Pour faire suite au premier volet paru dans le numéro 20 de Lumières, nous ouvrons de nouveau nos colonnes aux concepteurs lumière qui, parfois associés à la maîtrise d’ouvrage ou à la maîtrise d’œuvre, évoquent les interrogations que ce travail collaboratif a fait surgir sur le choix des matériaux, l’association d’artistes, la pérennité des installations, et les partis pris architecturaux.
SOCIÉTÉ DU GRAND PARIS ET COUP D’ÉCLAT :
UNE LECTURE LUMIÈRE CONCERTÉE
Dans le numéro 20 de Lumières, Florian Colin, agence Coup d’Éclat, nous avait expliqué le montage de la charte lumière en collaboration avec le groupement JFA (Jacques Ferrier Architecture). Aujourd’hui, il invite Hervé Bluem (Société du Grand Paris) à revenir avec lui sur l’évolution de la charte d’architecture et plus particulièrement le cahier des charges lumière. Dossier réalisé par Alexandre Arène et Isabelle Arnaud
Florian Colin, comment travaillez-vous aujourd’hui avec la maîtrise d’ouvrage sur la charte lumière des gares du Grand Paris Express ?
Florian Colin – Nous avons mis en place en amont de ce vaste projet des ateliers de discussion entre les architectes et les concepteurs lumière ainsi que des pôles d’échanges avec la maîtrise d’ouvrage sur les points clés de la charte afin de constamment la questionner et la faire évoluer en fonction des échanges avec les maîtrises d’œuvre et les concepteurs lumière. Ces réunions ont permis à la Société du Grand Paris de s’impliquer fortement dans les aspects techniques, qu’il s’agisse du paysage, de l’acoustique ou de la lumière. Nous poursuivons ce travail malgré les conditions sanitaires, et ces rencontres continuent à s’organiser par ligne et par gare en fonction des avancements.
Hervé Bluem – Grâce aux retours d’expérience et au processus interne de suivi des avis du Pôle Architecture, nous avons des outils qui nous permettent de savoir où on en est pour chacune des gares en ce qui concerne l’architecture, l’acoustique, le végétal, les matériaux et la lumière. Nous avons ainsi pu définir nos besoins en expertise en fonction des phases du projet. Toutes les gares n’en sont pas au même stade puisque certaines doivent ouvrir dès 2024 pour les Jeux olympiques et d’autres en 2030. Nous avons édité cette année une nouvelle version de la charte d’architecture et de son cahier des charges qui aborde les grandes thématiques et détaille les éléments techniques, comme ceux liés aux prescriptions particulières pour l’éclairage.
Quel impact ce cahier des charges peut-il avoir sur la conception lumière ?
Florian Colin – L’intention était de décrire de manière opérationnelle des situations types issues de la charte lumière compte tenu des interfaces architecturales. Nous avions, par exemple, des points spécifiques sur l’intégration des matériels, leur résistance, leur pérennité ou la diffusion de la lumière, en relation avec la spécularité et la brillance des matériaux. Ces préconisations ont dû être adaptées à chaque gare. Si en avant-projet, les ateliers portaient surtout sur l’interprétation de la charte, en phase Pro (A et B), l’accent était mis sur les questions d’intégration des appareils d’éclairage dans l’architecture, au regard du cahier des charges : « Certes, pour obtenir tel effet, on utilise tel luminaire, mais où doit-on l’installer et par où fait-on passer les câbles ? » La deuxième composante porte sur la maintenance et l’exploitation des gares. La charte a pour objectif d’imaginer et de proposer une lecture qui soit valable et viable à long terme, disons 20 ou 30 ans ; cela suppose que ce qui est prescrit puisse être maintenu et entretenu. A priori, les exploitants seront affectés par ligne ou par gare, il est donc préférable de bénéficier de prescriptions communes sur les typologies de luminaire ou les systèmes de pilotage par exemple, etc.
