Le design évolutif est celui qui prend en compte l’évolution de la perception de l’usager, l’impact de l’éclairage sur l’environnement et le paysage éclairé. Le design est trop souvent lié à un critère de nouveau associé à un changement de forme plus que de fonctions. Si la forme a pour mission d’habiter le paysage, elle ne peut le faire à long terme qu’en anticipant les transformations liées aux fonctions qu’on lui prête, aux avancées acquises ou à celles à venir en termes d’écoconception, de manière de vivre et de se comporter, de qualité. C’est cette capacité d’ajustage qui fait vivre le paysage à une période où il est essentiel de tenir compte de ces critères qui facilitent la maintenance. Ils assurent de jour, de nuit, vu de près ou de loin, un tracé continu et sensible dans le paysage nocturne. Pour cela, le design doit évoluer et évaluer les nouveaux champs de la perception, le ressenti d’un lieu et de ses usages, à l’heure où on se déplace très vite ou doucement. Associer sensibilités et nouvelles compétences techniques permet de reprogrammer des fonctions des objets existants ou conçus selon les possibilités offertes par la programmation des LED par exemple. Cette vision permet au designer de faire le lien entre la marque et les prescripteurs. Concevoir un objet d’éclairage en série implique de penser la lumière à l’échelle de l’objet comme de ses implantations, de mettre la technologie au service du paysage par une conception dite sensorielle et respectueuse, qui renoue avec la nature et les ressources culturelles d’un site, tout en faisant évoluer la traçabilité de sa fabrication.
Les mesures réglementaires ne doivent pas réduire l’éclairage à la sécurité et à la performance. L’arrêté de 2018 relatif aux nuisances lumineuses risquait de freiner les politiques écologiques des collectivités, comme la Ville de Paris, les investissements réalisés par les industriels engagés dans ce sens mais prenant aussi la précaution de ne pas appauvrir la lumière à la hauteur du piéton. C’est précisément dans ces périodes de mutation que le design évolutif doit permettre de changer la trajectoire du résultat à obtenir sans changer de forme. Son rôle est de chercher par l’échange et par une vision a priori décalée, une orientation esthétique et technique qui prolonge l’approche engagée. Les nouvelles technologies permettent de programmer et donc de reprogrammer les objets, ce qui a aussi transformé notre manière de créer : la miniaturisation puis la dématérialisation des accessoires a offert une liberté d’approche. L’éclairage intelligent a permis à l’éclairage de redevenir un élément doux, magique, immersif ou enveloppant, tout aussi protecteur et sécurisant. Elle nous a permis de rétablir un équilibre entre la fonction et la forme d’un luminaire, de dessiner et ciseler une forme par la lumière pour transformer l’objet et le paysage nocturne.
Dépasser la technique pour redonner du sens à la lumière
Réintroduire l’association du verre à la lumière et son imaginaire a permis de rendre l’éclairage plus sensible et attractif, de remettre la technique au service de la forme et de l’éclat des paysages nocturnes. La conception du luminaire Cristal City, initialement créé pour Paris, a bénéficié d’équipes motivées, de l’expérience de Philips, d’un contexte ouvert à des propositions qui transforment la manière d’imaginer, de produire et de vivre l’éclairage.
Au cours de la COP 21, Cristal City était présenté par la Ville de Paris comme l’évolution la plus aboutie du marché du luminaire contemporain. Ses qualités, associées à la recherche de continuité d’un esprit « Paris Ville lumière », cherchaient à réintroduire l’émerveillement de cette ambiance nocturne par sa forme transparente habitée d’un véritable hologramme. Son design, qui lui avait valu un Janus de la Cité de l’Institut français du design (IFD), alliait performance technique, écologie et économie. Le fabricant Philips Lighting en attestait par une promesse de 12 ans minimum sans maintenance. La performance de cette « bulle magique prête à s’envoler » était née de l’intention de mieux éclairer les personnes et les façades, de rassembler et programmer la technologie de la source dans une calotte « intelligente » qui réduisait le temps de pose comme celui de la maintenance au profit de la présence de la vasque autoportante. Cette vision a permis de vider la verrerie de paralumes, de la faire vivre par ses nervures porteuses, grâce à la collaboration du bureau d’étude du fabricant et du designer.
En France, nous manquons de valorisation du design durable, celui qui dépasse la traçabilité. On récompense surtout la sortie d’un produit et on le laisse ensuite atteindre un degré critique par manque d’entretien. Ce qui n’est pas le cas de l’Italie ou des pays d’Europe du Nord, où inviter le designer à faire évoluer ses créations avec les acquis de la technique fait partie de la culture industrielle.
Arrêt sur image, le tournant de la marque
Un luminaire comme le Cristal City, considéré comme remarquable et abouti en 2015, exposé au Musée des arts Décoratifs, choisi pour une implantation progressive de l’éclairage LED dans de nombreuses configurations d’ouest en est à Paris sur le quai d’Orsay, l’île aux Cygnes, le quartier de Bercy, le boulevard de Courcelles, le boulevard de la Villette (en 2020), les parcs, des sites privés … Sur les contre-allées longeant le parc Monceau, il expérimente l’éclairage interactif par son intensité, qui varie en fonction de la fréquentation. Sur la piste cyclable, sa diffusion sans ombre portée au sol marque le partage de l’espace. Ailleurs, dans des parcs et coulées vertes, cette même interaction est expérimentée comme signal d’alerte anti-intrusion.
Et brusquement, la production s’arrête ! Quels critères d’appréciation peuvent justifier cette décision ? « La production doit se faire au profit des nouvelles contraintes techniques », sans garder cet acquis du développement réalisé et du succès obtenu pour améliorer l’espace public. L’art de mieux vivre ensemble et du bien-être est remis entre les mains des techniciens, sans consultation du designer qui en est à l’origine.
L’impact du renouvellement des luminaires sur le paysage
L’exemple du boulevard Pasteur à Montparnasse est frappant. Sur près de 300 m en partant de la place de Catalogne, on rencontre sept modèles différents de luminaires, une disparité qui va à l’encontre de toutes les bases d’un éclairage harmonieux, efficace et apaisant. Les luminaires de Roger Talon qui signaient de leur présence ce quartier des années 60 ont été remplacés. Ne pourrait-on pas imaginer de s’adapter, comme cela a été le cas pour les luminaires Hittorff, parure reconnue des Champs-Élysées jusqu’à la place de la Concorde depuis plus de 150 ans ?
Doit-on collectivement payer les erreurs énergivores du XXe siècle et marquer le XXIe siècle par l’écrasement de ce qui est conçu pour durer au profit d’un opportunisme consumériste, plutôt que reconnaître l’apport et la valeur du design dans le processus créatif de l’éclairage ?
Cécile Planchais, designer