Dans les concepts lumière des gares du Grand Paris Express, à quel point les caractéristiques des matériaux – leur teinte, leur granulométrie, leur saturation, leur clarté, leur spécularité – interviennent dans la manière dont les concepteurs lumière peuvent les utiliser dans l’espace ? Melina Votadoro s’est interrogée sur cette problématique à double titre : lorsqu’elle a participé à la définition de la charte chez Coup d’Éclat et en travaillant aujourd’hui sur la conception lumière des gares, au sein de l’agence Concepto.
Pourquoi avoir choisi ce thème des matériaux et de leur interaction avec la lumière ?
Melina Votadoro – L’un des objectifs de la charte consistait à poser les règles d’une sorte de jeu auquel devaient se plier les concepteurs : architectes, concepteurs lumière, acousticiens, paysagistes. C’est un jeu collaboratif où les participants apportent leurs compétences respectives et construisent un projet commun, centré sur le parcours du voyageur et ses sensations. Or, en conception lumière comme en acoustique, les moyens de procurer ces sensations passent par les matériaux, notamment dans la spécularité, l’absorption, la diffraction des ondes lumineuses et sonores. Leurs luminances sont alors essentielles, autant que les dimensions et enchaînements des volumes les uns par rapport aux autres. Malgré les recommandations de la charte, on trouve encore des matériaux très réfléchissants comme l’Inox, ou totalement transparents tels les verres clairs, ou encore monochromes (bétons bruts). Ce qui démontre bien que le lien entre leurs caractéristiques et la lumière n’a pas été fait ou qu’il arrivera plus tard. La richesse apportée par les matériaux mats, granuleux, irréguliers, n’est sans doute pas appréciée à sa juste valeur. La seule lumière intégrée dès le début du projet est celle du soleil et bien souvent, la lumière artificielle n’arrive que pour pallier l’absence de lumière naturelle. Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit, notre travail de concepteur lumière s’appuie justement sur les propriétés des matériaux et non l’inverse : on ne peut pas élaborer un projet d’éclairage si on ne sait pas sur quelles surfaces la lumière va se réfléchir ni comment.
C’est donc la lumière qui révèle les volumes et les textures ?
Melina Votadoro – Tout ce que nous voyons est le fruit d’une réaction des matériaux à la lumière : chaque couleur, chaque texture renvoie la lumière du moment sous un angle particulier qui est alors perçue par notre œil comme rouge, verte, bleue, marron clair, beige, grise, etc. La lumière du moment, sa composition spectrale, son intensité, sa direction sont autant de paramètres avec lesquels jonglent les concepteurs lumière dans leur pratique. Pourquoi ne pas les employer dans toute leur complexité ? Par exemple, nous avons rehaussé les parois de pierre gris-bleu du Hainaut de la gare de Massy Opéra par une lumière froide, voire bleutée, comme autant d’appels, visibles de loin, qui guident successivement les voyageurs dans leur parcours. Concepto travaille sur six gares et nous devons parfois réexpliquer, justifier nos choix, et rappeler les principes de la charte
Parmi ces gares, quels exemples illustrent cette interaction entre la lumière et les matériaux ?
Melina Votadoro – Certains architectes nous ont permis de jouer avec leur gare comme au flipper ! Par exemple, la gare de Satory (Vezzoni Architectes), à l’enveloppe translucide, devient une veilleuse dans la nuit et offre un long mur de puits, support de lumières impressionnistes. La gare de Versailles Chantiers (Dietmar Feichtinger Architectes) emploie aussi bien la lumière naturelle que la lumière artificielle à travers ses sheds qui les redistribuent généreusement dans son vaste hall. Nous espérons ainsi, à travers ces interventions, faire oublier la mécanique des gares et le sentiment d’enfermement lié à la descente, en produisant des ambiances où la lumière circule et procure des sensations positives.
Propos recueillis par Isabelle Arnaud
Cette interview fait partie de notre Cahier technique consacré aux gares du Grand Paris Express.