La nuit urbaine est aujourd’hui désertée, à l’exception des travailleurs nocturnes, mais aussi désincarnée, avec la culture et la fête qui ont disparu de nos vies.
On pourrait croire que la Covid est plus amie avec la biodiversité nocturne qu’avec la conception lumière.
La crise, sanitaire, sociale, économique, psychologique nous tétanise.
Elle nous oblige aussi à réfléchir et peut-être à nous réinventer.
Les espaces publics, diurnes et nocturnes, sont à repenser pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des habitants. Cette pandémie a montré aussi l’envie et le désir d’être dehors, de pouvoir trouver des lieux publics extérieurs d’accueil, ouverts à tous, pour se poser, se reposer, se restaurer. La fermeture des bars et restaurants a souligné les besoins d’espaces publics abrités et de convivialité.
Et la nuit urbaine aussi doit être repensée. La conception lumière a dû s’imaginer à distance, sans visites de site, sans chantiers en présentiel, avec quasiment pas d’essais et très peu de réglages. Les réunions en distanciel sont devenues la norme, y compris bien sûr pour les études et les missions menées sur des villes et des territoires à l’étranger.
Alors, une lumière urbaine pour qui, pour quoi ?
Cette crise sanitaire qui n’en finit pas et qui a déjà causé tant de dégâts, de douleurs et de peine pose aussi une foule de questions sur nos futures pratiques professionnelles, sur l’évolution constatée des usages nocturnes et sur les nécessaires mutations de la ville de demain et de la nuit urbaine.
Doit-on attendre de sortir de cette pandémie pour revivre comme avant ou doit-on au contraire s’en servir pour rebondir et réfléchir à d’autres manières de penser la ville, de dessiner nos espaces extérieurs et intérieurs, d’offrir des lieux de nature à proximité de tous, dans ce fameux rayon d’un kilomètre ?
Les confinements successifs laissaient paradoxalement la possibilité de sortir la nuit, même à petite distance, ce que ne permet plus le couvre-feu. Et cette situation a révélé à la fois toute la saveur de nos promenades nocturnes essentielles, mais aussi toute la pauvreté des ambiances lumineuses de notre environnement quotidien. Les éclairages uniquement fonctionnels n’encouragent ni au délassement, ni au ressourcement, ni à la poésie.
Les stratégies lumière de demain devront donc s’intéresser aux espaces de proximité, aux besoins nocturnes de tous, en bas de chez soi, et non plus prioritairement au centre-ville.
La possibilité de laisser aux usagers le choix de leurs ambiances nocturnes (en termes de couleurs, d’intensités, de composition) devrait progressivement s’imposer aux élus et aux services techniques pour compenser à l’extérieur le stress du confinement, et offrir d’autres possibles à tous ceux qui vivent dans des espaces très exigus. Et l’intelligence de l’éclairage doit être au service des gens.
Il faudrait aussi mailler l’espace public de cocons de bien-être, ouverts à toutes heures, dans le respect des gestes barrières et de la nécessaire distanciation sociale, de manière à réenchanter les nuits urbaines durant et après cette période si difficile.
Quid de l’éclairage domestique ?
L’autre champ de travail qui s’ouvre aux concepteurs lumière, c’est celui de l’éclairage domestique. Le télétravail et les réunions en distanciel ont révélé toute la misère des éclairages intérieurs, non réglables, peu adaptables, générant des silhouettes en contre-jour, des visages aux ombres portées dignes d’un film d’horreur, des bricolages inadaptés aux caméras des ordinateurs.
Lorsqu’on doit rester 23 heures sur 24 chez soi, notamment en période hivernale, on découvre toute l’importance de l’espace disponible, mais aussi tout l’intérêt des éclairages intérieurs imaginés de manière à pouvoir délimiter facilement une sphère d’intimité, à suivre nos déplacements, à évoluer au cours de la soirée, à coller aux besoins de chacun, sans gêner l’autre ou les autres.
La luminothérapie domestique, les éclairages chronobiologiques doivent être aussi développés et rendus accessibles à tous pour compenser la perte subie d’exposition à la lumière naturelle, qui ajoute du stress et génère de la dépression saisonnière.
Cette ère du post-Covid que nous appelons tous de nos vœux peut donc nous encourager à penser autrement l’espace intérieur et extérieur, leurs éclairages, à faire un bilan des stratégies d’éclairage encore trop souvent centrées sur les seules économies d’énergie, aux dépens du développement des ambiances lumineuses à échelle humaine qui pourraient être mises en œuvre dans les prochaines années.
D’autres nuits urbaines sont possibles. Puisse cette pandémie nous permettre de les expérimenter !
Roger Narboni, concepteur lumière, CONCEPTO
A lire sur notre site, dans l’onglet Lumières, les nouvelles de Roger Narboni :