitat dans notre pays vont paradoxalement à l’encontre des ambitions portées par le Président de la République et par les citoyens dans la lutte contre le changement climatique. En outre, elles pénaliseront gravement une filière industrielle française vertueuse, innovante et ancrée dans les territoires.
En effet, le projet, tel qu’il est connu aujourd’hui, écartera le recours aux radiateurs électriques de dernière génération couplés aux chauffe-eau thermodynamiques, dans les logements neufs individuels et collectifs. Il va ainsi priver durablement la France de solutions de chauffage performantes et décarbonées.
Dans un contexte de bâtis neufs très isolés permettant une réduction de 70% des besoins de chauffage entre la RT 2005 et la RE2020, les puissances à installer sont désormais de l’ordre de 300W à 500W par appareil. Les radiateurs électriques de dernière génération connectés et dotés de dispositifs de pilotage intelligent constituent donc l’une des meilleures options de chauffage actuellement disponibles sur le marché.
Ces équipements sont parmi les seuls systèmes à pouvoir s’adapter au plus juste pièce par pièce : la finesse de leur régulation et leur réactivité valorisent les apports de chaleur gratuits, tels que l’éclairage, l’ensoleillement et la présence humaine. En outre, ils détectent les fenêtres ouvertes ou l’absence d’occupants.
Connectés aux compteurs électriques intelligents, dans un contexte de démarche smart- grids, les radiateurs électriques de dernière génération permettent un pilotage précis pour soulager le réseau électrique et éviter d’avoir recours aux centrales fossiles pour produire de l’énergie en cas de pointe de consommation d’électricité.
Pourquoi faudrait-il alors priver les Français de cette solution, par ailleurs économique, tant à l’installation qu’à l’usage (quelques dizaines d’euros les mois d’hiver, pas de contrat d’entretien, durabilité) ?
Il en est de même pour les chauffe-eau thermodynamiques, dont la principale source d’énergie est renouvelable. Ils permettent de réaliser jusqu’à 70% d’économie d’énergie par rapport à un chauffe-eau classique et représentent, de facto, un équipement à privilégier dans l’habitat individuel et collectif de demain. D’ailleurs, cette solution a été plébiscitée par le gouvernement, dans le cadre de la RT2012.
Alors que ces appareils utilisent une énergie décarbonée à plus de 93%, l’autorisation faite à l’installation de solutions gaz dans le logement collectif jusqu’en 2024, pourtant contraire aux ambitions de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) et de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), équivaut à un droit d’émettre du C02 et ce, a minima, pour les 50 prochaines années.
Tandis que l’habitat et les transports individuels contribuent sensiblement à parts égales dans les émissions de CO₂ en France, on imagine mal une réglementation nouvelle qui, appliquée à l’automobile, interdirait en 2021 le véhicule électrique au profit de véhicules à énergie fossile ! C’est pourtant ce qui est envisagé pour l’habitat.
Il y a, dès lors, fort à parier que ce choix reviendra à pénaliser le pouvoir d’achat des générations futures qui auront à supporter le coût financier de la nécessaire conversion vers un système propre !
Par ailleurs, les équipements privilégiés par ce projet de décret représenteraient un surcoût important pour les ménages français sans qu’ils soient adaptés à tous les types de logement. L’installation d’une pompe à chaleur reste onéreuse alors même que des solutions toutes aussi performantes existent déjà sur le marché, à un coût abordable.
En règle générale, l’acquisition et l’installation de radiateurs électriques de dernière génération et de chauffe-eau thermodynamiques permettent une économie de l’ordre de 50% par rapport à celles d’une pompe à chaleur (5 000 à 6 000 € contre 8 000 à 11 000 €).
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