Hervé Bluem – De façon générale, nos ambitions ont été renforcées aujourd’hui vers des thèmes comme le développement durable, l’environnement, la pérennité des installations. La mise à jour de la charte d’architecture est le fruit d’un travail collaboratif mené avec Jacques Ferrier (agence Ferrier Marchetti Studio) car nous nous sommes rendu compte que les premières versions avaient peut-être été prises un peu trop au pied de la lettre. Par exemple, nous avions suggéré de favoriser les apports de lumière naturelle et certains architectes se sont évertués à faire pénétrer la lumière du jour jusqu’aux quais, soulevant des questions liées à la faisabilité même du projet. Dans la version 2020, nous demandons que la lumière naturelle pénètre dans le bâtiment, mais au niveau du parvis de l’émergence et si possible jusqu’à N-1, mais sans efforts constructifs démesurés. Autre exemple, il a fallu limiter le nombre de références d’appareils dans une même gare afin de faciliter la maintenance. La difficulté consiste à laisser une grande liberté de conception afin que chaque gare conserve son propre caractère, tout en retrouvant des éléments transversaux. Nous ne souhaitons pas brider mais il nous faut néanmoins contrôler et veiller à ce que les propositions soient durables. De plus, plusieurs gares de la ligne 15 sont passées en conception-réalisation et cette nouvelle édition de la charte permettra de recadrer certains points techniques. Notre vigilance et notre suivi doivent aussi porter sur l’interaction entre les matériaux, les matériels, les éléments techniques et l’architecture de la gare.
Comment l’intervention de Coup d’Éclat se traduit-elle aujourd’hui auprès des agences de conception lumière ?
Florian Colin – C’est un rôle à double face : à la fois Père Fouettard et Père Noël ! La situation est un peu atypique car si nous sommes habitués à traiter ces sujets, nous nous retrouvons cette fois de l’autre côté de la barrière de la maîtrise d’œuvre avec un rôle de « suivi ». Notre travail est d’accompagner la SGP sur la cohérence et le respect du programme ainsi que sur la pérennité des aménagements. Nous portons un regard critique – au sens « d’analyse » – sur les propositions des projets ; nous formulons des hypothèses sur de nouvelles approches, de façon à mieux intégrer l’éclairage. Nous bénéficions d’une vision d’ensemble sur tous les projets, avec un certain recul qui permet d’enrichir la réflexion. Nous intervenons aussi bien auprès des concepteurs lumière, des architectes que des bureaux d’études. C’est une grande première pour les concepteurs lumière et les architectes de travailler aussi en amont du projet. Si ce n’est pas sans parfois poser quelques problèmes, les équipes s’enrichissent réciproquement des expériences des unes et des autres et les collaborations restent très positives.
LA CHARTE PROPOSE UNE LECTURE
QUI DOIT ÊTRE VALABLE ET VIABLE À LONG TERME
Quid de l’après ? Comment vous assurez-vous du respect de la prescription lumière ?
Hervé Bluem – Dans le cadre des ateliers ou « revues » comme nous les appelons, nous vérifions que le projet d’éclairage évolue conformément à la charte. Ensuite, en collaboration avec Coup d’Éclat, nous émettons des avis consignés dans des tableaux qui font office d’historique à chaque étape du projet. En parallèle, la SGP a mis en place un outil que chaque maître d’œuvre doit remplir et qui permet à Coup d’Éclat d’orienter la phase suivante dans le respect des process. Il s’agit surtout d’expliquer, de conseiller, d’orienter.
Est-ce que, selon vous, cette opération a changé le regard de la maîtrise d’œuvre sur le métier de concepteur lumière ?
Florian Colin – Oui, elle a mis les concepteurs lumière au cœur du projet architectural, c’est le point clé de cette expérience. Elle a contribué à faire connaître notre profession et son expertise au-delà de l’approche technique et des exigences normatives et sécuritaires, non seulement auprès des architectes, mais aussi des bureaux d’études, de la maîtrise d’ouvrage, des élus, des représentants des lignes.
Hervé Bluem – La charte d’architecture est un outil formidable pour les uns et les autres, les projets progressent bien, avec des ambitions de lumière exceptionnelles et on ne peut que se réjouir de prendre part à ce programme d’envergure. Nous espérons pouvoir organiser en 2021 des événements pour communiquer sur les avancées de tous ces projets.
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À lire aussi dans ce Cahier technique consacré aux gares du Grand Paris Express :
- Interview de Melina Votadoro, Concepto : Les matériaux en lumière
- Interview de Nawel Creach-Dehouche, Cosil Peutz : Des œuvres d’art dans un écrin de lumière
- Interview de Vincent Thiesson, agence ON, et Florian Colin, Coup d’Éclat : La lumière pour langage commun
- Interview de Jacques Pajot, Atelier Novembre, et Rémy Cimadevilla, 8’18’’ : Gare du Bourget, un gisement de lumière